Rien de tel qu’un petit séisme pour sortir rapidement du lit, comme les Strasbourgeois l’ont expérimenté vendredi matin. À 6h59, les murs ont tremblé pendant une seconde suite à une secousse mesurée à une magnitude de 3,5 par le Réseau national de surveillance sismique (Rénass).
Les sismologues ont rapidement classé cette secousse comme « événement induit », c’est-à-dire provoqué par l’activité humaine. Son épicentre a été situé juste en dessous d’un puits utilisé par l’entreprise Fonroche pour sa centrale de géothermie profonde, installée entre Vendenheim et Reichstett au nord de l’agglomération.
Cette fois-ci, c’en est trop pour nombre d’habitants et d’élus qui ont appelé Fonroche et l’Eurométropole vendredi à mettre un terme à cette activité, censée fournir de l’électricité et de la chaleur pour des dizaines de milliers de foyers (lire notre compte-rendu en direct). Car depuis plus d’un an, une dizaine de petits séismes suffisamment forts pour être ressentis par l’être humain ont secoué le nord de la capitale alsacienne.
C’est même suite à l’un de ces séismes, de magnitude 3,1 le 12 novembre 2019, que l’activité de la centrale de géothermie avait été suspendue. Le 1er octobre, la préfecture du Bas-Rhin avait autorisé des « tests de traçage » afin de déterminer si cette secousse était liée à l’activité de géothermie, comme le soutiennent les sismologues de l’École et observatoire des sciences de la Terre (EOST) ou bien d’origine naturelle comme le soutenait Fonroche. Ces tests ont provoqué une dizaine de secousses en un mois.
« C’est la pratique de Fonroche qui est en cause »
Le séisme de vendredi matin, dont Fonroche assume pleinement la responsabilité cette fois, a provoqué l’arrêt complet de la centrale de géothermie. Il sera effectif dans 3 semaines à un mois, le temps d’accompagner la baisse de pression du « débit de sécurité » du réservoir souterrain. Cette période pourrait s’accompagner de nouvelles secousses, d’une magnitude « entre deux et trois », selon Jean-Philippe Soulé, directeur de Fonroche Géothermie. Une première réplique s’est d’ailleurs faite sentir à 11h10, de magnitude 2,6.
Pour le directeur de recherche en sismologie au CNRS, membre de l’École et Observatoire des Sciences de la Terre (EOST), Jean Schmittbuhl, la pression d’eau injectée dans ce puits-là est en cause :
« À la centrale de Soultz, qui est en rythme de croisière, l’eau est envoyée à 20 bars. Du côté de Vendenheim, le site est censé être en sous-activité, mais l’eau est envoyée à 60 bars. Nous avons appris cela vendredi matin. Si la pression ne baisse pas, il faut s’attendre à d’autres séismes similaires et on ne peut pas exclure une secousse plus importante. C’est la pratique de Fonroche qui est en cause. »
Fonroche toujours confiant
Interrogé dans l’après-midi de vendredi, Jean-Philippe Soulé, a reconnu un coup dur mais ne pense pas que ce nouveau séisme mette un terme à la géothermie profonde dans l’Eurométropole :
« Un peu partout en Europe, des centrales géothermiques fonctionnent avec une activité micro-sismique qui n’est pas ressentie par les habitants. Cette technologie, qui pompe de l’eau chaude à un endroit pour la renvoyer plus loin, est fiable mais elle nécessite quelques ajustements au démarrage, qui sont parfois difficiles. Là, on est dans le cas d’un démarrage difficile. »
Pour la suite, il veut « réfléchir aux options possibles et les partager avec le territoire ». Il expose des solutions techniques : « Nettoyage complémentaire, travaux différents, positionnement différents… » Mais « pour l’instant, il s’agit d’un travail technique et scientifique ». Le temps du débat, et des soutiens politiques, viendra ensuite. L’arrêt total du site durera au moins plusieurs mois.
Les oppositions à l’Eurométropole, les groupes LR, LREM, jugent que ce séisme en particulier doit marquer l’arrêt « définitif » de cette technologie sur tous les puits autour de Strasbourg. Alain Fontanel (LREM), Catherine Graef-Eckert (maires de droite) et Jean-Philippe Vetter (LR) ont tenu un point presse vendredi midi, devant la centrale.
Selon Alain Fontanel, ancien premier adjoint, le levier pour l’Eurométropole serait de refuser d’acheter l’électricité et la chaleur de ces centrales et d’utiliser « le pouvoir de consommateur ». « La géothermie pouvait être une bonne idée, mais il y a des réalités à prendre en compte : la qualité de l’eau remontée avec des éléments radioactifs, les substances chimiques que l’on injecte dans les failles, le prix élevé d’achat, le risque de séismes… » embraye son ancien colistier Jean-Philippe Vetter (LR). Ils estiment tous trois qu’un débat sur ce sujet est davantage prioritaire que l’actuel sur la 5G.
Face à la contestation d’habitants et de maires, y compris de sa majorité, la présidente de l’Eurométropole Pia Imbs (SE) « exige, au nom de la collectivité et de ses habitants, une analyse précise des causes et des effets constatés sur notre territoire et demande un arrêt définitif du projet porté par Fonroche à Vendenheim. »
La préfecture ferme mais prudente
L’État français, qui délivre les autorisations car il a la charge du droit minier, ne va pas aussi loin. Mais la préfète Josiane Chevalier indique dans un communiqué que « l’événement survenu vendredi remet en cause certaines conditions de conduites des opérations et de fonctionnement du projet. » Un ton moins positif que celui employé lors des précédents séismes. Une enquête administrative est en cours.
Fonroche Géothermie, une filiale du groupe Fonroche spécialisé dans les énergies renouvelables, a investi 90 millions d’euros dans cet équipement dont l’autorisation a été obtenue contre l’avis de maires des communes concernées. La collectivité mise depuis plusieurs années sur cette technologie pour atteindre ses objectifs d’autosuffisance énergétique en 2050. Fonroche avait d’abord proposé la création d’une centrale de géothermie profonde à la Robertsau, au nord de Strasbourg, près d’installations classées Seveso du Port-aux-Pétroles. L’Eurométropole avait fini par retirer son soutien à ce projet devant l’opposition des habitants et Fonroche s’était retiré en 2015, après un avis défavorable de l’enquête publique.
Trois autres projets sont déposés près de Strasbourg. Celui à Illkirch-Graffenstaden est exploité par ÉS Énergie et n’est pas en fonctionnement. Fonroche a également deux autorisations de forage, l’une entre Eckbolsheim et Oberhausbergen, l’autre à Hurtigheim. Mais elle n’a pas encore commencé à creuser.
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