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Faut-il réformer l’islam ? A Strasbourg, des musulmans lancent le débat

L’Espace européen des cultures arabo-musulmanes a ouvert à Strasbourg une année de conférences-débats  sur l’avenir de l’islam en Europe. Un espace de réflexion de l’élite musulmane pionnier en France.

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Le 30 septembre, une bonne centaine de personnes sont réunies dans une salle du Ciarus, à Strasbourg, pour écouter la conférence de Khalid Hajji sur le devenir de l’islam en Europe. Le Bruxellois d’origine marocaine est président du Conseil européen des Oulémas marocains, et a cofondé en 2015 le Forum pour la sagesse et la paix dans le monde, une plateforme de dialogue entre les religions.

Devant un parterre de musulmans et de curieux, l’intellectuel développe ses positions sur l’intérêt d’une réforme de l’islam en Europe dans cette époque de radicalisation des jeunes musulmans du continent.

Khalid Hajji au Ciarus, le 30 septembre 2016. (Photo : Claire Gandanger / Rue89 Strasbourg / cc)

« Donner le sentiment à la jeunesse musulmane d’être aimée »

Pour lui, une telle réforme n’apporterait pas de réponse au problème de la radicalisation et donc du terrorisme. Contraindre la diversité de l’islam à un islam unique européen ne ferait que porter le discrédit sur cette religion auprès de nombreux musulmans. L’argumentation théologique est inutile face aux radicaux et aux terroristes, défend le Marocain. La réponse à apporter est avant tout sociale.

 » L’urgence est de donner le sentiment à la jeunesse musulmane d’être acceptée et aimée. Les djihadistes se composent d’une jeunesse en crise identitaire qui puise dans les préceptes radicaux car ils ont une prédisposition à la mort et à la destruction. Ces jeunes radicaux idéalisent l’espace islamique en réponse à une réalité trop dure, un peu à la manière du poète Rimbaud pour qui « la vraie vie est ailleurs ». C’est pour cela, qu’une réforme de l’islam doit travailler à l’ancrage de cette sensibilité attirée par l’ailleurs et l’au-delà. « 

Des injonctions divines placées dans un contexte

Si Khalid Hajji pense que la réponse au radicalisme et au terrorisme doit avant tout venir de la société, il n’en oublie pas de remettre en question les musulmans eux-mêmes.

 » La réponse des musulmans aux défis des temps contemporains est incongrue. Ils sont paralysés par le sentiment d’être les héritiers des seules vérités éternelles. On le voit dans le manque terrible d’interactions entre l’islam actuel et les sciences contemporaines. Les musulmans se réfugient dans le passé. Notre rapport aux textes traduit un grand malaise. « 

C’est à une « auto-réforme des musulmans en Europe » qu’appelle donc Khalid Hajji, qui souligne que le Coran n’a pas été révélé en une seule fois et que dès sa naissance de l’islam, la pédagogie de la révélation de cette religion plaçait toujours les injonctions divines dans un contexte. Maintenant que ces consignes divines sont figées, leur interprétation dans le contexte actuel nécessite le recours des musulmans à leur sens commun.

« Aujourd’hui, le Livre appelle notre sens des responsabilités et notre intelligence. Avec le parachèvement de la révélation commence la responsabilité humaine. Face à la contrainte de contextes différents, l’action des croyants doit devenir une action morale et non plus dictée. »

« Nous musulmans tombons dans des caricatures »

Pour Khalid Hajji, c’est le déni de ce défi qui est le plus grand mal de l’islam aujourd’hui.

« Nos théologiens ont failli à leur devoir d’encadrer le champ de questionnement des musulmans. La culture arabo-musulmane rétrécit le champ du sens commun. On n’a pas appris à poser les bonnes questions en interaction avec le contexte dans lequel nous nous trouvons et nous tombons dans des caricatures. La réforme de l’islam est un grand mensonge, c’est le travail sur soi qui est une urgence. »

L’intellectuel donne l’exemple d’un musulman qui demande un son imam s’il est fidèle à l’islam qu’il serre la main de son voisin alors qu’il fête Noël. Une question de bon sens, d’après lui, et à laquelle aucune autorité musulmane ne devrait accepter de répondre à la place de la personne elle-même.

Saliou Faye, imam à la Meinau, lors de la conférence de l’EECAM, le 30 septembre 2016. (Photo : Claire Gandanger / Rue89 Strasbourg / cc)

Dans la salle, quelques rares imams se mêlent à des femmes voilées et non voilées. Un conseiller municipal strasbourgeois et musulman rapporte qu’il marrie à la mairie des couples homosexuels. Quelques non musulmans sont là aussi. Tous avides de débattre avec l’invité.

Un espace de réflexion loin de la fièvre médiatique

La rencontre est la première d’un cycle de conférences intitulé « faut-il réformer l’islam ? » qu’organise cette année l’Espace européen des cultures arabo-musulmanes (EECAM). Cette association a été fondée il y a trois ans par les anciens dirigeants de la Grande mosquée de Strasbourg. A sa tête, Saïd Aalla, président, et Fouad Douai, secrétaire général. Après avoir porté le projet de la Grande mosquée du Heyritz, les deux hommes ont voulu créer à Strasbourg un espace de réflexion sur l’islam et la présence des musulmans en Europe. Saïd Aalla explique l’objectif de l’EECAM :

« Nous avons voulu un espace ouvert à toutes les tendances et sensibilités de l’islam où l’on puisse s’écarter des approches polémiques. Nous sommes dans un moment de fièvre médiatique sur l’islam qui ne laisse pas beaucoup de place à la réflexion. Là, nous offrons un terrain apaisé, pour que les gens prennent le temps de comprendre, loin des tensions du moment. »

Cet espace doit aussi clarifier ce qu’est l’islam :

« Aujourd’hui nous sommes arrivés à un stade de confusion des notions qui fait que le public ne comprend plus l’islam et qu’il n’arrive plus à se situer. Prenez l’exemple de la « fatwa » qui est une notion juridique, un avis de théologien sur une question donnée pour permettre à un fidèle de se situer dans sa situation personnelle face à la religion. Les fatwas doivent permettre de faire évoluer la jurisprudence musulmane dans des contextes différents. Aujourd’hui la notion a été détournée de son sens et le public la confond avec un appel au meurtre. »

Donner la parole aux élites musulmanes

L’EECAM veut remplir une mission de dialogue sur l’islam impossible à mener dans les seules mosquées.  Comment ces réflexions peuvent-elles toucher la base populaire des musulmans ? La question revient à chaque rendez-vous de l’EECAM. Mais pour Fouad Douai, l’aspect élitiste de ces rencontres n’est pas un problème.

« C’est aussi l’objectif de ces rendez-vous de donner la parole à ces élites musulmanes qui n’ont pas de lieu pour s’exprimer. Ce n’est pas le même public que dans les mosquées. »

Saïd Aalla lors de la conférence de l’EECAM du 30 septembre 2016. (Photo : Claire Gandanger/ Rue89 Strasbourg / cc)

Pour Saïd Aalla, s’adresser aux élites est une étape nécessaire :

« Les mosquées restent dans une approche religieuse. Notre association veut occuper le terrain de l’analyse et de l’expertise, ouvert sur l’espace public. Nous ne nous adressons pas au public de la mosquée mais à un public bien plus large. L’espace public a besoin de réflexion de haut niveau. Il faudra ensuite qu’on arrive à une adhésion populaire. Aujourd’hui les élites musulmanes ne se trouvent plus dans le discours des mosquées. Nous nous positionnons à l’extérieur. Par ailleurs, on ne peut pas réduire les musulmans aux pratiquants qui vont à la mosquée. 85 % des musulmans ne fréquentent pas la mosquée. Ce sont eux aussi la base. L’année dernière nous avons été moins actifs, beaucoup de personnes nous ont relancées. Ces musulmans ont besoin de cet espace. »

Des discours intellectuels complémentaires de ceux des mosquées

Est-ce à dire que dans les mosquées, les imams ne sont pas progressistes ? Pour Saïd Aalla et Fouad Douai, les discours des invités de l’EECAM et des imams peuvent être complémentaires.

« Les imams qui viennent sont des personnes déjà outillées, qui ont déjà touché dans leur parcours à la recherche universitaire. Mais beaucoup d’imams ont été formés dans une optique traditionaliste et ce n’est pas le genre de démarche qu’ils vont privilégier. Beaucoup d’imams sont d’une grande maturité et ouverts d’esprit. Ils abordent les questions à leur façon et disent presque la même chose aux fidèles. Mais à la mosquée, ils restent dans des discours simplistes et superficiels. Certains musulmans ont besoin de plus de fondamentaux intellectuels. »

Le président de l’EECAM assure que le débat est aussi ouvert aux non musulmans :

« On ne veut pas réfléchir qu’entre musulmans. On n’a pas l’exclusivité de la réflexion sur l’islam en tant que musulman car les questions qui se posent concernent toute la société. Nous voulons les faire sortir des lieux de culte pour ne pas les étudier seulement sous l’angle théologique. Nous défendons l’idée que la vérité peut être partagée.»

Méfiance de certains musulmans

Cette approche ne plait pas à tous les musulmans, concède Saïd Aalla :

« La stigmatisation de l’islam aujourd’hui laisse les musulmans craintifs. Certains pensent qu’en ouvrant la réflexion, on est là pour en finir avec la religion musulmane. »

Le président de l’EECAM tient à dissiper tout malentendu :

« On n’est pas là pour changer les textes sacrés, mais pour interroger notre rapport au texte dans le contexte d’aujourd’hui. C’est ce rapport là qu’il faut changer. Aujourd’hui en Europe, on ne peut pas faire une croix sur toute l’histoire de l’Europe pour entrer en confrontation avec la culture d’accueil. La réforme ne peut pas abroger les textes sacrés. Ce dont nous avons besoin en Europe, c’est de leur lecture dans un nouveau contexte. Personne n’a la vérité absolue, en tant que croyants, on ne peut être que dans la quête de la vérité. »

La dynamique de réforme, caractéristique de l’islam

Le président de L’EECAM rappelle que cette dynamique de réforme et d’adaptation au contexte a toujours caractérisé la religion musulmane :

« Les savants musulmans ont toujours fait des interprétations des textes circonstanciées. Ils ont toujours répondu à des questions dans un contexte et dans une culture. La réforme n’a donc jamais cessé dans l’islam C’est là toute la particularité de cette religion. Par exemple le contexte maghrébin et le contexte indonésien sont différents. Cela n’empêche pas les musulmans d’y avoir le même référentiel religieux mais adapté à des contextes différents. »

Un grand colloque de l’EECAM en fin d’année

Les dirigeants de l’EECAM ont conscience qu’il leur faudra aussi donner la parole aux musulmans irrités par leur démarche et proposer des conférences qui répondent à leur sensibilité. Pour l’heure, leurs moyens ne leur permettent pas d’inviter des intellectuels musulmans non-francophones, expliquent-ils. Leur venue nécessite en effet des horaires de conférence plus longs avec l’intervention d’interprètes. Ils promettent cependant qu’à la fin du cycle de conférences de cette année, l’EECAM organisera un grand colloque avec plus de moyens.

Le 3 novembre, la deuxième conférence de l’EECAM pour cette année donnera la parole à Eric Geoffroy, islamologue strasbourgeois spécialiste du soufisme. En décembre, l’invité de l’EECAM devrait être le chercheur marocain Mustapha El Mourabit, président du centre Maghareb (ie « les Occidents »).

Le « forum mondial pour une réforme islamique » gelé

La démarche de l’EECAM d’ouvrir un espace de réflexion des musulmans sur l’Islam inspire aujourd’hui d’autres musulmans en France. Des projets similaires sont en cours à Toulouse et en Normandie.  En 2015, plusieurs intellectuels musulmans, dont le Français Ghaleb Bencheick, avaient annoncé la tenue en 2016 à Paris d’un « forum mondial pour une réforme islamique ». Le soutien au projet de l’intellectuel controversé Alain Finkelkraut avait discrédité l’initiative, qui est aujourd’hui gelée suite à des réactions hostiles.

Au-delà de la question de savoir si l’idée d’adapter l’islam au contexte européen est légitime, qui pourrait faire autorité dans le monde musulman européen pour porter une telle réforme ? La question reste ouverte, dans un paysage musulman éclaté en Europe.


#Fouad Douai

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