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À Fegersheim, des « voisins vigilants » contre le tapage des jeunes

Les « voisins vigilants », une espèce de surveillance mutuelle pour lutter contre les cambriolages, ont été portés en 2011 par le ministre de l’Intérieur de l’époque, Claude Guéant. A Fegersheim, l’opération a été instaurée dans un quartier depuis près d’un an. Elle a réussi à faire fuir des terreurs de bacs à sable. Et depuis, rien. Strictement rien. Mais les panneaux sont toujours là.

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En sortant de la RD1083, on peut arriver à Fegersheim par le quartier d’Ohnheim. Maisons cossues, quelques piscines, haies taillées, chacun est bien chez soi dans cet entre-ville et campagne. Mais au détour d’une rue, un détail intrigue. Un étrange panneau jaune avec un œil grand ouvert semble indiquer que les moindres faits et gestes des visiteurs sont épiés. Et c’est le cas ! Ce panneau est celui du dispositif « voisins vigilants », un système de « protection participative citoyenne ».

L’initiative est née en 2007 dans les Alpes-Maritimes, à la suite des « neighborhood watch » aux USA, puis elle a été relancée par Claude Guéant, alors ministre de l’Intérieur en juin 2011 comme un lumineux et peu onéreux moyen de lutter contre les cambriolages. En faisant de chaque voisin un zélé indic de la police, l’objectif avoué de cette surveillance partagée est de décourager les cambrioleurs. Sur le site voisinsvigilants.org, on se targue d’ailleurs de connaître les signes et les techniques des malfaiteurs.

Le Haut-Rhin, pilote en 2010

Le Haut-Rhin a été désigné département pilote du dispositif dès novembre 2010. Les maires de Ribeauvillé, Lutterbach, Cernay, Soultz et Altkirch avaient alors été priés de former des comités mais l’expérience a fait long feu. Les Haut-Rhinois n’ont jamais voulu intégrer ces comités, ni quadriller les villes avec des « responsables de quartiers »… Mais dans le Bas-Rhin, quelques villes ont signé des protocoles avec la préfecture, dont Souffelweyersheim, Reichstett et Fegersheim.

Le maire de Fegersheim, René Lacogne, rappelle le contexte :

« On avait des plaintes récurrentes, en rapport avec des nuisances sonores dans le quartier d’Ohnheim. Les habitants me pressaient de « faire quelque chose ». J’avais appris l’existence des Voisins Vigilants dans une revue de collectivités, je me suis dit qu’on pouvait l’essayer. On n’a pas encore fait de bilan de l’opération, mais les plaintes ont cessé. »

En fait de nuisances, il s’agissait d’une bande de jeunes, qui avait pris l’habitude de se retrouver après le coucher du soleil au boulodrome d’Ohnheim et dans le square attenant. Quelques bières, des cris, des rires… C’en était trop pour le voisinage immédiat, qui avait déjà la gendarmerie en numérotation rapide. Mais lorsque débarquait la maréchaussée, soit les jeunes étaient passés à autre chose, soit le volume sonore du regroupement ne justifiait pas l’interpellation de tout ce petit monde.

Les tranquilles rues d’Ohnheim. Trop tranquilles ? (Photo PF / Rue89 Strasbourg / cc)

Les plaignants transformés en auxiliaires de police

Accusé d’inaction, le maire a donc sorti la carte des Voisins Vigilants, lors d’une réunion publique de présentation du dispositif en mars 2012. Six « référents » ont été désignés, des panneaux aux yeux grand ouverts ont été cloués aux entrées du square, et voilà les plaignants d’hier transformés en auxiliaires de police. Et magie, depuis la mise en place de ces panneaux, il n’y a plus de souci aux abords du square, comme l’indique le brigadier-chef Laurent Bulté, seul policier municipal de Fegersheim :

« J’ai effectué des patrouilles aux heures où habituellement les jeunes étaient présents sur le boulodrome, entre 22h et minuit, et ils n’étaient plus là. On n’a plus reçu aucun coup de fil lié au tapage nocturne depuis que le dispositif a été mis en place. On ne sait pas ce qui s’est passé, peut-être que les jeunes sont allés ailleurs. »

Ou peut-être qu’ils ont grandi… Quoiqu’il en soit, le chef Bulté n’a plus jamais entendu parler des Voisins Vigilants non plus. Gilbert Mehl, habitant du quartier depuis 38 ans, et l’un des référents du dispositif avoue n’avoir utilisé qu’une seule fois le numéro de téléphone, pour signaler… une armoire de gaz ouverte :

« J’ai accepté de participer parce que je connais le maire et qu’il me l’avait demandé. Mais honnêtement, c’est un quartier tranquille et il faut arrêter de rouspéter parce qu’il y a des jeunes dans l’aire de jeux… »

Autre habitant du coin, Pedra Sanhueza, ne comprend pas bien l’utilité des panneaux :

« Quand il y a quelque chose de bizarre, on le signale simplement. Mais c’est tellement tranquille ici, que les gens ont peur de tout. Je n’arrive pas à comprendre cette psychose… Il y a quelque mois, un mouvement pentecôtiste de gitans a installé ses caravanes dans un champ pas très loin, c’est peut-être ça… »

« Tout le monde surveille tout le monde »

Raymond Mutzig, voisin du précédent, explique, sans qu’on soit sûr s’il est blasé ou paranoïaque :

« Vous savez il y a quelques jours, je suis sorti pour mettre de la graisse dans mes serrures. Eh bien dans la minute qui a suivi, il y avait déjà 3 ou 4 personnes aux fenêtres en train de regarder ce que je faisais. On est surveillés ici, pire qu’en URSS. Tout le monde surveille tout le monde. »

Quant à Raymond Schaeffer, habitant une rue plus loin :

« Je connais bien mes voisins. Quand ils sont partis en vacances, je le sais et je n’hésiterais pas à appeler la police si j’entendais des bruits suspects chez eux. Et je sais qu’ils feraient la même chose pour moi. J’ai une alarme mais j’ai de la famille à Hindisheim, et là bas, ça marche aussi comme ça. Il faut s’entraider, sinon on est visité. C’est d’ailleurs arrivé dans ce quartier, entre Noël et Nouvel an… »

Difficile d’établir un bilan chiffré de l’opération. Le site Voisinsvigilants.org clame fièrement 40% de cambriolages en moins lorsque le dispositif est activé mais la brigade de gendarmerie locale ne peut pas le confirmer. Elle a reçu des consignes strictes de ne pas répondre aux questions de Rue89 Strasbourg. Bigre ! On n’était pas loin de l’atteinte au confidentiel défense. Aujourd’hui, les gamins sont partis boire leurs bières ailleurs, mais les panneaux sont toujours là, distillant une ambiance de siège dans ce quartier, pourtant si calme.

(Avec Fabien Gattelet)


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