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Frédéric Simon invoque les puissances de l’archaïsme pour le Maillon

Frédéric Simon présente sa première saison au Maillon, théâtre de Strasbourg, en tant que nouveau directeur. Une saison de spectacles puissants et reconnus, et d’artistes, locaux ou non, présents sur le terrain. Tous doivent interroger le sens de l’humanité. Tour d’horizon de la saison 2016-2017 au Maillon.

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Après avoir passé un an en préparation et en observation pendant la saison 2015-2016, dont la programmation était encore signée par Bernard Fleury, Frédéric Simon affiche cette fois les nouvelles couleurs du Maillon. Des pointures artistiques, de Maguy Marin à Alain Platel, de Joël Pommerat à Peeping Tom, donnent à cette première saison des marques de références.

On y retrouve aussi des fidélités à ce que l’on connaît du Maillon, comme l’accueil de Radhouane El Meddeb avec Pôle Sud ou le cirque décalé, comme celui, improbable et éminemment féminin, de Mad in Finland. Et puis des surprises. Mais que les aficionados du Maillon se rassurent, la transition devrait se faire en douceur. Les abonnements sont dores et déjà ouverts sur le site du Maillon et les spectacles seront présentés en détails et de façon exhaustive lors des apéros de saison début septembre.

« Mad in Finland » du Collectif MAD (Photo Sébastien Armengol)

L’art contemporain tire sa puissance de l’archaïsme

Pour Frédéric Simon, « l’art contemporain tire sa puissance de l’archaïsme ». Il explique :

« Ce qui relie l’ensemble de la programmation, c’est sa capacité à revenir sur ce qui, pour moi, est l’art contemporain. Je sais que c’est un peu théorique. Mais disons cela l’art contemporain est une réponse à un échec, l’intime conscience que dans l’histoire de l’humanité, à un moment, on s’est raté.

Les différents mouvements de l’art contemporain se sont mis en quête de quelque chose d’archaïque, comme un souvenir de l’avant-humain. Gisèle Vienne, par exemple, explore l’infra-humain, ce qu’on cache sous le tapis. D’autres artistes vont chercher des choses archaïques plutôt dans les rituels, dans ce qui est populaire. Beaucoup de danseurs se sont dit que c’était dans les danses populaires qu’il devait « rester » quelque chose, de non-conceptualisé par la pensée et la transmission écrite.

On peut le voir dans le spectacle d’Alessandro Sciarroni, qui travaille sur les danses populaires autrichiennes, ou Eszter Salamon avec ses rituels de guerre et de combat. On cherche au-delà de ce qui est culturel ou ethnique : on cherche ce qui est humain. Je me sens à l’aise à aller chercher ce qu’il y a d’anthropologique dans le spectacle vivant. »

« Monument 0 : Hanté par la guerre (1913-2013) » (Photo Ursula Kaufmann)

La loi des séries

Cette saison du Maillon amène aussi avec elle une proposition assez neuve : celle de présenter, de façon régulière, plusieurs spectacles – plus ou moins récents-, d’artistes choisis. Certains sont des artistes confirmés, au statut de monstre sacré, comme Maguy Marin, d’autres sont ceux qui montent, comme Radhouane El Meddeb, d’autres enfin sont les petits nouveaux (qui n’en brillent pas moins fort) comme Alessandro Sciarroni.

Beaucoup de danse, pour des spectacles co-accueillis avec d’autres structures culturelles du territoire : Pôle Sud, le TJP. Une phase d’expérimentation pour cette première saison, selon Frédéric Simon, qui devrait permettre de donner un autre regard sur les artistes.

« Cela nous permet d’augmenter la présence d’un artiste : exposer un artiste avec ses différentes facettes pour faire entrer les gens, à travers une discipline, dans un univers plus complexe. »

« FOLKS-S will you still love me tomorrow? » d’Alessandro Sciarroni (Photo Andrea Macchia)

C’est dans le même esprit que Frédéric Simon accueille deux spectacles de Wajdi Mouawad : Soeurs et Seuls, et deux autres de Michel Laubu :

« Concernant Wajdi Mouawad, c’est un artiste que j’apporte dans mes valises : nous sommes en partenariat depuis longtemps. Wajdi est quelqu’un qui cueillent les gens là où ils sont pour les emmener à un endroit très éloigné du monde, qui est la tragédie classique. Que ce soit pour Soeurs ou Seuls, ses pièces « domestiques », on commence presque avec une pièce du privé ou une sitcom et on finit avec une tragédie grecque. Ça a l’air très formel mais en fait on ne s’en rend pas du tout compte. On glisse de l’infra-ordinaire à l’héroïsme. »

« Soeurs » de Wajdi Mouawad (Photo Pascal Gély)

Obsession d’indisciplinarité

Frédéric Simon tient à remettre en question les codes traditionnels du spectacle vivant, le rapport frontal entre la salle et la scène, la lumière et l’ombre. Cela tombe à pic, puisque c’est aussi l’une des revendications identitaires du Maillon, quasiment depuis sa création : les indisciplinaires.

« Bounce! » (Photo Gaellic)

C’est, selon Frédéric Simon, en cassant ces codes que l’on peut donner à voir des spectacles qui soient saisissables par toutes et tous, sans pré-requis :

« Il y a de la danse, du théâtre sans texte, du texte rituel. Je pense à la manière dont Tiago Rodrigues monte cette tragédie de Shakespeare, Antoine et Cléopâtre : il en fait une espèce de musique d’amour, de douceur inattendue, comme des enfants, avec cette langue portugaise.

C’est pareil pour Joris Lacoste pour Suite N°2 avec L’Encyclopédie de la parole : il a trouvé des textes sur internet dans diverses langues qu’il fait interpréter par des comédiens qui ne sont pas de cette langue là. Cela donne un bruit de fond de l’humanité, qui parle, tout le temps. Le décalage entre les langues parlées et les corps des comédiens jettent le trouble – cela peut toucher n’importe qui. »

Des propositions hors-cadres

Une pièce se joue uniquement dans des classes – et est donc hors programmation, réservée aux élèves – : Master, de David Lescot et Jean-Pierre Baro. Une autre est un concert à l’envers, ou un spectacle à compléter, vous en êtes le héros à chaque fois : Myousic et Grande- . Une autre se passe d’humains, et l’affirme : c’est le Rimini Protokoll qui présente Nachlass – Pièces sans personnes. Une dernière enfin, Cold Blood, se joue avec les doigts. Et bien sûr il y a celle qui va durer, longtemps, une expérience théâtrale en collaboration avec le TNS et créée au Festival d’Avignon : 2666.

« Cold Blood » (Photo Julien Lambert)

Rodolphe Burger entre à la Cathédrale, Premières sort ses dernières

L’un des événements pour les Alsaciens pourrait bien être une date, unique, de concert de Rodolphe Burger à la Cathédrale : un monument local dans un autre. Entre amour et sacré, faisant le pont entre différentes cultures autour d’une certaine idée, poétique, de l’universel, Rodolphe Burger invite ses compagnons d’art à donner leur version du Cantique des Cantiques, en hommage au poète palestinien Mahmoud Darwich.

Un autre événement, déjà annoncé lors d’une conférence de presse tripartite il y a quelques semaines, est une sorte de dernière pour le Festival Premières, qui se fera en décembre. En attendant de trouver sa nouvelle forme, le festival va émettre son chant du cygne avec la présentation d’un spectacle vu dans le cadre du festival, Ibsen : Gespenster et avec une création d’un jeune metteur en scène déjà accueilli, lui aussi, pendant le festival, Prodromos Tsinikoris, accompagné cette fois d’Anestis Azas.

« Le Cantique des Cantiques » de Rodophe Burger (Photo Sebastien Klopfenstein)

Le modèle des « maisons de la culture »

Frédéric Simon veut considérer la mission du Maillon selon le modèle des « maisons de la culture » : des endroits vivants, ouverts sur le territoire, où les gens sont les bienvenus et où les salariés et les artistes vont à la rencontre des gens à l’extérieur. Son projet va donc, au-delà de la programmation et en lien, ou non, avec celle-ci, par-delà les murs, pour « être en mouvement » :

« Nous devons sortir pour aller entendre comment raisonne notre parole quand on est loin d’ici. Nous allons faire cela avec des artistes en les maillant, ceux qui passent et ceux qui restent. On aura des débats avec Wajdi Mouawad et avec Joël Pommerat, car ce sont des gens avec qui on parle beaucoup du réel, mais aussi avec des artistes d’ici, comme Ramona Poenaru, que j’ai rencontrée à Cluj [en Roumanie] et qui travaille sur des cabanes avec Gaël Chaillat quand nous nous intéressons à l’habitat. »

Bouger, avec « Le Mouvement de l’air », accueilli avec le TJP et les Migrateurs (Photo Romain Etienne)

Trois quartiers vont être au cœur du travail du Maillon la saison prochaine : Hautepierre, comme une évidence, le Port du Rhin, car les Roms et les gens du voyage ont des choses à partager sur « nos propres absences de libertés », et puis Koenigshoffen, « un quartier enclavé, qui n’existe peut-être pas vraiment dans l’imaginaire collectif, car on n’y passe pas. »

Hautepierre, le Port du Rhin : aller au devant des publics par les territoires

Au sujet d’Hautepierre, Frédéric Simon a des ambitions, qui viendront sans doute alimenter les discussions actuelles à la Ville de Strasbourg :

« Il faut qu’on explique qu’on est là, avec les collègues, les Migrateurs et les autres, le TJP, les Percussions de Strasbourg. Ce bâtiment est un mausolée, qui a brûlé un jour, qui n’a pas de forme, ni dans l’espace public, ni dans l’inconscient collectif. J’aimerais mettre un chapiteau devant, pour signaler qu’il y a du théâtre dedans. On pourrait penser, à plusieurs, la saison du Théâtre d’Hautepierre. »

Le Port du Rhin n’est pas moins exposé aux regards et aux projections diverses et variées en ce moment, avec la refonte urbaine du quartier. C’est le travail avec les gens du voyage, plus précisément, qui intéresse Frédéric Simon :

« Je trouve, dans ce quartier en train de basculer, des gens avec qui j’ai déjà travaillé ailleurs, qui sont les invisibles, souvent considérés plus comme des problèmes que comme des humains : les gens du voyage. C’est avec eux que j’ai envie de tester le bout de la France, une vie autonome qui s’était créée en lisière d’un monde. »

« Mitleid – Die Geschichte des Maschinengewehrs » de Milo Rau (Photo Daniel Seiffert)

L’idée est bien sûr de travailler avec les structures et compagnies déjà à l’œuvre sur ces territoires, de mettre à la disposition des travaux déjà engagés une certaine possibilité de « permanence » assurée par les ressources du Maillon. Frédéric Simon sait déjà que, « parfois, ce sera dur ». Il fera avec.

L’Allemagne en ligne de mire

Frédéric Simon rêve déjà d’investir aussi le terrain de l’Allemagne, ce « bel angle mort de Strasbourg ». Passionné par le bilinguisme et le rôle des jeux théâtraux dans la petite enfance, il travaille en ce moment à la création d’un festival jeune public franco-allemand dans les années à venir.


#frédéric simon

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