Où va partir l’argent des automobilistes quand ils emprunteront le Grand contournement ouest (GCO) de Strasbourg ? Difficile de se faire une idée tant il est compliqué de recueillir des informations sur un contrat de concession pourtant paru au Journal officiel du 31 janvier 2016.
En plus d’une semaine, la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) d’Alsace – Champagne-Ardenne – Lorraine nous a simplement répondu que les 24 annexes du contrat de concessions étaient « consultables », mais non « diffusables ». Elle nous a renvoyé vers la Direction Générale des Infrastructures des Transports et de la Mer (DGTIM), qui elle-même, après relance, nous a donné l’adresse mail du service presse du Ministère, qui n’a pas répondu à notre demande.
Aucune obligation de publier les annexes du contrat
Il est vrai que, contrairement aux collectivités locales, rien n’oblige l’État à publier ces documents explique une note du ministère de l’Économie, qui – sans rire – ajoute plus bas qu’il y a « une transparence accrue des contrats de concession » (page 39) :
« Aucun dispositif comparable de publication ou de mise à disposition n’est prévu par la loi Sapin, pour les délégations de service public conclues par l’État ou l’un de ses établissements publics. »
Ni par aucun autre texte pour résumer. Lorsque l’association Alsace Nature a insisté pour avoir des documents, elle n’a obtenu que des annexes où la plupart des informations pertinentes étaient noircies.
Opacité sur le financement du GCO by Rue89 Strasbourg
Mais sur certains logiciels, les passages noirs se dévoilent, les informations se dévoilent, en sélectionnant le texte :
L’association a déposé un recours gracieux contre l’État pour qu’il reconsidère son projet. Si elle n’obtient pas gain de cause, ce qui est probable, elle envisage de porter ses revendications au tribunal administratif. D’après les juristes de l’association, le contrat ne respecterait pas plusieurs réglementations, dont celles sur les espèces protégées ou sur l’eau.
Une mini-société pour piloter les travaux
Publiquement, tout juste sait-on que c’est la société Arcos qui a été mandatée. C’est une société crée par Vinci, dont le seul objet sera la construction et l’exploitation de la route pendant 54 ans. Ses actionnaires sont pour moitié Vinci Concessions et SOC 44 (une filiale détenue à 100% par Vinci). Elle a été constituée en juillet 2012, moins de deux mois après que le contrat de concession de l’époque a été annulé par l’État. Le motif officiel était alors que Vinci ne trouvait pas prêteurs. Un prétexte économique et non politique, après que les élus PS et écologistes avaient promis qu’un gouvernement de gauche annulerait le GCO avant la présidentielle de 2012.
Visiblement, à peine destitué, Vinci avait déjà en tête que le GCO renaîtrait de ses cendres. Pour consulter les statuts d’Arcos, il faut payer 11,70€ par document auprès d’Infogreffe. Cette société, domiciliée à Rueil Malmaison, a déménagé à l’Espace européen de l’entreprise de Schiltigheim le 27 novembre 2015, une fois que la concession lui a été attribuée. Elle n’a pas de site internet, de numéro de téléphone public, et n’avait pas de salarié au 31 décembre, selon societe.com. Son capital social est de 15 000 actions à 1€ l’unité. Autrement dit, c’est une mini-structure à 15 000€ de capital qui redistribuera les 518 millions d’euros (hors taxe) de travaux prévus à de nombreux sous-traitants.
Appel à des sous-traitants locaux
Sur le site d’Alsace Nature, un internaute qui se présente comme ouvrier du BTP avance de potentiels sous-traitants locaux :
« 90% de l’argent investi va rester dans la région, car Vinci, c’est d’abord des entreprises régionales que vous côtoyez tous les jours, et je vous le prouve. Les ouvrages d’art, ce sera certainement Anstett d’Illkirch, l’électrification et les réseaux de communication, Citeos de Hoenheim, le terrassement sera en groupement entre Weiler (Sarrebourg) et GTM (Richwiller), les chaussées Eurovia et Jean Lefèbvre (Molsheim, Fegersheim, Haguenau), sans oublier nos collègues MTHA de Krautergersheim. »
Enfin, lors de la mise en service, programmée pour octobre 2020, l’exploitation sera confiée par Arcos à Vinci Autoroutes. À ce propos, plusieurs informations essentielles avaient été publiées dans les Dernières Nouvelles d’Alsace qui se sont procurées des annexes non-caviardées. Les prix des péages pour les 24 kilomètres seraient fixés à 3,13€ ou 4,67€ selon la classe de voiture et de 8,40€ ou 9,54€ selon le type de poids lourds. Les motos ne paieraient que 1,96€. Ces tarifs peuvent augmenter, notamment avec l’inflation.
Avec des prix pareils, le GCO pourrait concurrencer l’autoroute la plus chère de France, très peu utilisée en Gascogne (A65), puisque seul le prix au kilomètre des véhicules de classe 1 serait inférieur (13 centimes au kilomètre contre 14,67 en Gascogne, autour de 19 centimes pour les véhicules de classe 2 sur le GCO). Après 6 ans d’exploitation, la société Alienor espère être à l’équilibre en 2016 pour la première fois, après une nouvelle hausse des prix.
Un prêteur nommé… Vinci
D’autre part, on apprend, toujours dans les DNA, que le financement se fera à 41% (263,9 millions d’euros) par les actionnaires d’Arcos et à 59% (368 millions) par des prêts dits aux taux Euribor à 1 mois ou 6 mois (un taux variable) sur 12 ans, éventuellement renégociés sur 30 ans. Plus subtil, une partie de l’argent amenée par les actionnaires est elle-même financée par un prêt de 150,4 millions d’euros à Vinci Finance internationale, une filiale domiciliée en Belgique où les taux d’imposition sur les société sont plus faibles qu’en France. Le taux d’intérêt est de 9%. Il est déconnecté des tarifs actuels, bien plus bas, mais permet de s’assurer que les frais financiers restent dans le groupe Vinci. Ce montage serait « transitoire » avant de se tourner vers un groupement de banques (pool bancaire).
Dans l’exploitation, Vinci table sur un trafic passant de 20 000 véhicules par jour les premières années à 32 000 véhicules. Des prévisions plus optimistes que la plus optimiste des études (CGEDD) qui tablait sur 14% de report de trafic de l’A35, soit 23 000 véhicules, si on compte la fréquentation quotidienne actuelle de 165 000 véhicules. Comme le contrat a été attribué avant les élections régionales, ces prévisions ne tiennent pas compte du projet de « taxe transit » qu’avait promis le candidat Philippe Richert (LR), élu président d’Alsace – Champagne-Ardenne – Lorraine en décembre.
Un taux de rentabilité raisonnable, mais qui ne risque pas de faire baisser les prix
Avec ces projections, le GCO dégagerait un taux de rentabilité interne (TRI ou taux d’actualisation) de 9,72%. Si ce taux excède 12%, les prix des péages doivent baisser. Si le chiffre d’affaires est de 10% supérieur aux prévisions, Vinci payera une redevance à l’État. Enfin l’équipement est remis gratuitement à l’État au bout de 40 ans (et non 54 comme prévu) si le chiffre d’affaires cumulé est de 9,4 milliards d’euros à cette date.
Olivier Sautel, vice-président du cabinet d’expertise économique Microeconomix, qui a travaillé sur les autoroutes, décrypte ces données :
« La clause d’un TRI maximum de 12% parait généreuse, car il y a une très grande différence entre 9,72% et 12% en terme de rentabilité. Sur des autoroutes déjà en service, on avait calculé que l’État accordait 9% de taux de rentabilité, alors qu’il était de 6,5% lors de la privatisation, ce qui au niveau national représente environ 20 milliards d’euros de surprofits qui se répercutent dans les péages sur le prix chaque année. Et ce alors que le risque était limité sur ces autoroutes existantes. Dans le cas d’une nouvelle construction comme le GCO, il y a un risque supporté avec l’investissement : si les travaux coûtent plus cher que prévu, c’est aussi à Vinci d’en assurer la charge. De même si le trafic est inférieur aux attentes. C’est normal que le risque soit rémunéré. La question est de savoir s’il n’est pas surpayé par rapport aux concurrents ou aux autres moyens à disposition. Avec des mécanismes comme le plan d’investissements européen Juncker, il y avait peut-être des solutions de financement public qui aurait pu être plus rémunératrices pour l’État à long terme. Mais l’agenda politique et celui des finances publiques n’est pas toujours le même, donc l’intérêt à court-terme d’un financement privé est privilégié. Qui se soucie d’une solution intéressante sur 54 ans ?
En revanche, la clause d dépassement de 10% du chiffre d’affaires limite effectivement les dérives, car c’est au niveau des revenus et du financement que peuvent se faire les écarts, plutôt qu’au niveau des coûts d’exploitation sur lesquels le concessionnaire ne peut pas beaucoup jouer. »
« Une stratégie pour pousser les automobilistes à prendre le GCO »
Dans ces calculs, Stéphane Giraud, directeur d’Alsace Nature, regrette qu’il n’y ait aucun système alternatif de transports autour de Strasbourg :
« Spontanément, personne n’emprunterait le GCO. C’est une stratégie pour congestionner le plus possible l’A35 qui poussera les automobilistes et transporteurs à prendre le péage. Il n’existe pas d’outil juridique pour interdire les poids lourds sur l’actuelle A35. Et même si c’était le cas, ce serait facile à contourner avec du cabotage, c’est-à-dire une petite livraison à Strasbourg avant de reprendre la route. C’est de l’argent artificiel. »
Et si l’autoroute n’est pas rentable ? Le maire de Kolbsheim Dany Karcher, opposant au GCO, craint qu’une mini-société sans capital puisse se mettre en cessation de paiement une fois l’argent des travaux distribué. Selon Olivier Sautel, « dans les faits, une renégociation est très souvent effectuée, soit au niveau des prix, soit sur la durée de la concession ».
Dans les Vosges, c’est le cas du tunnel Maurice-Lemaire (7 kilomètres). Alors qu’il devait vider les cols vosgiens des poids-lourds seuls 200 camions l’empruntaient chaque jour, quand 1 000 autres prenaient les petites routes gratuites. En échange d’un rallongement de la concession de l’A31, les prix ont été baissés pour les automobilistes (de 8 à 6 euros pour les voitures légères) comme les camions (de 64,7 euros à 28 euros) le 1er février 2016. Reste à voir si cet ajustement rééquilibrera la circulation.
Les larges remembrements des parcelles en discussion
En attendant, d’autres négociations sont en cours. Celles des remembrements des terres agricoles traversées par le bitume. La loi oblige le constructeur à procéder à des indemnisations. L’emprise au sol du projet est de 300 hectares, mais ces remembrements pourraient concerner « 6000 à 7 000 hectares, voire 10 000 ! » d’après Luc Huber, maire de Pfettisheim, porte-parole du collectif GCO Non merci. Les agriculteurs espèrent tirer le plus possible de compensations pour leurs pertes de terrain, tandis que les opposants voudraient que ces dépenses supplémentaires fassent renoncer Vinci à son projet.
Ni Vinci Concessions, ni Arcos, que l’on ne peut contacter que par mail, n’ont répondu à nos sollicitations.
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