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Un peu, beaucoup, à la furry

Qui sont les furries ? Ces adultes fascinés par l’univers antropomorphe et qui aiment revêtir des costumes d’animaux ont le plus souvent mauvaise réputation. Doux-dingues, gamins attardés ou fétichistes pervers des peluches ? Rencontre à rebours des clichés avec des membres heureux et fiers d’une communauté où ils ont pu apprivoiser leur part humaine.

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Sur la table, deux têtes glabres d’oiseaux fixent le visiteur, l’un a les yeux rouge vif, l’autre bleu perçant. Un crâne de chien, regard vert et truffe grise, la tête entourée de chatterton, affiche un petit rictus, mi-amusé, mi-menaçant. Sur un portant est suspendu son corps sans tête, bardé de gros scotch, telle une momie. Et dans des bacs en plastiques transparents, on devine des mètres de poils et des poignées de plumes multicolores.

Bienvenue à Illkirch, dans la tanière de Leosca. Furry et « maker » pour la communauté du même nom. Si on veut traduire le jargon : Leosca est tailleuse de costumes anthropomorphes. Elle donne forme à des « fursonas », ces personnages en fourrures que des humains ont imaginés, leurs doubles fantastiques à poil ou à plumes, plantigrades ou digitigrades. Et la créativité n’a pas de limite.

Dans l’atelier de Leosca (Photo SW / Rue89 Strasbourg / cc).

Le « phénomène » suscite la curiosité, mais le plus souvent les moqueries, voire un regard entendu. Qui sont-ils, ces grands enfants attardés qui aiment s’habiller en peluche géantes ? La communauté serait aussi un repaire de fétichistes, des pervers qui aiment à forniquer vêtus de fourrures synthétiques et coiffés de têtes de nounours. Fantasmes ou réalité ?

Les animaux fantastiques

Leosca veut justement combattre les clichés. Pour cette jeune femme de 32 ans, la communauté ne compte ni plus ni moins de pervers que d’autres. Elle explique comment elle est arrivée dans cet univers furry :

« Je traînais beaucoup dans les fêtes médiévales, les conventions dédiées aux jeux de rôles comme les Alchimistes, ou le Don des Dragons. Je suis aussi fan de jeux vidéos. Une fois, j’ai vu une fursuit (costume) à une Japan Addict convention et je me suis dit : « C’est cool, ça me plaît, j’en veux une ». »

En 2015, elle contacte un maker, mais il est un peu trop directif à son goût et elle a envie de garder la main sur son personnage. Il la laisse tomber, et elle se retrouve à finir de confectionner son costume elle-même, tutos à l’appui. Depuis 2019, elle crée de façon professionnelle. Leosca mesure le chemin parcouru en montrant les progrès réalisés sur les yeux d’un oiseau qu’elle confectionne : 10 à 12 couches de peinture, l’effet lumineux, presque animé, est époustouflant.

Un bras nécessite une demi-journée de travail, un costume requiert jusqu’à deux mètres de fourrure (fausse) et pour un digitigrade il faut compter au moins deux mois pour le costume entier. Les prix varient de 900 à 2 000 euros, avec des éléments, comme les moules à masques en silicone ou certaines fourrures, qui sont importés des États-Unis.

Jeune, Leosca rêvait de faire les Beaux-Arts. Mais devant la réalité financière et le manque de moyens de sa famille, elle préfère s’orienter vers un diplôme en secrétariat-comptabilité. Aujourd’hui, celle qui dit « adorer créer » ne s’épanouit ni dans ses études, ni dans son travail. Finalement, c’est grâce au furry qu’elle renoue avec ses goûts et retombe sur ses pattes.

« Certaines personnes s’identifient totalement à leur personnage et – une fois en costume – ils sont à l’opposé de celui ou celle qu’ils sont dans la vraie vie. C’est un peu celui ou celle qu’ils aimeraient être. Parmi ceux qui me passent commande, pour certains c’est juste un objet. Pour d’autres c’est le but de leur vie. »

La créativité peut être sans limite, mais paradoxalement, la communauté a aussi des règles très rigides sur les canons d’un fursona donné. Il existe des « modèles référencés », et s’en revendiquer suppose de respecter tous les critères, parfois nombreux, détaillés dans des fiches. Attention le Sergal du Nord n’est pas le Sergal du Sud. Et le Dutch Angel Dragon n’a qu’un demi-anneau autour du museau.

Des furries et des hommes

Le fursona de Leosca – baptisé Nosca – lui, est un « hybride aviaire », inspiré d’un oiseau noir et bleu repéré au Muséum d’histoire naturelle : un irène. Elle lui a ajouté de vraies plumes d’oies et de pintades teintes. Puis a équipé son masque d’un ventilateur (on cuit là-dedans) et de LED bleues. Le bec est mobile, il s’ouvre et lui permet de parler.

« Avec Nosca, je peux aller plus facilement au contact, c’est comme un jeu de rôle ; cela facilite beaucoup de choses d’être en costume et ça allume des étoiles dans les yeux des gamins. »

Dans l’atelier de Leosca, sous les yeux d’une peluche tigre, un corps de costume attend sa fourrure (photo SW / Rue89 Strasbourg / cc).

Le sexe ? Pourquoi pas, mais selon la jeune femme cela doit être comme de « faire l’amour avec son canapé » et surtout cela doit rester du domaine privé, et ne pas apparaître en convention. Ces grandes réunions lancées aux États-Unis dans des hôtels dédiés à l’événement, existent désormais en Europe. Certains témoignages rapportent des conduites délurées entre participants. Mais dans l’imaginaire cela va encore plus loin : un épisode de la série policière CSI , intitulé « Fur and loathing » ( « En fourrure et répugnant ») va jusqu’à mettre en scène des orgies et un tueur en série, s’inspire directement de l’univers furry.

On ne peut plume rien dire 

Telle qu’elle est présentée dans les médias ou la pop culture mainstream, la communauté sent donc un peu le soufre et a eu récemment le souci de faire le ménage et d’interdire ces conventions aux mineurs, par principe de précaution. En ce qui la concerne, la maker d’Illkirch dit refuser de confectionner des « mursuit » : les combinaisons furry adaptées, voire appareillées, pour les rapports sexuels.

Dans un documentaire qui retrace les origines du « fandom », la dimension sexy est pourtant bien présente à la naissance de cet univers dans les années 80, en marge des conventions de sciences fictions et comics. Les pères fondateurs étaient des dessinateurs qui se sentaient à l’étroit dans l’univers noir et blanc des comics, dominés par des super héros très normés.

Les personnages qu’ils créent alors prennent des traits anthropomorphes et bousculent les frontières d’un monde étriqué. Objectif : plus de fantaisie, d’inclusivité et de « sex positivity ».

Une communauté inclusive

Ce n’est pas un hasard non plus si de nombreux membres de la « famille » furry, et ce dès les origines, sont issus de la communauté LGBT. 80 % des membres du fandom s’identifient comme LGBTQI selon une étude Furscience Anthrocon. Selon l’un des membres interviewé dans le documentaire cité ci-dessus :  « C’est un univers social très largement queer, où l’art est vu comme un véhicule pour explorer son identité ».

Patricia est une femme trans. Elle le sait depuis des années, mais c’est notamment grâce au furry qu’elle a pu l’assumer pleinement et surtout en parler à ses proches à Wissembourg : famille, amis et collègues. Toujours selon l’étude américaine, la communauté est un endroit « safe » pour explorer la transition : 12,2 % des personnes interrogées s’identifient comme trans, contre 0,6 % dans la population générale. Patricia se souvient de son premier fursona :

« J’ai choisi un panda roux, le plus mignon des animaux que je connaissais à l’époque. Je l’ai customisé pour le rendre plus original avec des ailes. Après quelques années, j’ai décidé de me créer un autre personnage, féminin cette fois, une jaguar. Et puis quelques temps après, j’ai fusionné les deux. C’est à ce moment-là, l’été dernier, que j’ai dit à mes amis que j’étais une femme transgenre. Cela m’a aidée à franchir le pas. »

Puiser sa force dans son double

La trentenaire raconte avoir avancé à petits pas. En nommant d’abord son fursona « elle », puis en mettant en avant ses caractères féminins… L’annonce de sa transition à ses collègues ou à sa mère s’en est suivie, naturellement. Patricia se décrit comme quelqu’un de très réservé qui n’aime pas sortir de sa zone de confort. Quelqu’un qui fuit le contact. Mais lorsqu’elle enfile son costume de Furry Foxus, elle est quelqu’un d’autre : une personne confiante, qui aime aller vers l’autre.

« J’ose davantage avec mon fursuit. J’incarne un autre personnage que moi-même, j’ai bien plus de courage à approcher les gens. Et ces rencontres comptent beaucoup pour moi. »

Fury Foxus lors d’une furwalk au marché de Noël à Paris Photo : document remis

Le furry a beaucoup apporté à la vie de la jeune femme. Elle se souvient de son voyage pour une convention à Pittsburgh, aux États-Unis, et de son costume acheté 1 400 dollars qu’elle revêtait alors pour la première fois : un voyage pour lequel elle a économisé deux ans.

« Cela fait partie de mes meilleurs souvenirs : j’étais dans la file d’attente pour l’inscription, en sueur, dans ma combinaison, et puis le reste du séjour du matin au soir. C’était la première fois que j’incarnais mon fursona. »

Transition à pattes de velours

« Valkia » n’a pas encore franchi le pas du costume complet. La jeune fille, en transition également, vient de passer son bac. En 2020, elle a sollicité les talents de Leosca pour la confection d’éléments de fursuit. Assise dans un café, elle sort sa tête d’oiseau-griffon d’un sac de supermarché, la désébouriffe et la regarde avec tendresse : « Je n’ai pas eu l’occasion de la porter beaucoup », avant de l’enfiler. Avec des pattes noires. Puis elle fixe à sa taille une queue grise et touffue, maintenue par une ceinture.

« Valkia » est une jeune femme en transition. Le furry l’a aidée à trouver sa véritable identité (photo SW / Rue89 Strasbourg / cc).

Valkia est le nom de son fursona, l’adolescente n’a pas encore fait part de sa transition à ses parents, et préfère témoigner sous ce nom-là. Elle raconte que le furry l’a aidée à trouver sa véritable identité.

« J’étais dans un ancien costume à l’Orangerie lors d’une furwalk (sortie en groupe et en costume, ndlr), un canari que j’avais fabriqué moi-même. Une mère a dit à son enfant : « Tu as vu la dame oiseau? » Cela a confirmé ce que je savais déjà. J’en avais déjà parlé à la communauté qui est plutôt ouverte sur ces questions. »

Au départ, c’est la fibre créatrice de Valkia qui l’attire dans cet univers fantastique, où beaucoup d’artistes se rejoignent. L’ado pratique le dessin et réalise des fursonas. Ses clients sont souvent des habitués qui lui demandent des décors et gestuelles variés pour leur persos. Avant de songer à la fursuit, beaucoup se font faire un badge avec l’image de leur double anthropomorphe.

Pattes patrouilles

Un projet d’association est dans les cartons. Les furwalks ont été impossibles durant le confinement, et avec l’été et les fortes chaleurs, marcher dans ces costumes peut s’avérer très pénible. Pourtant c’est l’une des activités préférées des membres du groupe : aller à la rencontre des passants et notamment des enfants.

Valkia n’a pas eu l’occasion de beaucoup porter son costume en extérieur (photo SW / Rue89 Strasbourg / cc).

Mais ces sorties dans les lieux publics requièrent des autorisations, comme toute manifestation. Et se cacher le visage dans la rue, même (ou surtout?) avec une tête d’élan ou d’oiseau, n’est pas toujours bien vu, sourit Leosca.

« Marcher le visage recouvert dans un lieu public peut poser problème. On sentait que les patrouilles vigipirates n’étaient pas détendues quand elles nous croisaient, surtout à la suite de l’attentat du marché de Noël. »

Les furwalks sont souvent accompagnées par des humains sans costume. On les appelle les « helpers ». Chaleur, vertiges : marcher avec une combinaison peut s’avérer difficile ou dangereux quand on en a pas l’habitude. La visibilité est réduite, le visage n’exprime rien, « et certains préfèrent éviter de parler de peur de briser la magie », commente Leosca. En général les interactions se passent bien, mais les regards méfiants de certains adultes blessent parfois les furwalkers rapporte Leosca.

« Le furry serait un truc de dégénérés ? Cela me fait peur d’entendre ça. Est-ce que des gens hésitent à emmener leurs enfants voir un Disney ou Zootopia ? »

Retour dans le café avec Valkia qui montre un dessin de sa fursona en cheerleadeuse : visage réjoui, chaussettes hautes et jupette à plis. L’adolescente compte commencer un traitement hormonal à la rentrée. Elle sait qu’elle devra alors parler de sa transition à ses parents. Sa voix tremble un peu quand elle en parle. La jeune trans attendra de voir les effets du traitement pour s’offrir un costume complet adapté à ses « nouvelles formes ». Un objectif qui lui donne du courage.  


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