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Gisèle, 86 ans, de droite et désespérée : « ils ont tous des casseroles ! »

À 86 ans, Gisèle est désemparée : elle vote traditionnellement à droite, mais cette année, elle hésite vraiment. Déçue par tous les candidats, elle se demande s’il y en a encore qui n’ont pas de « casseroles ». Pour elle, seul le Général de Gaulle était à la hauteur.

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À première vue, Gisèle est loin de l’image de l’abstentionniste qui lance du « tous pourris » à longueur de journée. Dans l’appartement de sa résidence à Strasbourg, à la Petite France, de beaux rideaux, des plantes, un tricot entamé laissé sur une table basse, une bibliothèque avec la Bible et surtout des quantités de polars… Et ce ne serait pas étonnant d’y trouver une carte d’adhésion à Les Républicains.

Pourtant, son candidat François Fillon n’aura probablement pas son vote en avril. Avant même de s’asseoir pour entamer la conversation, elle lance :

« On dirait qu’ils ont tous des casseroles ! Ils s’y prennent tellement bien qu’on a envie de tout laisser tomber. »

Arrivée à Strasbourg il y a un an, et veuve depuis plus de vingt ans, Gisèle a quitté son Paris natal pour se rapprocher de sa famille, dont la majorité avait peu à peu « migré » à Strasbourg et Mulhouse. Parmi ses deux filles et ses huit petits enfants qui habitent dans le coin, nombreux sont ceux qui, au contraire de la majorité des Alsaciens, penchent à gauche. Alors qu’elle, la matriarche, a toujours glissé des bulletins au nom du RPF, de l’UDR, du RPR, de l’UMP et enfin, Les Républicains.

Voter « contre »

Mais cette fois, elle dérogera peut-être à sa règle. Scandale Fillon oblige :

« J’avais voté Juppé à la primaire, et quand Fillon a gagné je me suis dit “Bon au moins il est honnête celui-là”. Tu parles ! Et maintenant je fais quoi ? J’hésite vraiment à voter Macron…En tout cas plutôt Macron que Hamon ! Et quoiqu’il arrive, si le FN est au second tour, je voterai pour celui d’en face, mais ce sera vraiment un vote contre quelqu’un, et pas pour quelqu’un, c’est dommage. »

Entre ses séances de scrabble et de tricot, Gisèle réfléchit au candidat qui aura son vote (Photo DL/Rue 89 Strasbourg/cc)

Pas de politique en famille

Pour autant, Gisèle n’a jamais été transportée par l’engagement politique :

« Je ne me souviens même plus du moment précis de mon premier vote. Pour moi, ce n’était pas quelque chose d’important, dont on se rappelle. Mais ça devait être en 1953, pour les présidentielles, c’était encore la IVe République. J’avais dû déjà voter à droite, peut-être René Coty. Lui ça devait être un mec honnête d’ailleurs. »

Fille d’un chauffeur livreur et d’une mère au foyer, ayant grandi dans le quartier (plutôt modeste) de la Chapelle à Paris, sa famille était peu politisée :

« Je ne saurais pas dire pour qui mon père votait. Bon vu son milieu, d’où il venait, il votait peut-être socialiste… Mais on n’en parlait jamais à la maison. »

Son père, qui avait été prisonnier des nazis jusqu’en 1943, tenait quand même à lui inculquer certaines valeurs :

« Il y a une chose que papa m’a dite : de ne jamais voter pour les extrêmes. »

Ses amies : « Fillon ou rien ! »

Et elle s’y est tenue. À côté de ses amies, elle passerait presque pour une gauchiste.

Si ses parents étaient d’origine modeste, elle s’est ensuite mariée à un fonctionnaire « d’origine paysanne », mais qui a ensuite « très bien gagné sa vie » dans l’administration fiscale, selon les mots de Gisèle. Elle aussi a travaillé aux impôts pendant dix ans, puis a arrêté pour élever ses enfants. Ensemble, ils sont entrés dans un nouveau monde, les quartiers bourgeois des 6e et 15e arrondissements de Paris, et ont rencontré d’autres gens que ceux des faubourgs de la Chapelle.

Elle raconte que son entourage proche flirtait avec les extrêmes, et elle le regrette :

« On ne se disait pas trop ce qu’on votait avec mon mari, mais je pense qu’il votait bien à droite, voire à l’extrême-droite. La marraine de ma fille et son mari avaient aussi clairement voté Front National ces dernières années. Mais c’étaient des pieds noirs, et beaucoup de pieds noirs votaient à l’extrême-droite… »

Aujourd’hui, certaines amies qu’elle a gardé ont failli se rendre au Trocadéro pour soutenir François Fillon de tout leur cœur.

Gisèle rit :

« Elles m’ont dit : “C’est Fillon ou vote blanc !” Elles sont persuadées qu’il n’a rien fait de mal d’ailleurs, et vous savez pourquoi ? A cause de ce texte qui tourne sur internet. »

Elle sort un papier qui passait de mains en mains dans son groupe d’amies, une “note” d’un certain Antoine Brunet, « conseiller honoraire à la Cour des Comptes », qui défend le candidat de Les Républicains point par point. Et ça marche. Mais à elle, on ne lui la fait pas. La morale et l’honneur, c’est la base :

« Non mais attendez, dire qu’on se retire s’il y a mise en examen, et puis finalement non… Comment peut-on encore croire en quelqu’un ? Ces gens n’ont pas d’amour propre, ce n’est pas possible. C’est comme Cahuzac. Moi je n’ai pas grand-chose, mais j’ai mon honneur. »

En réfléchissant, elle dit se rendre compte qu’aucun président de la Ve république n’avait été à la hauteur de la fonction. À part de Gaulle, qui aura peut-être été une des raisons de son ancrage à droite :

« De Gaulle au moins, c’était quelqu’un, un homme honnête, droit et franc. J’étais gaulliste, parce qu’il avait sauvé la France. D’ailleurs, j’avais peur que lui une fois parti, ce serait la chienlit, comme il disait. Il nous avait un peu tiré de la m… quand même. »

C’est la première fois que Gisèle est autant désemparée à l’occasion d’une élection. (Photo DL/Rue 89 Strasbourg/cc)

« J’ai un peu changé de classe »

Elle continue de réfléchir sur ses motivations profondes, et puis finalement, fait l’analyse de son parcours :

« Je crois qu’en fait c’est simplement le milieu dans lequel j’ai évolué. Les parents d’élèves, les personnes qu’on rencontrait à la paroisse… Ce n’était que des gens plutôt aisés, catholiques. Leurs enfants allaient à Montaigne (lycée plutôt bourgeois, ndlr), et devenaient docteurs, dentistes… »

Cela aurait donc aussi été une manière de s’intégrer :

« En fait moi j’ai un peu changé de classe… Parfois, je ne me sentais pas à ma place. On ne guérit jamais vraiment de son enfance, vous savez. Je ne votais pas à droite en pensant à mon propre intérêt. Mais c’était dans l’air du temps. À l’église, on votait toutes à droite, sauf une. C’est drôle, parce qu’elle avait un nom à particule. »

Le reste de son entourage, ses descendants plutôt à gauche, semblent peu influer sur son vote. Elle a même une fille qui s’est engagée plusieurs fois sur des listes municipales de gauche. Mais peu importe, ses filles ne l’auront pas changée. Elle rit de sa propre espièglerie :

« En 2012, je voulais que la gauche gagne, mais juste pour qu’ils voient que ce n’est pas facile d’être au pouvoir, que eux non plus ne réussiraient pas. »

Malgré tout, pas d’abstention

Aujourd’hui, même déçue, elle refuse d’envisager l’abstention :

« Je voterai de toutes façons, tout le temps. Peut-être pas de gaieté de cœur, mais on a le droit de vote alors il faut y aller. J’y vais parce que je suis bête et disciplinée. »

Elle ne lit pas vraiment les programmes, car pour elles, ce ne seront « que des promesses non tenues. » Mais elle s’informe avec ce qu’elle entend sur France Inter, au journal télévisé de France 3, et dans les journaux, comme cet exemplaire de Télérama sur sa table basse.

Relancée sur les thèmes qui lui tiennent à cœur, elle explique :

« La situation des agriculteurs me scandalise. Ils n’arrivent même pas à vivre de leurs vaches. On pourrait augmenter un peu le prix du lait. Mais lequel de ces messieurs en parle ? Aucun. Alors qu’il y a des gens qui se suicident ! Et les usines qui ferment, ça me révolte. Ça doit être vraiment dur le chômage. Se lever le matin et ne pas savoir ce qu’on fera de sa journée, c’est horrible. »

Elle convoque à nouveau les souvenirs d’une époque où c’était moins un problème :

« Il y a plein de petits boulots qui ont disparu : il y avait ceux qui vous mettaient votre essence. Ceux qui vendaient des peaux de lapins dans la rue, ceux qui réparaient les couteaux. Ceux qui les aiguisaient, les rémouleurs. Et les réparateurs de carreaux de fenêtres, qui se baladaient avec leurs carreaux sur le dos… Comme quoi, la modernité n’apporte pas forcément le bonheur. »

A l’aise dans son nouveau chez soi, Gisèle regrette un peu l’époque du Général de Gaulle (Photo DL/Rue 89 Strasbourg/cc)

« La France, ce pays de cocagne »

Malgré tout cela, elle trouve que la situation pourrait être vraiment pire, et que les Français sont les mieux lotis :

« La France, c’est quand même le meilleur pays du monde, c’est un pays de cocagne. On ne peut pas tout avoir, mais les gens qui galèrent ici vivraient sûrement une situation pire ailleurs. Et puis on peut tout dire en France. On peut dire n’importe quoi dans les chansons, on peut se moquer du Président… Je suis peut-être un peu chauvine, mais je me félicite tous les jours d’être née en France. Mais je compatis avec les jeunes. Je suis persuadée que c’est ma génération qui a eu le plus de chance pour les retraites. On a été gâté. »

Les maires sortent du lot

Finalement, elle retrouve un certain enthousiasme pour la politique en parlant de l’échelon local. Pour elle, les maires sont les seuls élus à la hauteur de leur fonction, les moins déconnectés et les moins sensibles à la corruption :

« Ah j’aime beaucoup les maires ! Ça c’est une fonction qui vaut le coup d’être vécue. Ils sont proches du peuple, travaillent au service de gens qu’ils connaissent. Je leur tire mon chapeau. »

Elle ne peut s’empêcher de louer celui qui a dirigé sa ville d’origine pendant 14 ans, Bertrand Delanoë (PS) :

« J’ai toujours bien aimé Delanoë. Il n’a jamais fait d’esbroufe, on n’a jamais vu son copain. Il a fait des choses bien. »

D’ailleurs, il vient d’annoncer qu’il voterait Emmanuel Macron au premier tour de l’élection présidentielle. Mais ça ne suffit pas pour décider Gisèle, qui veut prendre son temps et répète, songeuse :

« Je dois encore réfléchir. »


##FillonGate

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