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La fleur au fusil, avec ces jeunes qui deviennent chasseurs

Alors que les Français sont de plus en plus nombreux à être opposés à la pratique de la chasse, le nombre de chasseurs reste stable, autour d’un million dont 7 000 en Alsace. Parmi eux, quelques jeunes, qui s’initient à cette pratique le plus souvent par tradition familiale, mais également par besoin de « renouer avec la nature ». Rencontre avec ces chasseurs qui modernisent (un peu) les pratiques.

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C’est un étrange ballet que celui de la dizaine de 4×4 qui s’attroupe en ce dimanche matin autour de l’étang de pêche de Kaltenhouse, à 30 kilomètres au nord de Strasbourg. Le thermomètre affiche -4°C, le café, généreusement arrosé de schnaps, fume dans les mains des chasseurs aux mines encore un peu endormies.

L’herbe est blanche de givre. Peu importe pour Michel, Sébastien, Isabelle et les autres, venus chasser, comme presque tous les dimanches. Tout le monde se connaît, se serre la main et échange quelques mots. On discute chiens, permis de chasse et armes, mais pas n’importe lesquelles : la plupart des chasseurs présents chasse à l’arc.

Ici un arc à poulies, forme la plus moderne de l’arc utilisé en chasse, et la plus puissante. Les flèches utilisées sont faites de carbone ou d’aluminium, ou d’un mélange des deux. (Photo RB / Rue89 Strasbourg)

La joyeuse compagnie s’agite vers 9 heures : Stéphane Freiburger, vice-président de l’ACABR (Association des Chasseurs à l’arc du Bas-Rhin) rassemble les troupes. Il est chargé de donner les consignes et d’organiser les traques.

Ce matin, trois traques sont organisées, durant chacune entre une heure et une heure et demi. Les rôles de chacun (« rabatteur », ou « tireur ») sont définis, et tout le monde se souhaite bonne chance, par un tonitruant « Weidmannsheil », que l’on répètera à la fin de la chasse.

Étonnamment, les chasseurs présents sont relativement jeunes : la moyenne d’âge se rapproche des 40 ans. Nicolas, 11 ans, est le plus jeune ; cela fait 6 ans qu’il accompagne son père. Il passera probablement, comme beaucoup de fils et filles de chasseurs, son permis de chasse quand il aura 16 ans.

Le permis de chasse est délivré par l’ONCFS à la suite de deux épreuves : une épreuve technique, qui vérifie que le chasseur sait manier une arme et une épreuve théorique, portant sur la connaissance des espèces sauvages, des différents types d’armes, et la réglementation de la chasse. (Photo Rue89 Strasbourg)

Une tradition familiale

Beaucoup des jeunes rencontrés, qui ont passé leur permis ou s’apprêtent à le faire, suivent les pas d’un grand-père, d’un oncle ou d’un parent. Joshua, bientôt 22 ans, a accompagné son grand-père dès l’âge de 3 ans, et passé le « permis de chasse accompagné » :

« C’est comme la conduite, ça permet à chaque jeune à partir de 15 ans d’accompagner un chasseur expérimenté, et d’apprendre à utiliser une arme. Moi j’ai appris avec le vieux fusil de mon grand-père. »

Il a ensuite passé son « vrai » permis à 16 ans, et chasse depuis, avec ses copains, dans le secteur de Gundershoffen, à la lisière du Parc naturel des Vosges-du-Nord.

Comme Joshua, beaucoup de ces jeunes chasseurs mettent en avant une « passion », un « héritage familial ». Gérard Lang, le président de la Fédération des chasseurs du Bas-Rhin, le reconnait volontiers :

« Les jeunes chasseurs que nous comptons dans notre fédération sont très souvent eux-mêmes fils de chasseurs. Mais la majorité de nos nouveaux adhérents sont des jeunes retraités qui ont le temps et l’argent pour chasser. Quand on a 20 ans, on n’a pas forcément le budget pour aller chasser tous les week-ends… »

« Une passion difficile à expliquer »

Si de nombreux jeunes chasseurs sont eux-mêmes fils ou filles de chasseurs chevronnés, certains au contraire sont arrivés dans le milieu sur le tard : c’est le cas de Céline, 27 ans, initiée par son compagnon, et qui a passé son permis en 2016. Nulle trace de chasseur dans sa famille : cette jeune femme à la voix douce, qui chasse du côté d’Ichtratzheim et de Mollkirch, a commencé par le tir à l’arc :

« J’étais archère avant de chasser,  j’ai débuté à 16 ans, avec un arc classique. J’ai commencé à sortir en forêt avec mon compagnon qui a passé son permis en 2012, juste pour voir les animaux. Mais à un moment cela ne me suffisait plus, j’étais frustrée de juste les voir. J’ai passé mon permis en avril 2016, et j’ai suivi une formation dans la foulée sur les spécificités de la chasse à l’arc. »

Elle préfère ce mode de chasse, plus respectueux, dit-elle, de l’animal :

« Quand on chasse à l’arc, on doit être beaucoup plus proche du gibier, entre 20 et 40 mètres environ, car l’arc a une portée plus faible que la carabine. Et comme la flèche est coupante comme une lame de rasoir, c’est « plus propre » qu’une balle. On a déjà vu des animaux qui étaient atteints par une flèche, et ne se rendaient compte de rien, continuaient à brouter, et s’effondraient quelques minutes après. Alors qu’un animal touché par une balle, il la sent passer… »

La chasse à la carabine, c’est pourtant le choix d’Adeline, 20 ans, la compagne de Joshua. Elle ne vient pas non plus d’une famille de chasseurs, mais s’y est mise après avoir accompagné son compagnon lors de ses sorties :

« J’ai commencé à accompagner Joshua à la chasse il y a un an, et ça m’a plu. Je ne saurais pas expliquer précisément pourquoi, c’est d’adrénaline, l’envie de chasser, pas forcément l’envie de tuer. »

Différents types de chiens assistent les chasseurs : les « chiens d’arrêt », qui indiquent au chasseur la présence d’un animal à proximité ; les « chiens de rapport », qui ramènent le petit gibier, canard ou faisan par exemple, au chasseur ; les « chiens de traque », qui permettent de retrouver un animal blessé. (Photo EB / Rue89 Strasbourg)

Des jeunes motivés par la convivialité… et un « retour à la nature »

Les motivations de ces jeunes chasseurs pour aller chasser chaque week-end sont diverses. Quand leurs amis rentrent de boîte de nuit, eux se lèvent, la fleur au fusil. « C’est plus facile de se lever le dimanche pour aller à la chasse que la semaine pour aller au boulot ! La semaine le réveil sonne trois fois, le week-end une seule fois, et on déjà sur le pont », rigole Ludovic, 19 ans, un ami chasseur de Joshua.

C’est l’envie de se retrouver avec les copains qui motive ces jeunes. Joshua et Ludovic, le répètent :

« Quand on va à la chasse, on n’est pas obnubilé par le fait de tirer un animal. On se voit, on rigole, si on ne tire rien tant pis ! L’objectif, c’est plus de passer un bon moment entre amis. C’est ce côté-là avant tout, le côté convivialité, qui fait qu’on se retrouve à la chasse, même si certains chasseurs viennent en voulant tirer le maximum de gibier, comme si c’était une compétition. C’est sûr que ça fait plaisir de ne pas revenir bredouille, mais pour moi, ce n’est pas l’objectif principal. »

Céline, de son côté, insiste sur un certain « retour aux sources », et une forme de fierté de pouvoir « produire [son] steak de chevreuil ou de sanglier » elle-même :

« Ce qui me plaît c’est d’être dans la nature, c’est super agréable d’observer les animaux qui sont très près de nous, les voir dans leur environnement plutôt que sur le bord de la route. Et c’est vraiment une fierté de ramener quelque chose à manger à la maison, de pouvoir nourrir les gens qu’on aime, on a l’impression de pouvoir se débrouiller seul. C’est une forme de retour aux sources. »

Un milieu encore un tantinet macho

Comment se faire une place dans ce milieu habité d’hommes, quand on est une femme ? Du côté de Gérard Lang, président de la Fédération départementale des chasseurs du Bas-Rhin, ça semble mal parti :

« Traditionnellement, c’était l’homme qui allait chasser, et la bonne femme, pardonnez-moi pour le terme, cherchait des racines, des fruits, etc. Et quand l’homme ne lui ramenait pas assez de viande, elle prenait ses mômes et allait voir ailleurs. »

Céline de son côté, évoque la méfiance de ses homologues masculins et les remarques acerbes qu’on lui a parfois adressées (« Mais elle est lourde ton arme, tu vas réussir à tirer avec ça ? »).

Joshua, Adeline et Ludovic, de leur côté, jouent plutôt l’ouverture :

« C’est un milieu macho, on ne peut pas le nier, mais il y a de plus en plus de femmes. Elles sont acceptées au fur et à mesure, surtout par les jeunes. Il devrait même y en avoir plus, ça permettrait de tempérer la violence de certains. »

Ce dimanche matin, elles ne sont que trois parmi la vingtaine d’hommes. Et c’est l’une d’entre elles qui a tiré les deux chevreuils de la matinée, à la carabine cette fois. Interrogée sur la place des femmes dans ce monde d’hommes, Isabelle, la quarantaine passée, se rappelle les remarques désobligeantes qu’elle a parfois entendues :

« En tant que femme, on m’a dit que je devrais donner la vie, plutôt que la prendre. Je l’ai donnée, maintenant j’ai envie d’en profiter. D’aller en forêt, observer les animaux, profiter du calme et du chant des oiseaux… »

Le cor est sonné en début et fin de chasse, accompagné de l’expression « Weidmannsheil », difficilement traduisible, qui souhaite la bonne chance au chasseur, et le félicite en cas de gibier tiré. (Photo EB / Rue89 Strasbourg)

Avant de se rassembler autour d’un repas chaud, les chasseurs forment un cercle autour des deux chevreuils abattus, couchés sur un lit de branches de sapin. On félicite Isabelle, on fait quelques blagues, puis on reprend un air sérieux. C’est Nicolas, 11 ans, qui sonne le cor qui clôture la sortie du week-end, sous le regard fier et attendri de son père. La musique est encore tremblotante, mais la relève semble assurée.


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