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Gabriel Willem, musicien et maraîcher, sort son premier album solo

Culture et agriculture, deux domaines qui ne se mélangent pas ? Pas pour Gabriel Willem. Cet Alsacien a trouvé le bonheur « la tête en l’air, les pieds dans la terre ». Sans dogmatisme, le trentenaire célèbre cet équilibre dans son premier album solo Paysan et fier de l’être. Rencontre.

Son

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À mon arrivée à la gare de Colmar, Gabriel Willem me claque la bise, comme un bon copain qui serait venu m’accueillir : « On va se tutoyer. » Pas de temps à perdre, le musicien est attendu à Orbey, au centre pour adultes handicapés Les Sources. C’est la reprise. Deux fois par mois, il va y enchaîner trois séances d’initiation à la musique improvisée. En voiture donc. Le deal : j’aurai l’aller et le retour pour m’entretenir avec lui, et puis les pauses entre les séances. OK.

En plus de ses paniers, Gabriel Willem vend ses légumes dans la région de Colmar. (Photo Léa Pallages)

Une exploitation « polyculturelle »

Dans la voiture, la station Accent 4 diffuse de la musique classique. En suivant les notes des doigts sur son volant, le trentenaire me prévient qu’il est « défoncé de fatigue. » Il faut dire que Gabriel est plutôt occupé en tant que musicien-maraîcher de son état, une combinaison atypique. Gabriel a lancé il y a quatre ans Les jardins-en-chantants, une exploitation maraîchère « polyculturelle » à Herrlisheim-près-Colmar.

L’idée ? Nourrir le corps et l’esprit pardi ! Avec sa femme, elle-même costumière-maraîchère, il vend sa production sous forme de paniers de saison, à une cinquantaine de clients réguliers. Chaque mois, dans ces paniers, ils glissent une « pépite culturelle » issue des artisans et artistes de la région. Le samedi, ils font visiter leur site et tiennent un restaurant éphémère, « Un samedi soir sur la terre ».

Gabriel Willem cultive 180 sortes de légumes non-hybrides. (Photo Léa Pallages)

Rien ne prédisposait ce fils de professeurs de philo et de littérature à devenir cultivateur. « Ado, je mangeais des burgers au fast-food », confesse-t-il. Dans sa première vie, Gabriel était artiste, tout court, comédien surtout. Et puis, il jouait du piano. Avec son ex-femme, il a constitué le duo Audriel, qui a sorti trois albums. Mais tout ça c’était avant, à Paris, où il avait atterri à sa majorité pour suivre le cours Simon. Et puis, il y a six ans, Gabriel revient dans la maison de son enfance, à Herrlisheim-près-Colmar, en quête de sens :

« J’étais trop dans la tête, dans l’intellect. J’avais besoin de m’ancrer dans la réalité. »

« Ça en moins pour le maïs »

Au départ, il se met au jardinage, « simplement pour nourrir sa famille ». Et puis un terrain communal agricole de 95 ares se libère et c’est le déclic. Il le prend en location :

« Je n’avais pas vraiment de projet. Je me suis surtout dit que ce serait ça en moins pour le maïs. »

Sur le chemin, tandis que la musique classique continue d’installer une ambiance détendue dans la voiture, il m’explique qu’évidemment il cultive du bio. C’est le minimum. Mais que ce qui lui importe le plus, c’est de cultiver des légumes non-hybrides, des variétés qui ont du goût et dont on n’a pas besoin de racheter les graines chaque année parce qu’elles sont stériles. Sur son rapport à l’agriculture, il prévient tout de suite :

« Je ne prends pas plaisir à me casser le dos. »

L’agriculture et la musique complémentaires

C’est d’abord un idéal politique qui le motive :

« Ce n’est pas vraiment un choix. Je me sens obligé par les générations devant moi. Et puis l’agriculture m’inspire. Ça et la musique, c’est complémentaire, l’un nourrit l’autre. »

À notre arrivée à Orbey, au centre Steiner des Sources, les élèves handicapés de Gabriel l’attendent avec enthousiasme. Il y a quelques jours, leur prof soufflait ses 34 bougies. Chacun l’a gardé en tête et l’accueil avec un « Joyeux anniversaire Gabriel ! »

Dans la salle de musique, Gabriel installe en rond autour du piano ses cinq premiers élèves du jour. Pipeau, hang, tambourin… Chacun choisit son instrument. Gabriel emporte son groupe pendant une heure d’improvisation musicale salvatrice.

Gabriel Willem avec deux de ses élèves au centre pour handicapés Les Sources à Orbay. (Photo CG / Rue89 Strasbourg / cc)

À la sortie, l’intervenant nous confie le défi que constitue ces séances :

« J’essaie de toujours les challenger et c’est beaucoup d’énergie. La musique de certains est moins audible pour notre oreille habituée à de l’harmonie, mais en fait c’est magnifique. Et puis j’aime les voir heureux. »

Heureux, Gabriel aussi semblait l’être au piano. S’il joue de cet instrument depuis ses cinq ans. Le trentenaire confie avoir mis du temps à reconnaître sa vocation :

« J’arrive à dire que je suis pianiste depuis trois ans. J’ai mis quelques années à savoir où j’allais. Combiner toutes mes activités est une manière de ne pas mettre ma réflexion dans un cadre trop serré. Je ne suis pas mono-tâche. C’est la vie sous tous ses aspects qui m’intéresse. »

« Jouer le jeu »

Il admet que jongler n’était pas toujours simple au début :

« Je pouvais être au champ de 8 à 10h puis donner une leçon de piano avant d’y retourner… »

Mais il est déterminé à montrer que « c’est possible de faire les choses autrement » :

« À la base, je suis plutôt quelqu’un de fainéant et contemplatif. J’ai vraiment dû me mettre un coup de pied au derrière. Il est hors de question que mon projet soit taxé d’utopique. Ce serait trop facile de tomber dans le cliché du fumeur de joints idéaliste. Bien sûr on m’a pris pour un blaireau au départ. Les Alsaciens sont très carrés. Alors, il faut jouer le jeu, sans se laisser changer pour autant : d’abord on fait un jardin de maraîchage qui marche et après la culture vient petit à petit. »

« Ramener la vie au champ »

À terme, Gabriel souhaite organiser des événements culturels sur l’exploitation chaque semaine et accueillir des résidences d’artistes.

« Le champs c’est l’endroit où la vie pousse. On veut ramener la vie aux champs. »

Je ne veux pas perturber la deuxième leçon du jour et reste à contempler les nuages sur la terrasse de la maison avec Marie. À la pause, Gabriel m’entraîne dans la cuisine de l’établissement pour un café. Un groupe de résidents prend le sien dans la salle à manger. Je fais connaissance avec Henri qui m’explique, souriant, son quotidien aux Sources et détaille la préparation commune des repas.

Attablé dans la pièce en inox, Gabriel m’explique ensuite l’intérêt de l’improvisation en musique :

« Improviser au piano c’est jouer des notes que tu n’as pas prévues à l’avance, te laisser surprendre et t’adapter ; mais avec un cadre puisque tu connais le langage de la musique. C’est un état d’esprit de savoir improviser. Quand tu fais une fausse note, soit tu pleures soit tu rebondis. Et alors c’est plus une question de bien ou de pas bien, mais d’avec ou sans le cœur. »

Entre « discipline et foutoir »

Le maraîchage lui a permis de consolider son envie d’improviser, explique-t-il :

« Par exemple tu as prévu de faire du désherbage de carottes et il pleut. Alors tu inventes sur le moment et ça entretient ta vivacité d’esprit. »

La discipline n’est pas un principe du maraîcher :

« Bien sûr, physiquement, tu apprends vite la discipline quand tu dois faire des journées de 4h30 à 22h l’été. On a en tête la caricature de la permaculture où tu attends. En fait, ce n’est ni très discipliné ni le foutoir. C’est comme la vie : ça se passe bien quand il y a de la mixité. Dans un champ si c’est très propre, il y a souvent plus de maladies. Par exemple contre les doryphores ravageurs de pommes de terre, tu mets du lin à côté. Contre les pucerons tu plantes des œillets d’Inde. Ce n’est pas du foutoir. Je ne vois pas un jardin comme quelque chose de propre. C’est ça qui a fait le succès du glyphosate. Je crois au contraire dans les plantes indicatrices. Si j’ai un problème de limace quelque part, je pars sur une autre récolte. C’est tout l’intérêt de la polyculture, ça permet de se rattraper sur un truc quand l’autre marche pas. Ce qui n’est pas possible en monoculture. »

Ne pas être cloisonné

Pour monter son exploitation, Gabriel a beaucoup lu le chantre québécois de la micro-ferme, Jean-Martin Fortier :

« Lui, il fait ça à la fois pour l’écologie et pour gagner sa vie. C’est hyper pragmatique et concret. L’argent n’est pas un gros mot. Ces lectures m’ont permis d’oser me lancer, puis j’ai appris sur le tas. »

L’ouverture et l’improvisation, Gabriel estime les avoir appris grâce à son professeur de piano, Christian Chassard, aujourd’hui décédé.

« On alternait le piano classique de Jean-Sébastien Bach et le synthétiseur moderne de Jean-Michel Jarre. Tout ça m’a aidé à ne pas être cloisonné. J’ai arrêté le piano entre 14 et 16 ans. Et puis j’y suis retourné après avoir écouté la beauté du premier album de Muse. »

La dernière séance va commencer. Cette fois le public est féminin. Marie rejoint la salle de musique. Quant à moi, je reste toujours à l’extérieur et fait la rencontre d’un jeune homme dont je n’arriverai pas à connaître le prénom. J’apprends que ses parents vont venir le chercher vendredi, donc le lendemain, et que cette perspective l’enchante. En attendant, il me prie, interminablement, de rester pour le dîner.

La journée se termine pour Gabriel et nous rejoignons sa voiture sous une pluie battante.

(Photo Léa Pallages)

Nourrir une capacité d’émerveillement

Au sec, je lui demande ce qui le rend optimiste :

« Dans notre charte, on s’engage à toujours pousser les gens à nourrir leur capacité d’émerveillement. Et justement, les enfants qui viennent visiter le champs sont émerveillés. En repartant, ils veulent cultiver des légumes et jouer du piano. L’écoute et l’envie des enfants me donnent de l’espoir. La nouvelle génération est hyper-ouverte. »

Le musicien-maraîcher ne s’en cache pas :

« Je veux participer à changer le monde, sans croire au messie. »

Son plus grand inspirateur ?

« Je m’inspire de tous ceux qui ont lutté contre le conformisme. Et je suis surtout un grand fan du Racing club de Strasbourg. Je pense souvent à la devise de Marc Keller : “humble et ambitieux à la fois.” »


Des Strasbourgeoises et des Strasbourgeois mieux connus par leurs exploits ou leurs réalisations en dehors de l’Alsace que par leurs voisins. Et cette série d’articles est là pour changer ça !

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