Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Pour éloigner les familles étrangères, la préfecture tente de les confiner à la campagne

Alors que le projet de loi « Asile et immigration » a été présenté en conseil des ministres mercredi 2 février, la préfecture du Bas-Rhin délivre des OQTF assorties d’assignations à résidence dans le village de Bouxwiller, à 45 minutes en voiture de Strasbourg. Des restrictions de circulation parfois contestées par les familles devant le tribunal administratif, qui a déjà estimé pour l’une d’elle que l’État a agi dans la précipitation.

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Des dizaines de familles sont à Strasbourg depuis plusieurs années et résident dans des hôtels d’hébergement d’urgence, orientées par le Service d’accueil et d’orientation, le 115. Ces familles, souvent en attente d’une décision quant à leur titre de séjour ou d’une audience pour contester un refus de régularisation ont pourtant reçu des obligations de quitter le territoire français (OQTF). Et dans le même temps, des assignations à résidence à Bouxwiller, un village du Bas-Rhin de 4 000 habitants, abritant un centre d’aide pour le retour.

Assignés, mais pas logés

C’est le cas d’Adana (le prénom a été modifié) par exemple. Originaire du Kosovo, elle est en France depuis sept ans avec son conjoint et leur fils de 17 ans, scolarisé à Strasbourg. Lorsque la famille a reçu une OQTF en décembre 2022, c’est à Bouxwiller qu’ils ont été assignés à résidence alors qu’ils étaient logés dans un hôtel de l’Eurométropole tandis qu’aucune proposition de logement ne leur a été faite dans le village.

Comme le 4 février, des personnes du collectif « Familles exilées, insérées, engagées pour les papiers » manifestent régulièrement place de la République pour demander des papiers pour toutes et tous. Photo : CB / Rue89 Strasbourg / cc

En raison de cette assignation à résidence, le père de famille s’est rendu trois fois à Bouxwiller pour émarger auprès de la gendarmerie, avec des proches. Cette contrainte peut être exigée jusqu’à quatre fois par jour en fonction des situations. Un trajet coûteux pour une famille sans ressource – au moins six euros, en bus, pour un aller simple entre Strasbourg et Bouxwiller.

Puis la famille prend peur, quitte l’hôtel d’hébergement d’urgence et cesse de se rendre à la gendarmerie. « Ils se cachent depuis et craignent d’être renvoyés dans leur pays alors que ça fait sept ans qu’ils se construisent une vie en France », confie un proche, dépité, à Rue89 Strasbourg. Se soustraire à une assignation à résidence est passible de trois ans d’emprisonnement.

Des assignations en lot

Avocate à Strasbourg, Claude Berry représente plusieurs familles dans cette situation. Selon elle, ces assignations à résidence, même loin du lieu de vie des personnes, ne sont pas nouvelles. Ce qui est nouveau en revanche, ce sont des décisions préfectorales prises le même jour, pour plusieurs familles en même temps, logées au même endroit.

Me Berry a obtenu l’annulation d’une assignation, parce que la préfecture n’avait pas suffisamment examiné la situation des personnes et avait agi dans la précipitation. Mais dans une autre affaire, les juges ont considéré que le « détournement de pouvoir » de la préfecture, l’obligation de quitter leur hôtel pour se rendre à Bouxwiller, n’était « pas caractérisé ».

« Ce ne sont pas les mêmes juges qui s’occupent de tous les dossiers » poursuit l’avocate qui constate qu’il n’y a pas de « vision d’ensemble » des magistrats administratifs sur ces dossiers. En outre, les demandes d’annulation de l’assignation à résidence s’accompagnent parfois d’une demande d’annulation d’OQTF, faisant varier les délais légaux d’examen des dossiers par la justice.

Photo : CB / Rue89 Strasbourg / cc

Selon une résidente de l’hôtel d’hébergement d’urgence géré par l’association Coallia à Geispolsheim, à deux reprises « avant les vacances » plusieurs familles logées au même endroit ont reçu, toutes en même temps, des OQTF et pour certaines des assignations à résidence à Bouxwiller. « On a l’impression que cet hôtel, c’est un piège : comme s’ils savaient où nous trouver pour nous renvoyer dans notre pays », théorise la demandeuse d’asile.

Un acharnement administratif sans effet concret

Malgré les OQTF, les assignations à résidence et les refus de titre de séjour, les familles « ne partiront jamais », estime Gabriel Cardoen, militant pour la liberté de circulation et d’installation. Il en suit certaines depuis plus de six mois :

« Ces familles sont arrivées en France il y a longtemps, ne parlent certes pas toutes un français parfait mais ont la ferme intention de ne jamais retourner dans leur pays d’origine où elles sont menacées malgré les difficultés administratives. »

Claude Berry avoue son incompréhension :

« Je ne sais pas quel est le but de la préfecture. Les décisions qu’elle prend ne sont jamais exécutées et [les demandes d’annulation] ajoutent une activité peu intéressante et chronophage au tribunal administratif ».

Certains de ses clients se rendent à la gendarmerie pendant le délai imparti (45 jours, renouvelable une fois), mais ne sont pas pour autant renvoyés dans leurs pays d’origine. D’autres prennent peur et se cachent, « sortent du circuit » pendant la durée de l’obligation.

Samedi 4 février, plusieurs femmes étrangères prises dans cet étau administratif depuis des années ont pris la parole lors d’une manifestation organisée à Strasbourg. « En France depuis quatre ans, je n’ai pas le droit de travailler » ont exposé ces mères de familles qui se maintiennent sur le territoire, déterminées à rester avec leurs enfants

Quant au centre d’aide pour le retour de Bouxwiller, il sonne comme une menace aux oreilles des demandeurs d’asile à Strasbourg. « Je suis en contact avec un couple qui a accepté d’y aller et qui ne semble pas recevoir de pression pour rentrer dans leur pays », nuance Gabriel Cardoen. En revanche, les familles refusent d’y séjourner car elles « ne peuvent pas scolariser leurs enfants à l’école, » selon le militant.


#Bouxwiller

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