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Avec la fermeture du Kelly’s Sibin, Strasbourg perd un pub indépendant pour un énième projet signé Meunier

Le Kelly’s Sibin a fermé ses portes le 3 avril. Ce pub irlandais réputé pour ses bières variées et sa convivialité a été racheté par Franck Meunier qui promet une brasserie thématique pour la fin de l’année 2022. L’ancien gérant, Paul Kelly, raconte la fin d’un établissement indépendant, accélérée par le Covid, un voisin mécontent du bruit et la concurrence des grands propriétaires de bars strasbourgeois.

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Les habitués du Kelly’s Sibin savaient que sa fermeture était proche. Fin mars, ils se donnaient rendez-vous en pensant à chaque fois que ce serait la dernière bière dans ce pub irlandais situé entre la rue du Jeu-des-Enfants et la rue du Vieux-Marché-aux-Vins. L’établissement était unique en son genre à Strasbourg : 420 mètres-carrés d’espace, un billard, un baby-foot et des fléchettes, trois écrans pour suivre les rencontres sportives, une large variété de bières de grands groupes allant de la Guinness à la Kriek, en passant par la Carlsberg, la Kronenbourg ou la Paulaner. Le pub a définitivement fermé ses portes le 3 avril 2022. Deux jours plus tard, la vente du fonds de commerce à Franck Meunier, propriétaire de douze bars et autres restaurants strasbourgeois, était actée.

Entrée du Kelly’s Sibin par la rue du Vieux-Marché-aux-Vins. Photo : Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg / cc

Le Kelly’s Sibin, pour rencontrer des inconnus

Ingénieur chimiste pendant 30 ans, Paul Kelly a décidé de changer de carrière à l’approche de son cinquantième anniversaire. L’Irlandais ouvre un premier pub, le Dubliners, qu’il vend en 2015. Il se souvient de la configuration de son premier établissement, avec des tables et des chaises orientées vers le bar, pour inciter les clients à s’ouvrir aux autres.

En 2016, Paul Kelly a ouvert le Kelly’s Sibin (Sibin en irlandais signifie à l’origine un bar ou un club illicite où des boissons alcoolisées étaient vendues sans licence) avec l’envie de combler « un manque à Strasbourg ». Son projet : créer un endroit convivial « où l’on peut rencontrer des inconnus, parler de tout et de rien et se faire des amis ».

À 65 ans, Paul Kelly avait des envies de retraite. Puis il y a eu un concours de circonstances… Photo : Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg / cc

Six ans plus tard, Paul Kelly a 65 ans et envie de retraite. Les dix employés du Kelly’s Sibin le savaient. Puis il y a eu un concours de circonstances. En juillet 2021, le gérant à la barbe blanche tente de trouver une solution face à un voisin du dessus qui se plaint du bruit : « Il aurait fallu fermer un mois pour que je réalise des travaux estimés à 150 000 euros. J’ai calculé qu’il me faudrait quatre ans pour récupérer l’investissement. Je n’avais pas envie de travailler jusqu’à 70 ans. » Fin 2021, l’ancien ingénieur chimiste reçoit une offre intéressante pour son fonds de commerce. Il n’a pas souhaité nous communiquer le montant proposé par le groupe FHB, dont Franck Meunier est le P-DG.

« C’est difficile de se battre face à de grosses structures »

L’ex-gérant du Kelly’s Sibin évoque d’autres difficultés. Pour Paul Kelly, la concurrence des grands propriétaires de bars à Strasbourg est insurmontable pour des indépendants comme lui :

« De plus en plus, les bars appartiennent à de grands groupes à Strasbourg. Ce sont quatre ou cinq personnes qui ont des grandes puissances d’achat, du coup ils payent leur bière moins chère que moi. C’est difficile de se battre face à de grosses structures qui ont des budgets que je n’ai pas, comme pour la publicité par exemple. »

Paul Kelly : « De plus en plus, les bars appartiennent à de grands groupes à Strasbourg. Ce sont quatre ou cinq personnes qui ont des grandes puissances d’achat, du coup ils payent leur bière moins chère que moi. » Photo : Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg / cc

L’amoureux des pubs irlandais a aussi subi cette concurrence pendant la pandémie de coronavirus. Comme Paul Kelly le rappelle : « Le coronavirus, ça a été un désastre. Malgré la fermeture, je devais payer mon loyer à mon propriétaire privé. Pendant cette même période, de mars à novembre 2020, Franck Meunier n’a pas eu à payer de loyer auprès de la Ville de Strasbourg… » Franck Meunier confirme que pour 3 de ses 12 établissements, ceux dans des bâtiments détenus par la Ville, le paiement a été interrompu pendant la fermeture obligatoire comme pour tous les commerces de ce type. Interrogé sur les bénéfices réalisés au cours des dernières années, Paul Kelly se met à compter sur ses doigts : « C’était toujours ric rac. La première semaine paye les salaires, la deuxième paye le loyer, la troisième sert pour les charges sociales et la quatrième rétribue les fournisseurs. S’il y avait un 31 dans le mois, c’était pour moi. »

Des travaux et un partenariat avec un brasseur

Nouveau gérant du lieu, Franck Meunier parle d’un « établissement vieillissant, avec plein de choses en fin de vie recouvertes de cache-misères ». Le gérant du groupe FHB estime que les travaux coûteront entre 800 000 et un million d’euros pour « tout arracher, des murs au plafond, refaire l’isolation acoustique, et remettre tout aux normes niveau électricité, évacuation et sécurité incendie. »

Le nouveau gérant compte ouvrir une brasserie, « où l’on pourra venir tout au long de la journée pour manger, boire, discuter ou travailler. » Franck Meunier ne souhaite pas préciser la thématique du lieu, « plusieurs pistes sont sur la table. » L’entrepreneur évoque aussi un partenariat avec un brasseur, sans en donner le nom, ni les modalités : « Rue du 22-Novembre, nous travaillons sous l’enseigne d’une marque de bière (Meteor, NDLR), ce qui ne sera pas le cas pour ce qu’on va faire à la place du Kelly’s Sibin. »

Pas d’ouverture avant la fin 2022

Franck Meunier espère pouvoir ouvrir sa nouvelle brasserie pour le marché de Noël 2022 tout en admettant qu’une telle échéance est optimiste. Il promet la création de vingtaine d’emplois à temps plein et invite les éventuels candidats à déposer leur CV dès à présent, à la brasserie Meteor.

Face aux critiques concernant l’emprise croissante de quelques entrepreneurs de la restauration, Franck Meunier parle d’une « idée reçue » :

« Pendant longtemps, on a dit à Strasbourg que quelques personnes possèdent la quasi totalité des bars et restaurants. Mais regardez le nombreux de petits indépendants qui ont ouvert un, puis deux puis trois établissements. C’est le cas du Grincheux ou du Bistrot coco par exemple. Cette rigueur alsacienne, ce côté travailleur fait qu’un établissement tourne bien, du coup les gérants achètent un deuxième ou troisième bar. Regardez le propriétaire du Caupona, il a aussi le Public house. En tout, il gère quatre ou cinq lieux et maintenant il ouvre une micro-brasserie. Pour moi, les “cinq grands propriétaires de bars restaurants à Strasbourg”, c’est une légende… Il y a plus de trente entrepreneurs dynamiques dans le milieu à Strasbourg. On n’a pas à rougir avec d’autres villes. »


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