Françoise d’Eaubonne (1920-2005) a mené un destin extraordinaire: autrice d’une cinquantaine de livres, elle est cofondatrice du Mouvement de libération des femmes (MLF) en 1968, et du Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR) en 1971. Elle est de tous les combats féministes, écologiques, libertaires, et malgré cela, elle demeure inconnue.
La réalisatrice Manon Aubel fait un travail salvateur en mettant en lumière cette personnalité qui a tout remis en question. Mère de deux enfants, elle déclare : « J’ai été un très bon père » car elle a choisi son indépendance et son travail. Dans son essai Le féminisme ou la mort, paru en 1974, elle dénonce la violence du patriarcat sur les femmes, les gays, la Terre et crée le concept d’écoféminisme : un humanisme dont l’objectif est la « gestion égalitaire d’un monde à renaître ». Idée qu’elle met en scène dans un roman, Les Bergères de l’apocalypse, qu’elle qualifie de « roman de science-fiction post-patriarcal ». En 1975, elle participe aux nombreuses manifestations anti-nucléaires en Alsace et à un attentat sur le chantier de la centrale de Fessenheim. Il s’agit, selon elle, de « visibiliser la violence de l’État et du capitalisme ».
Face à cette effervescence d’idées et d’actions, Manon Aubel livre un documentaire à l’image de Françoise d’Eaubonne : extrêmement riche car les archives sont foisonnantes et féministe, notamment grâce aux témoignages de son fils Vincent, de son petit-fils l’écrivain et réalisateur David Dufresne et au dialogue entre trois femmes passionnées par l’écrivaine : l’éditrice Isabelle Cambourakis, sa biographe Élise Thiébaut et l’historienne Caroline Goldblum.
Rue89 Strasbourg : Comment avez-vous découvert Françoise d’Eaubonne ?
Manon Aubel : En faisant un reportage chez son fils, Vincent d’Eaubonne, je tombe sur les livres de Françoise dans sa bibliothèque et je suis interpellée par les titres comme Le féminisme ou la mort. On est en plein contexte #Metoo et je suis en train de lire Sorcières de Mona Chollet donc forcément je suis intriguée par cette féministe que je ne connais pas. Il se trouve que Caroline Goldblum venait de sortir son livre Françoise d’Eaubonne et l’écoféminisme. Je le dévore et je fais des recherches : je me rends compte qu’il n’existe aucun documentaire sur elle. Dans le même temps, je me rends à Bure, en Meuse, auprès des opposants au centre d’enfouissement des déchets nucléaires et je participe pour la première fois à des réunions en non-mixité, cette force du collectif m’a énormément inspirée.
Qu’est-ce que qui vous plait le plus chez elle ?
Plein de choses ! Je suis impressionnée par le côté foisonnant de sa création, le fait qu’elle soit pionnière sur les questions de genre, mais aussi l’écrivaine de science-fiction, j’adore sa poésie… Elle est très libre et fertile, totalement fascinante ! Elle a questionné la maternité de façon très intéressante. Elle a des enfants mais choisi de les faire élever par d’autres membres de sa famille. Pour elle c’est une responsabilité collective. C’est difficile de créer et d’être mère. Comment fait-on pour travailler, gagner sa vie ? Moi même devant concilier ces contraintes, le mouvement féministe actuel m’a beaucoup aidé pour porter ce film, je me suis sentie soutenue. J’ai l’impression d’apporter une petite pierre à une construction collective intense, à un matrimoine. Nous avons besoin de modèles de femmes, diversifiés. Françoise d’Eaubonne a elle-même écrit beaucoup de biographies sur des femmes, dans cette idée de transmission. Son parcours est extrêmement inspirant. Je crois que ce qui me touche le plus, c’est son courage.
Pourquoi la connaît-on si mal ?
Parce qu’on vit dans le capitalisme patriarcal et que jusqu’à présent on n’a pas accordé aux femmes la place qu’elles méritent ! De plus, ses idées, qui dérangent toujours, dérangeaient encore plus à l’époque… Je suis tombée sur tant d’archives géniales qui n’ont jamais été montrées ! J’ai tenu à faire dialoguer ensemble des intellectuelles qui ne sont pas assez entendues non plus. Caroline Glodblum, Isabelle Cambourakis et Elise Thiébaut ne se connaissaient pas et leur rencontre a été très riche. David Dufresne a pris la parole pour la première fois publiquement sur sa grand-mère, Alain Lezongar, le fils adoptif de Françoise a retrouvé Vincent, etc.
Comment avez-vous rencontré la société de production strasbourgeoise Sancho & Compagnie pour monter le projet ?
J’ai fait une résidence d’écriture à Nantes et c’est quelqu’un sur place qui m’a donné le contact de plusieurs boîtes de production. Laurent Dené, producteur de Sancho & Compagnie, a tout de suite été partant, d’autant plus qu’il connaissait quelqu’un relié à Françoise. Il a l’habitude d’accompagner des premiers films, ce qui m’a rassurée.
Avez-vous eu des difficultés pour contacter des sources ou avoir recours aux archives ?
Les seules archives auxquelles je n’ai pas eu accès sont celles de la police, j’étais très intéressée par ce que les Renseignements généraux pouvaient savoir sur elle, mais ça n’a pas été possible. Je me suis appuyée sur le travail de Caroline Goldblum sur cet aspect. La fille de Françoise n’a pas souhaité témoigné directement, j’ai échangé par mail et par téléphone, mais elle a préféré garder ses distances, ce que je respecte. Le fait d’avoir eu le témoignage de David Dufresne, son fils, la relie quand même à Françoise.
À part cela, la documentation sur Françoise est incroyable, elle a légué ses archives à l’Institut mémoire de l’édition contemporaine (Imec). Bien sûr, c’est très réglementé et il a fallu âprement négocier pour créer la scène où les trois chercheuses donnent l’impression de fouiller librement dans les archives. Elles sortent des photos et des écrits de tout un tas de boîtes, qui représentent bien le personnage de Françoise qui a brassé tellement de domaines.
Y a-t-il des questions que vous continuez à vous poser sur Françoise d’Eaubonne ?
Je n’ai pas encore exploré le terrain de la spiritualité. Je sais que c’est une question qui lui importait, elle a quand même écrit l‘Évangile selon Véronique ! Dans son rapport à l’écriture aussi : quand on écrit, on entre dans une sorte de transe… Dans les mouvements écoféministes d’aujourd’hui, on interroge beaucoup les croyances et ce en quoi on peut croire pour construire un avenir souhaitable.
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