« Pendant deux ans, ils ne m’ont rien envoyé », explique Paul, 26 ans. L’ancien étudiant, diplômé en septembre 2022, a dû se renseigner seul pour connaître ses droits de locataire. Sur son bail, géré par la société Immoval, un montant mensuel est dédié aux charges – 50 euros par mois. Une somme fixe, forfaitaire, qui doit en théorie être régulée chaque année. « J’ai vu le terme “avance sur charge”, ça m’a fait réfléchir », poursuit-il.
Le principe de ce forfait est de couvrir les frais locatifs selon une estimation basée sur les années précédentes. Le décompte annuel des charges, effectué par le gestionnaire, permet au locataire de récupérer ce qu’il a payé en trop, ou au propriétaire de demander un montant plus élevé lorsque les charges prévues ont été dépassées. Mais Paul a réglé les mêmes charges fixes de juillet 2020 à mai 2022, sans recevoir le moindre document lui indiquant s’il a trop ou pas assez payé.
« Si je n’avais rien demandé, ils ne m’auraient rien donné »
Après une première sollicitation d’Immoval par mail fin mai 2022, il lui a fallu relancer cinq fois le bailleur et attendre le 9 novembre pour obtenir les documents de décompte de charge des années 2020 et 2021. Il a alors découvert qu’en deux ans, il avait payé 300 euros de plus que les frais réels. « Ils vont les enlever sur mon prochain loyer, donc ça va, mais si je n’avais rien demandé ils ne m’auraient rien donné », estime Paul, qui est encore engagé à rester dans son logement pour quatre ans. Une somme conséquente, surtout dans un budget étudiant.
En mai, son bailleur a plaidé par mail un manque de temps : « Vous recevrez [les documents] dans les meilleurs délais », y lit-on. Rue89 Strasbourg a eu accès à l’échange de d’e-mails. Sans plus de détails, il a décidé de cesser de payer son loyer en juillet, jusqu’à ce que ces documents lui parviennent. « Je ne savais pas quoi faire d’autre », justifie-t-il. Cette fois-ci, la réaction du gestionnaire a été immédiate : un courriel de juillet l’a invité à régulariser sa situation. Il a répondu qu’il attendait toujours la régularisation de ses charges. En l’espace d’une heure, il a obtenu une autre réponse vague : « Les décomptes de charges devraient être établis sous peu. »
Il ne paie pas son loyer en juillet, ni en août, ni en septembre, puis recommence à le virer en octobre et novembre, en gardant trois mois de retard. Ce qui lui vaudra, le 4 novembre, de recevoir une mise en demeure l’invitant à régler sa dette sous huit jours, sous peine de recevoir la visite d’un huissier. « Alors j’ai tout payé le jour même et j’ai envoyé moi aussi une mise en demeure », retrace-t-il. Le 6 novembre, il envoie un courrier avec accusé de réception, demandant, comme depuis mai, d’avoir accès aux documents de décompte des charges locatives pour 2020 et 2021. Finalement, le 9 novembre, il a donc reçu les précieux papiers lui confirmant qu’il avait payé 300 euros en trop.
« On fait au mieux »
Contactée, la société Immoval se défend de toute mauvaise foi : « Effectuer le décompte des charges demande d’avoir accès à beaucoup de documents qui nous sont transmis par les syndics », explique Aline Fougeroux, attachée de direction et responsable du service gestion. Elle justifie donc le délai par la complexité d’accéder à certaines factures : « On est assez vigilants et on fait au mieux, on s’excuse si c’est parfois un peu long. » La société gère environ 1 500 lots locatifs dans l’Eurométropole. Aline Fougeroux poursuit : « Il faut qu’on ait toutes les factures, qu’on remplisse des formulaires, ce n’est pas toujours facile de le faire directement à l’année échue. »
Les charges locatives concernées sont définies exclusivement par décret. Elle englobent par exemple le chauffage lorsqu’il est collectif, l’électricité ou les frais de nettoyage des parties communes.
Si Paul ne l’avait pas contacté, Aline Fougeroux assure que le gestionnaire l’aurait fait de lui-même. Et ce au plus tard lorsque le locataire aurait quitté le logement : « On rembourse par virement », assure t-elle. Selon Aline Fougeroux, l’obligation de régulariser une fois par an est plutôt une indication : « Le législateur prévoit une fois par an, mais maximum tous les trois ans. »
Une obligation… sans sanction
Dans la loi, l’obligation est pourtant claire : le bailleur fait parvenir au locataire un décompte des charges chaque année puis procède, un mois après, à leur régularisation. Celui-ci doit également tenir à disposition du locataire tous les documents justificatifs pour une durée de six mois à compter de la date où le décompte des charges est effectué – pour vérifier qu’elles lui sont bien imputables. Mais c’est au locataire ou au propriétaire d’être vigilant, précise Bintz, une autre agence de gestion, à Rue89 Strasbourg.
Dans le sens inverse, le propriétaire a trois ans pour réclamer à son locataire un complément de charges lorsque la régularisation va dans son sens. Le même délai s’applique pour le locataire – encore faut-il que le locataire sache qu’il peut récupérer une partie de ses charges.
Mais en 2017, la Cour de Cassation a arrêté que « l’obligation de régularisation annuelle des charges n'[est] assortie d’aucune sanction et que le bailleur [peut] en justifier à tout moment dans la limite du délai de prescription ». Trois ans, donc. Sans sanction, difficile de savoir si l’obligation de donner cette information aux locataires est bien respectée par les gestionnaires.
Selon Bintz, la seule instance de vérification est le fisc : « On paye tous des impôts, donc il faut justifier les sommes perçues. » Autre possibilité de contrôle : lorsque le propriétaire est une entreprise qui dispose elle aussi d’un comptable. Du côté d’Immoval, on précise aussi que des exercices comptables sont effectués par le gestionnaire. « On ne peut pas garder de l’argent qui ne nous appartient pas, on rembourse tout le monde », élude Aline Fougeroux.
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