Fonroche peut trembler. Mercredi 4 mai, l’enquête commandée par la préfecture du Bas-Rhin a été présentée en comité de suivi du site de géothermie de Vendenheim. Sur commande de la préfecture du Bas-Rhin en février 2021, sept scientifiques (BRGM, Ineris, Université de Montpellier, École des Mines, Université de Lorraine, de Neuchâtel et CNRS) ont dû répondre à cinq objectifs : comprendre la sismicité au voisinage des puits fin 2020, rendre un avis sur les opérations de Vendenheim et l’activité sismique depuis novembre 2019 dans le secteur de la Robertsau, chercher d’éventuels signaux précurseurs des séismes, rendre un avis sur l’état du réservoir post-opération et établir un retour d’expérience pour d’autres projets.
Les conclusions des experts sont accablantes pour le groupe Fonroche, récemment renommé Géorhin : l’exploitant est allé trop vite, il a utilisé des débits d’injection supérieurs aux pressions autorisées et il est allé trop profond. Il a également manqué de transparence sur les données d’exploitation et s’est ainsi privé de l’expertise des scientifiques universitaires, qui auraient pu prévenir les risques sismiques.
« Un problème de structuration des données de Fonroche »
Jean Schmittbuhl a participé à cette enquête en tant que directeur de recherche au CNRS. Le géologue de l’Institut Terre et Environnement de Strasbourg décrit les difficultés rencontrées au début de la mission du comité :
« Il y avait un problème de structuration des données qui témoigne d’un manque d’expérience de Fonroche en la matière. Les formats de fichiers changeaient souvent, les unités de leurs données aussi. Leur protocole a évolué en cours de route… L’appropriation des données et du matériel scientifique disponible nous a donc pris beaucoup plus de temps que prévu. Au départ, on avait évoqué une vingtaine de jours de travail par chercheur. On a eu besoin de deux à trois fois plus pour s’approprier les données et le matériel scientifique. »
Interrogé sur ce point, Jean-Philippe Soulé, directeur général de Fonroche Géothermie, puis Géorhin, admet :
« On n’a pas l’habitude de travailler sur la structuration des données. En tant qu’opérateur, nous avons des besoins propres. Les experts ont une autre façon de travailler, avec un partage des données comme dans les centres de recherche. Un opérateur n’est jamais en partage des données ».
Ce rapport est une sorte d’audit des pratiques de Géorhin. L’équipe de chercheurs n’a pas pu réaliser de contre-expertise, qui aurait demandé encore plus de temps pour produire les données. Ce pourrait être une prochaine mission du comité de suivi de site.
Une extension de forage improvisée… qui donne lieu aux séismes
Sur les séismes survenus fin octobre 2020, les scientifiques du comité ont pu localiser une zone déterminante, au niveau d’une extension d’un kilomètre du puits réalisée en 2020, après les événements de novembre 2019. Pour rappel, à cette période, la préfecture avait demandé à l’exploitant de cesser les tests, tout en exigeant d’améliorer la connaissance des sols après le séisme du 12 novembre 2019.
Pour le comité, l’entreprise emploie de façon abusive le terme d’ »extension scientifique » pour ce forage, « qui n’était pas prévu au départ. Il a été improvisé par Fonroche. Ce n’était pas ce qui était préconisé par la tierce expertise scientifique, » indique le rapport. C’est ainsi qu’une opération censée améliorer les performances hydrauliques du puits a provoqué des séismes l’année suivante, comme l’explique Jean Schmittbuhl :
« Les événements sismiques de fin 2020 ont eu lieu dans une zone qui s’est retrouvée connectée grâce à l’extension du forage fin 2019. On peut dire que si Fonroche n’avait pas fait cette extension de forage fin 2019, il n’y aurait probablement pas eu les événements sismiques forts en 2020. »
Fonroche conteste toujours l’origine du séisme de novembre 2019
Jean-Philippe Soulé maintient le caractère « scientifique » de ce forage et promet « un retour détaillé sur les conclusions du rapport pour expliquer nos divergences de point de vue ». Le directeur général de Géorhin reconnaît la responsabilité de son entreprises dans les séismes qui ont secoué le nord de l’Eurométropole depuis le 27 octobre 2020 mais « pour l’événement sismique de novembre 2019, nous restons dubitatifs, » dit-il.
Le comité missionné par la préfecture a cependant confirmé cette responsabilité, confirmant les conclusions d’un premier travail d’analyse mené par l’École et observatoire des sciences de la Terre (Eost) sur le séisme survenu dans le quartier de la Robertsau en novembre 2019 : Cette étude publiée en août 2021 concluait notamment : « Le cluster sismique a eu lieu le long de la faille de la Robertsau (N015° E) qui est un lien structurel majeur avec le réservoir géothermal exploité au fond des puits géothermiques. »
Partage des données insuffisant
Y avait-il des signaux précurseurs de ces séismes ? Dans la présentation d’un pré-rapport en juillet 2021, la préfète du Bas-Rhin, Josiane Chevalier, avait accusé Fonroche « d’écarts importants » par rapport aux arrêtés préfectoraux. Le forage était plus profond (5 000 mètres au lieu de 4 800 mètres maximum) et la pression d’injection employée a pu atteindre 150 bars au lieu des 100 bars autorisées.
Mais là n’est pas l’indicateur le plus parlant, pour Jean Schmittbuhl. « Un autre indice aurait dû être observé », estime l’expert avant de décrire l’une des méthodes employées par Fonroche pour améliorer la connexion entre les puits : la stimulation hydraulique. Le directeur de recherche au CNRS continue :
« L’entreprise a eu accès à des milliers de mètres cubes de la nappe pour améliorer la taille des fissures existantes. Une surveillance plus stricte du volume d’eau injecté aurait permis de prévenir les séismes. Encore faut-il que la communauté scientifique puisse accéder à ces données. »
Tout en reconnaissant la nécessité d’un meilleur partage des données avec les scientifiques, Jean-Philippe Soulé parle d’un « raccourci de communication » sur le lien entre le volume d’eau injecté et le séisme de décembre 2020.
Manque de précaution de Fonroche
Le comité d’experts questionne aussi la méthode de Fonroche au regard de la situation qui a suivi l’arrêt de l’activité à Vendenheim. Selon Jean Schmittbuhl, l’événement sismique important six mois après la fin des opérations montre que le puits nord « a été fortement mis sous pression et que sa relaxation a été très lente ». Le scientifique estime donc que l’exploitant s’est précipité :
« Si on avait voulu travailler avec le plus de prudence possible, il aurait fallu attendre la relaxation du système entre chaque test. Ça aurait pris beaucoup de temps, ce que n’a pas fait Fonroche. Vu que ce temps n’a pas été utilisé, l’ensemble des tests réalisés, ce sont des actions qui se superposent et qui rendent la lecture et l’interprétation de ce système extrêmement complexe. »
« Une gestion de projet très surprenante »
Concernant les retours d’expérience, Jean Schmittbuhl parle d’une « phase préparatoire insuffisante » et d’ »un manque de connaissance précise du système géologique ». Le directeur de recherche du CNRS précise : « La plupart des grands séismes viennent de failles allant du nord-ouest vers le sud-est. Ces failles sont quasiment absentes des modèles géologiques de Fonroche. »
Sur ce point, le directeur général de Géorhin admet que le modèle de Fonroche a omis ces failles. Il estime tout de même que les séismes de la fin de l’année 2020 étaient aussi liés à d’autres failles, elles connues de l’opérateur. « Dans le fond, ici, l’écoute des scientifiques n’aurait rien changé », estime Jean-Philippe Soulé.
Le comité d’experts déplore en outre « une gestion de projet très surprenante ». Jean Schmittbuhl s’étonne par exemple de « l’absence de phasage du projet avec des évaluations et un regard extérieur à différentes étapes. Fonroche a eu des autorisations pour démarrer et quasiment tout de suite d’aller jusqu’au bout. » Il estime que l’exploitant s’est précipité et a pris trop de risques :
« Ils ont même construit la centrale en surface avant d’avoir validé tout le système de sous-sol. Je n’ai jamais vu de projet comme ça. Normalement, on construit le premier puits, on vérifie qu’il fonctionne, puis le second puits, s’il est suffisant, on fait des tests dans la durée… Et seulement si tout ça est suffisant, alors on attaque la construction de la centrale. »
Un avenir en suspens
Le 24 mars 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a bouleversé le cadre de la mission confiée par la préfecture aux sept scientifiques. Leurs recherches s’inscrivaient jusqu’alors dans le contexte d’un « arrêt définitif du projet ». Mais l’arrêté ordonnant de mettre fin aux opérations de géothermie a été annulé par les juges administratifs. Jean Schmittbuhl se pose aussi la question de l’avenir du comité d’experts :
« S’il est à nouveau possible de relancer le projet de géothermie à Vendenheim, il faut repenser le projet et approfondir notre analyse. Cela passera surtout par une autre place de la communauté scientifique dans ce projet. »
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