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En 2019, ST-ART a invité le design mais a oublié l’art vidéo

La 24e édition de ST-ART s’est tenue dans un parc des expositions temporaire. Cette foire européenne d’art contemporain met aussi en avant le design parmi les arts plastiques… tout en négligeant l’art vidéo.

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N’allez plus chercher ST-ART au Wacken, mais derrière le lycée Kléber ! En attendant la construction du nouveau Parc des expositions, c’est sous une infrastructure temporaire voisine de l’hôtel Hilton qu’ont été installées plus de soixante-dix galeries.

Vue d’ensemble de ST-ART 2019 (Photo : Aude Ziegelmeyer)

Après avoir exposé le Museu Picasso Barcelona en 2018, l’édition 2019 de ST-ART a proposé, selon sa directrice artistique Patricia Houg, « une introduction au design par l’objet de l’assise. » Au milieu des stands, des rééditions de chaises ayant marqué l’histoire du design ont été exposées : de la chaise Zig Zag de Gerrit Rietveld (1932) à la chaise longue Lockheed Lounge LC-1 de Marc Newson (1985). Au fond de la salle, cinq exemples de peinture de genre ont été installées aux côtés d’un siège correspondant à celui peint sur la toile.

La chaise : objet phare de l’exposition

Dans ce même échange transdisciplinaire, la foire s’est ouverte sur l’objet-siège de l’artiste et designer franco-argentin Pablo Reinoso. Intitulée Banc Saint-Germain, l’imposante sculpture constituée de tiges d’acier peintes en noir représente le matériau même qui le constitue : une poutrelle en acier, qui se serait affranchie de sa fonction et de sa nature pour devenir une assise au caractère vivant, végétal.

Il était ainsi possible de s’asseoir sur les ramages les plus ordonnés qui composent l’oeuvre, tandis que ceux à l’état sauvage s’élèvent et forment son noyau. Issu de la série « Scribbling Benchs« , le Banc Saint-Germain incite à partager un moment de pause au sein d’une œuvre mêlant art contemporain et design. Pablo Reinoso, explique :

« Les lectures de ce banc sont différentes en fonction du lieu où il est exposé. À Paris, dans une architecture du 18e arrondissement, son allure était très classique, puis, je l’ai mis dans un parc et il est devenu complètement végétal. À ST-ART, j’y vois un nouvel aspect, comme un dessin dans l’air. »

Pablo Reinoso, Banc Saint-Germain, 2015 (Photo Aude Ziegelmeyer)

Briser la frontière oeuvre-spectateur

L’installation rappelle l’oeuvre de l’artiste conceptuel français Bernar Venet, visible sur le chemin menant à ST-ART, au milieu de la place de Bordeaux. Cette sculpture abstraite, Ligne Indéterminée, en acier noir, représente la « matérialisation métallique du geste du sculpteur » (CEAAC) depuis 1990. Pourtant, le hasard est le plus total et Pablo Reinoso s’enthousiasme de la nouvelle lecture qu’il découvre à sa sculpture, sans faire de lien avec celle qui trône au centre du terre-plein, quelques rues plus loin.

Les oeuvres de Reinoso et Venet trouvent surtout leurs similarités dans leur scénographie. Celle de Venet nécessite que son spectateur traverse la pelouse qui l’entoure pour s’en approcher et accéder à sa description sur un petit écriteau. Celle de Reinoso, exposée à ST-ART, suppose que le visiteur aille de lui-même s’y asseoir. Mais traverser une pelouse ou s’asseoir sur une œuvre présentée dans le cadre d’un événement artistique relève pour beaucoup de l’interdit.

Le grand absent : l’art vidéo

L’installation, l’art vidéo, la performance, le happening et bien d’autres pratiques se font leur place parmi les collections muséales aux côtés des traditionnelles peintures et sculptures. Aujourd’hui, les œuvres d’art audiovisuelles sont omniprésentes dans la création artistique, particulièrement choisies par les jeunes artistes.

En parlant d’eux, comment ne pas penser à l’artiste et réalisateur colmarien Clément Cogitore, aux œuvres de la vidéaste Mali Arun (jusqu’au 16 février au CEAAC) ou encore à celles de la berlinoise Nina E. Schönefeld, dont la Galerie La Pierre Large, à Strasbourg, expose les films d’anticipation jusqu’au 21 décembre !

Pourtant, pas de trace de ce médium à ST-ART. Pour citer Patricia Houg : « les premiers directeurs artistiques de ST-ART, sont les galeristes. » Certes les galeries exposées sont sélectionnées par un jury, mais ce sont bien elles qui proposent le contenu de ST-ART. Où sont donc les représentants de ce médium propre à notre siècle hyperconnecté ? Si Art Basel Miami propose un espace dédié à l’art vidéo, le parc éphémère de ST-ART ne permet pas les mêmes dispositions que celles de cette grande foire. Il est toutefois regrettable qu’il soit complètement absent d’un événement visant à représenter la création artistique actuelle.

Vue du stand de la galerie française de design The Sloughis Design (Photo : Aude Ziegelmeyer)

Un verre qui ne tient qu’à un souffle…

Également boudée par la foire, la performance s’est invitée le soir du vernissage sur le stand de la European Studio Glass Art Association (ESGAA) par le biais de Juliette Defrance, artiste diplômée en 2018 de la Haute École des Arts du Rhin (HEAR) mention Art-Objet. Au centre d’un petit espace plongé dans le noir, un spot lumineux éclaire une baignoire remplie d’eau. L’artiste, nue, est emprisonnée de la tête jusqu’aux cuisses par une plaque de verre posée à la surface de l’eau. Seules ses jambes dépassent du dispositif. Submergée, elle respire par le biais d’une « gorge de verre », un orifice dans la paroi qu’elle a façonnée. Ses gestes sont lents ou inexistants. Quelques fois, ses bras cognent la paroi sans qu’elle puisse s’en libérer puisque sa survie dépend de ce baiser.

À peine entrées, plusieurs personnes quittent précipitamment la pièce. « Désolée, je n’ai pas pu (rester, ndlr) », avoue une jeune femme à son amie. La performance d’une durée de vingt minutes, intitulée Danaé, réinterprète de manière critique et féministe le mythe grec de Danaé et la pluie d’or, et ainsi, le viol de la jeune femme par le dieu Zeus. Face à la détresse de Danaé, deux possibilités s’offrent à nous : l’observer en voyeur ou en soutien, ou fuir et l’abandonner à son funeste destin. Bien que ses assistants l’encadrent pour prévenir le moindre accident, « le risque de faire un malaise n’est jamais très loin », explique l’artiste.

Juliette Defrance, Danaé, performance (Photo Aude Ziegelmeyer)

La commercialisation de la performance

La présence de Juliette Defrance et de son action au cœur de ST-ART pointe du doigt la question de la commercialisation de la performance. Ces dernières peuvent être vendues et achetées : certains artistes proposent des protocoles pour reproduire la performance, vendent les reliques ou le film qui en résultent, d’autres s’engagent une fois l’œuvre acquise à venir la réaliser pour l’acheteur. Si ce n’est pas encore le cas de ST-ART et de ses galeries, la foire bruxelloise A Performance Affair soulevait en septembre ces mêmes problématiques dans le but de faire entrer la performance sur le marché de l’art.

Pour sa 24e édition, la foire strasbourgeoise présentait des choix autant visuels que commerciaux plus diversifiés et enthousiasmants que les années précédentes, malgré le nombre restreint de galeries. La disposition des stands au sein de la structure éphémère permettait une circulation agréable au sein de l’espace. Enfin, le focus fait sur les échanges entre les disciplines et sur l’apport du design dans l’histoire de l’art, bien qu’encore timide, augure de belles choses pour les éditions futures. À condition que des pans entiers de la création artistique actuelle ne soient plus mis de côté.

Vue du stand de la galerie allemande URBAN SPREE et des œuvres de l’artiste Hendrik Czakainski (Photo : Aude Ziegelmeyer)

#Art contemporain

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