Lundi 12 novembre, il reste six grévistes de la faim opposés au Grand contournement ouest (GCO – voir tous nos articles) de Strasbourg, sur les 10 qui avaient entamé un jeûne de protestation 22 jours plus tôt. Alors que les travaux pour construire l’autoroute de 24 kilomètres ont débuté au nord de Strasbourg, ils demandent un moratoire et une médiation, le temps d’examiner des alternatives proposées par le collectif « GCO Non Merci ». Ils en appellent au président Emmanuel Macron, récemment distingué du titre de « Champion de la Terre » aux Nations Unies.
Un gréviste à bout de force
Devant l’opéra du Rhin, place Broglie, cinq d’entre eux se sont déshabillés pour montrer les effets sur leurs corps de l’absence de repas pendant plus de trois semaines. Cinq et pas six ? Le sixième, Pierre Rosenszweig, 69 ans, était en train de rejoindre ses homologues en traversant à pied la place Broglie. Les regards étaient portés sur les grévistes maigrichons et dénudés. Et en se retournant, journalistes, militants et spectateurs ont découvert qu’il était au sol, visiblement à bout de forces. Très vite, les policiers postés derrière les barrières sont venus lui porter secours. Il a été emmené à l’hôpital de Hautepierre par les pompiers.
Quant aux quatre qui ont arrêté, trois l’ont fait en raison de la reprise de leurs activités professionnelles, dont Marc Hoffsess, qui a écrit une lettre au président de la République et le plus âgé d’entre eux, Jean-Jacques Pion (79 ans) a été arrêté par son médecin.
Une rumeur non recoupée
Mais s’ils ont choisi de se déshabiller, c’est surtout pour répondre à des « rumeurs » dont les opposants se sont fait l’écho, selon lesquelles les grévistes rentreraient manger chez eux chaque soir. Ils soupçonnent les pouvoirs publics de propager ces affirmations puisque des agents des services de renseignements ont effectué des visites à l’Église protestante de Bischheim où ils sont basés et se reposent.
C’est par exemple le cas de Christine Ludes, retraitée :
« Je rentre le soir à 21h et je commence ma deuxième vie. Je m’occupe de ma mère handicapée. Le matin je fais encore des courses. »
Les opposants ont en particulier nommé le secrétaire général de la Préfecture du Bas-Rhin, Yves Seguy, en évoquant une cérémonie pour célébrer la Légion d’honneur de la maire de Holtzheim, Pia Imbs, dans une salle de sa commune. Contacté, l’intéressé dément :
« J’y étais invité, mais je n’y ai pas pris la parole. Il n’y a jamais eu de prise de parole publique pour remettre en question cette grève. La seule question à ce moment, c’est à quelle condition ces personnes peuvent sortir de la grève autrement que par un moratoire, puisque le gouvernement s’y est opposé. »
La maire Pia Imbs confirme que seul son « parrain » de la distinction, le député Patrick Hetzel (LR) a pris la parole. D’autres conversations informelles ont été rapportées aux opposants, sans pouvoir les circonstancier avec précision.
Revoir l’action du 12 novembre
Jusqu’à 10 kilos en moins
Reste que l’essentiel n’est pas là. En plus des images spectaculaires, les grévistes ont aussi présenté une attestation médicale signée par six médecins, qui relève que Rachel Kuhn a perdu 14,5% de son poids (8 kilos), tandis que Christine Ludes a perdu 11 kilos (14,2% de son poids). La médecin Anny Zorn a vu les grévistes samedi soir :
« Ils sont très affaiblis et fatigués. Malgré tout, ils entament la quatrième semaine de jeûne avec motivation. Les derniers tests sanguins sont inquiétants pour une des femmes grévistes. Elle présente un taux de potassium dans le sang trop bas. Cela peut engendrer des problèmes cardiaques.Le plus grand risque pour les grévistes, c’est l’arrêt cardiaque surtout pour les personnes âgées de plus de 60 ans. »
Aurélie Kuhn, 35 ans, est la plus jeune des grévistes de la faim :
« C’est un sentiment bizarre que d’avoir du mal à descendre les escaliers, ou de devoir s’asseoir dans la salle de bain pour se brosser les dents. La médecin m’a dit que je ne dois pas descendre sous la barre des 72 kilos. Et je suis déjà à 70… Mais cette problématique est tellement énorme que je ne peux pas m’arrêter là. »
Quant à Christine Ludes, elle s’attendait à une grève longue, mais pas à se déshabiller un jour :
« C’est la première fois que je suis en bikini. Emmanuel Macron sait qu’il y a cette grève, il a été interpellé par Martine Wonner (la députée LREM, ndlr) ou des militants dans la rue. Personne n’a pu faire barrage. »
Ouverture de la préfecture ?
Lors de la venue d’Emmanuel Macron à Strasbourg le 4 novembre, une conseillère « territoire » a reçu des membres du collectif. Les grévistes ont décliné ayant estimé que ce n’est pas l’interlocutrice qu’ils avaient demandé, tout comme les 200 élus locaux les avaient soutenus. Ils n’ont pas eu de retour depuis.
Ce lundi 12 novembre, la préfecture a indiqué sur Twitter que le préfet souhaite rencontrer les grévistes.
Jean-Luc Marx renouvelle sa proposition de recevoir les grévistes de la faim. #GCO https://t.co/xN5xzkv4F3
— Préfète de région Grand Est & du Bas-Rhin 🇫🇷🇪🇺 (@Prefet67) November 12, 2018
En voyant ce tweet, Maurice Wintz, vice-président d’Alsace Nature se dit un peu étonné que le préfet affirme « réitérer » sa proposition de rencontre puisqu’il assure n’avoir « jamais eu de première proposition. » Gréviste pendant deux semaines, il a repris son alimentation pour poursuivre ses enseignements en sociologie de l’Environnement à l’Université, après avoir perdu 12 kilos (15% de son poids). Yves Séguy indique de son côté avoir pris contact avec la pasteur de l’église à Bischheim et reste disposé à recevoir ou rencontrer les intéressés avec Jean-Luc Marx.
Toujours des oppositions
Sur le terrain, des mobilisations continuent. Plusieurs déboisements ont été empêchés, notamment du côté de Vendenheim où quelques dizaines de citoyens s’opposent à tour de rôle à des travaux. En l’absence de gardes mobiles, cela suffit à bloquer les machines. Ce lundi, c’est la coupe d’un alignement d’arbres entre Pfulgrisheim et Pfettisheim qui a été empêché. L’arrêté autorisant ces coupes avait été suspendu par le tribunal administratif, car signé à tort par le préfet. Mais le conseil départemental a pris un arrêté qui autorise à nouveau ces coupes et l’a publié samedi.
Côté justice, le tribunal administratif de Strasbourg étudiera « sur le fond » le recours concernant les travaux préparatoires, en grande partie effectués. Il n’avait pas suspendu ces derniers en avril 2017.
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