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À la ferme Herrmann de Duntzenheim, sous la canicule : « On ne peut pas demander à se mettre en télétravail »

Pendant les canicules, les ouvriers agricoles font partie des plus touchés par les risques liés à la chaleur. En juillet, période intense de récolte des fruits et légumes, les employés de la ferme Herrmann de Duntzenheim commencent leur journée à 6h et finissent à midi pour limiter la pénibilité.

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À la ferme Herrmann de Duntzenheim, village agricole au nord-ouest de Strasbourg, il n’a pas plu depuis un mois. Le thermomètre atteint les 20 degrés Celsius ce mercredi 20 juillet, et il n’est que 8h. « On travaille depuis 6h aujourd’hui, parfois on commence même à 5h, c’est la seule solution pour se protéger de la chaleur », témoigne Évelyne Herrmann, gérante de l’exploitation qui produit des fruits et des légumes avec le label agriculture biologique. Elle ajoute :

« Les ouvriers partent à midi contre 17h d’habitude. Moi je recommence souvent en fin d’après-midi, quand le soleil descend un peu. »

Les travailleurs agricoles font partie des professionnels les plus exposés au phénomène de « stress thermique », selon une étude de l’Organisation internationale du travail de 2019. Il s’agit d’une chaleur corporelle excessive qui peut provoquer des symptômes comme des vertiges, des maux de tête, une sensation d’épuisement, une démarche titubante, voire la mort. Derrière le hangar de la ferme, plus loin sur la colline, se dresse une grande serre où poussent une vingtaine de variétés de tomates, des concombres, des poivrons et des courgettes. Le soleil tape sur la grande bâche en plastique.

Une atmosphère étouffante

En plus de la gérante, l’équipe de la journée est composée de deux employés permanents et de quatre saisonniers, mobilisés pour les récoltes d’été. La saison chaude est une période de grosse activité, impossible de ne pas travailler, au contraire. L’objectif de la journée est de cueillir près d’une tonne de tomates prêtes à la vente. Les palettes seront ensuite envoyées à des grossistes ou mises sur les étals de la boutique de vente directe de la ferme Les Jardins Gourmands.

Dans la serre, l’air passe mal. L’atmosphère est étouffante, « tropicale » : « Au début je supportais très mal ces chaleurs, mais j’ai appris à les supporter mieux. En m’habillant plus légèrement par exemple », explique Florence, ouvrière agricole de 35 ans, saisonnière depuis trois ans dans cette ferme.

Dans un climat humide et chaud, le corps arrive moins bien à transpirer, ce qui favorise les coups de chaud. C’était déjà arrivé à Marie-Louise en 2019 :

« Après une matinée de travail, j’avais des vertiges et je me sentais très faible. J’ai dû attendre un peu avant de reprendre la voiture parce que je me sentais trop faible. »

« On accumule de la fatigue »

Dès 9h30, la chaleur commence à peser. Le thermomètre de la serre affiche 30,8°C. Marie-Louise passe avec sa brouette entre les plants de tomates :

« Avant je travaillais surtout en ville mais je ne supportais plus. Psychologiquement ça va mieux, physiquement on fait avec le boulot qui doit être fait. C’est sûr qu’on ne peut pas demander à se mettre en télétravail parce qu’il fait trop chaud. »

Pour prévenir la fatigue de ces cinq mois de travail saisonnier, à raison de trois journées par semaine, Florence boit jusqu’à quatre litres d’eau par jour et se ménage :

« Quand je finis ma journée, je fais une petite sieste de deux heures pour mes activités de l’après-midi. Le soir je prends une douche froide et je vais me coucher un peu plus tôt, vers 21h. Mais à force, on accumule forcément de la fatigue, donc c’est important d’avoir en plus une bonne hygiène de vie avec l’alimentation… »

Marie-Louise passe dans les allées de tomates rondes ramasser celles prêtes à la vente. Photo : DC / Rue89 Strasbourg / cc

Sur le site du ministère de l’Agriculture, seules quelques mesures de prévention sont listées pour prévenir les risques liés à la chaleur, comme l’aménagement des horaires. D’autres risques existent, comme les incendies sur les machines, dont les moteurs s’encrassent à cause de la poussière. Pour prévenir cela, Évelyne Herrmann dit devoir les nettoyer régulièrement en temps de sècheresse.

Des tonnes à porter

Florence prend les tomates une par une et les met sur la paille entreposée dans des cagettes. Elle soulève chacune d’elle, la pèse, puis la ramène au camion pour le transport jusqu’au hangar. Dans une journée et avec les allers-retours, l’employée estime porter une charge cumulée de deux tonnes. « C’est sport, mais j’aime bien », relativise-t-elle.

Comme les autres, Stéphane, le chef de production des légumes de la ferme, relativise les conditions de travail sous la chaleur : « Quand on fait ce métier, on sait qu’on va être très exposé en été, cela fait partie du contrat », explique t-il. Il remarque que son ancienne ferme était beaucoup moins souple sur les horaires : « Il y a toujours une mentalité chez certains agriculteurs de ne pas se plaindre de l’effort et de travailler quelle que soit la météo. »

La journée de récolte est presque finie à 11h30. Au total, 890 kilogrammes de tomates ont été récoltés aujourd’hui. « On doit être à 11 tonnes de tomates maintenant depuis qu’on a commencé le 20 juin », précise Stéphane.

« L’agriculture est mal payée »

Le rythme de travail baisse un peu, et les trois employés s’arrêtent pour discuter autour des palettes. Ce qui inquiète plus Stéphane que la chaleur, c’est la perte d’attractivité du métier d’ouvrier agricole : « On a de plus en plus de mal à trouver des gens, qui ont peut-être autre chose à faire que de travailler dehors sous 30 degrés. L’agriculture est mal payée. » Les ouvriers agricoles sont payés au SMIC en général.

Stéphane et Florence finissent de ranger les cagettes. Photo : DC / Rue89 Strasbourg / cc

Vers midi, les trois amis prennent leur véhicule pour retourner au hangar, quelques mètres plus bas, où un repas pris en charge par la ferme les attend. Florence renchérit sur la précarité du métier de saisonnier : « En ce moment je me rends compte qu’au niveau salaire c’est de plus en plus difficile. Il va falloir que je trouve une solution ». Avec la diminution du temps de travail en raison de la chaleur, Florence estime avoir perdu environ 100 à 200 euros de salaire net par rapport aux mois de mai et juin, où elle gagnait 1 000 à 1 100 euros nets grâce à des heures supplémentaires. Elle a un contrat de 21 heures par semaine.

Stéphane, qui gagne 1 600 euros nets par mois en tant que permanent, note :

« T’es obligé de jongler aujourd’hui, certains saisonniers font du nettoyage le week-end pour équilibrer. En plus on habite tous à plus de vingt minutes de la ferme, donc la première heure de travail, on la passe à payer l’essence ».

« Si tu n’as pas quelque chose à côté pour faire tampon, c’est chaud », conclut Florence. Un métier difficile donc, indispensable, et qui ne suffit pas forcément pour vivre.


#agriculture

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