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Atomisés mais déterminés, les Gilets jaunes de l’Est se dotent d’une coordination

Durant la journée de dimanche, plus de 200 Gilets jaunes surtout d’Alsace mais aussi de Franche-Comté et de Lorraine étaient réunis près de Strasbourg pour évoquer les suites à donner au mouvement. Pas de conclusions ni de nouvelles formes d’actions, mais une coordination régionale est née.

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Comment continuer, comment compter ? La question était sur toutes les lèvres, dimanche 24 février au Cercle Saint-Symphorien d’Illkirch-Graffenstaden, alors que se réunissaient environ 200 membres des Gilets jaunes de l’Est de la France. Après quinze semaines de mobilisation, la question de l’impact et de l’essoufflement du mouvement a évidemment été posée, sans jamais s’imposer comme un sujet de débat.

Dans cette austère salle paroissiale un brin défraîchie, quelques tables sont dressées et beaucoup de chaises… Depuis 10h du matin, les tours de parole se succèdent au micro. Une minute et 30 seconde chacun, pas une de plus pour dire ce qu’on pense de la situation globale… C’est peu pour dénoncer la finance internationale, les fins de mois, les violences policières ou le cynisme du gouvernement. Mais pour ces ouvriers, artisans, indépendants venus d’Alsace ou de Franche-Comté, parfois de Lorraine, parler, c’est déjà beaucoup.

Fin du temps de parole ! (Photo PF / Rue89 Strasbourg / cc)

Même si les Gilets jaunes présents sont tous, à des degrés divers, parmi les plus impliqués dans leurs QG locaux, cette séance prend des allures de thérapie collective. Les participants s’écoutent, se remercient les uns les autres, et se sentent moins seuls. Ce qu’ils ont en partage, c’est le mépris qu’ils ressentent de cette politique froide, calculée, minutée à la phrase près, du gouvernement. Devant leurs écrans, sur leurs ronds-points, dans leurs QGs et tous les jours, ils en font tous l’expérience.

« Nous sommes ici pour abolir la dictature »

Sur les murs de la salle, de sobres pancartes proclament « Nous sommes ici pour abolir la dictature », ou « L’euro c’est la fortune pour les riches et la misère pour les pauvres. » Il est aussi question de contrôler les médias. Mais lors des prises de parole, on évoque plutôt les autres, les copains, les solidarités de ronds-points, de rues, de péages… On se parle, on s’entraide mais comment se comprendre ? Les participants sont parfois ingénieurs, parfois à la limite de la marginalité…

Les écarts semblent impossibles à surmonter pourtant, tous partagent le même ras-le-bol et le sentiment d’avoir participé à l’émergence d’une question essentielle dans le débat public. La formuler est plus compliqué. Est-ce qu’il s’agit de la renaissance d’une conscience de classe, d’une nouvelle forme de syndicalisme par-delà les morcellements des entreprises, d’un mouvement politique qui serait transpartisan ?

Les tours de parole s’enchaînent mais les sujets clivants sont soigneusement évités (Photo PF / Rue89 Strasbourg / cc)

La journée, finalement, aura tourné autour de ça, ce qui explique que l’appel final se contente de consacrer l’existence d’une « coordination régionale des Gilets jaunes de l’Est » (voir l’appel ci-dessous). C’est le plus petit dénominateur commun. Alors que la paëlla préparée depuis 6h du matin est servie dans les assiettes en carton, chacun se met dans la file et on reprend les discussions en petits groupes, en profitant du soleil pour ceux qui fument, c’est à dire une bonne moitié des participants.

« Au début, on a été naïfs »

Le sujet de l’antisémitisme est rapidement évacué comme n’étant qu’une stratégie du gouvernement pour diviser les Gilets jaunes et rendre le mouvement impopulaire : « c’est pas notre problème, » répondent en choeur les participants. Se présentant comme musulman, Yhya de Schiltigheim montre son fils à l’assemblée, né d’une union avec une femme de confession juive, la salle applaudit. Tout ça est bien beau mais que faire des antisémites lorsqu’ils sont détectés ? Pas de réponse. Même chose pour les casseurs d’ailleurs. Franck, déménageur de Hirsfelden, n’a pas de solution :

« Au début, on a été naïfs. Mais après, on a su repérer les casseurs dans les manifs. On les a signalés aux policiers… Mais ils les ont laissé agir. On dirait que ça les arrangeait, qu’avec de tels agissements les médias allaient avoir leurs images pour les journaux du soir… Et nous on ne peut pas les virer ces mecs, ils sont jeunes, ils cherchent de l’adrénaline, qu’est-ce qu’on peut faire contre eux ? »

Militant depuis de nombreuses années, Jean-Jacques écoute. (Photo PF / Rue89 Strasbourg / cc)

Le complotisme, qui gangrène tous les mouvements peu structurés, ne s’exprime pas clairement mais, au delà d’Emmanuel Macron, la cible numéro 1, il s’en trouve pour blâmer l’Europe, les banques ou les médias, accusés d’être à l’origine d’une pléthore de maux ou au moins complices. Les médias russes, qataris ou alliés aux extrêmes alimentent les groupes Facebook des Gilets jaunes en permanence. Cependant dimanche, les échanges ne dérapent pas, on se recadre, on s’écoute. Mike, technicien de Preuschdorf, espère que les participants vont prendre une part plus active dans leur rôle de citoyen :

« On parle beaucoup de démocratie… Et si on en faisait ? Moi j’organise des ateliers constituants, on se saisit d’une question et on écrit les pouvoirs nécessaires pour faire évoluer les choses. On devient tous des législateurs du dimanche avec ces ateliers et les gens repartent contents, ils ont vécu un moment de démocratie réelle. »

Le référendum d’initiative citoyenne (RIC) est un sujet largement accepté, et réclamé, par l’ensemble des Gilets jaunes, une adhésion qui s’explique aussi parce qu’on évite généralement d’entrer dans les détails d’application, questions posées, base choisie et conséquences… Ce fut la tonalité générale, les sujets qui fâchent, susceptibles de diviser, ont soigneusement été évités. Pour l’heure, l’unité du mouvement et sa préservation sont plus précieux que tout. En fin de journée, l’assemblée est parvenue à se mettre d’accord sur un texte. Le lendemain, un communiqué en donnait une nouvelle version, définitive cette fois.


#Gilets jaunes

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