Le décret « fait maison » publié le 11 juillet est loin, bien loin des espérances des organisations professionnelles et de celles des restaurants gastronomiques soucieux de perpétuer un certain savoir-faire. D’abord pensée pour aider le consommateur à distinguer les restaurants qui cuisinent des produits frais, et supposée favoriser les circuits courts, la mention est totalement vidée de son essence.
Alors que Le Monde relayait ce chiffre étonnant : « 80 % des restaurants pratiqueraient une cuisine dite d’assemblage », ces mêmes restaurants pourraient, au regard de ce nouveau décret, afficher sans être importunés la mention « fait maison » sur leurs cartes.
Le fameux décret, est ainsi rédigé :
« Peuvent entrer dans la composition d’un plat « fait maison » les produits qui ont été réceptionnés par le professionnel : épluchés, à l’exception des pommes de terre, pelés, tranchés, coupés, découpés, hachés, nettoyés, désossés, dépouillés, décortiqués, taillés, moulus ou broyés ; fumés, salés ; réfrigérés, congelés, surgelés, conditionnés sous vide. »
Tous les restaurateurs devront, de manière très claire, afficher la phrase : « Les plats « faits maison » sont élaborés sur place à partir de produits bruts. » Ceux qui pratiquent le « fait maison », selon la définition pauvre dictée par le gouvernement, pourront afficher le logo imaginé pour l’occasion. Seuls McDonald’s et autres fast foods ne pourront pas bénéficier de cette nouvelle distinction, puisqu’ils réceptionnent leurs frites et pommes de terres déjà découpées…
Le logo déjà sur la carte du 1741
Certains professionnels saluent un premier pas vers une démarche plus qualitative tout en se montrant méfiants vers la composition d’un plat « fait maison » donnée par le gouvernement . C’est le cas de Cédric Moulot, businessman-restaurateur propriétaire du Meiselocker, du Tire-Bouchon et du 1741, tout juste auréolé d’une étoile Michelin où « 100 % des produits sont faits maison » :
« La base du décret, elle n’est pas si mal : rassurer la clientèle sur la qualité des produits. Le problème c’est qu’il y a, au sein de ce décret, différentes catégories de produits : découpées, pelées, surgelées etc. qui ne relèvent pas du fait maison. Il y a une chose qui me choque, qui n’est pas logique : que l’on puisse utiliser des légumes coupés mais pas de pommes de terre…. On voit bien que ce décret a été fait à la va-vite, je ne suis pas convaincu qu’il y ait eu beaucoup de consultations d’organisations professionnelles. »
Pour autant, Cédric Moulot qui « aime se mettre en conformités » a tenu à rapidement mettre en place la mention sur la carte du 1741 modifiée moins de 10 jours après la mise en vigueur du décret.
À Jour de Fête comme Au Petit Tonnelier, on ne comprend pas encore ce qui est obligatoire et ce qui ne l'est pas. Difficile d'y voir clair en lisant le décret... Difficile aussi d'imaginer la façon dont vont se dérouler les contrôles. L'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie du Bas-Rhin s'est d'ailleurs sentie obligée d'envoyer un document à tous ses adhérents afin de simplifier sa compréhension. Logique pour Cédric Moulot.
"Les restaurateurs ont globalement été perdus, il y avait un réel besoin de clarification. Je ne sais pas non plus si la clientèle va comprendre. Plus il y a de labels et de mentions, moins elle va s'y retrouver."
Le guide du "Fait maison" envoyé par l'UMIH à ses restaurateurs adhérents. by Rue89 Strasbourg
"Maître restaurateur", mieux que "Fait maison" ?
Justement, Cédric Moulot s'y connaît en matière de labels. Après avoir obtenu le titre de maître restaurateur pour le Tire-Bouchon, il cherche désormais à le décrocher pour le Meiselocker et le 1741. Seul label délivré par l'État, il vient reconnaître les compétences d'une maison tout en l'engageant à travailler des produits bruts, essentiellement frais : cuisine faite sur place, achats de charcuteries et salaisons auprès d'artisans etc.
Son obtention est par ailleurs contraignante puisque le restaurant doit financer la venue d'un client mystère et répondre à un cahier des charges remplis d’exigence en matière d'hygiène, de provenance de matières premières, et même, d'aménagement. Pour Cédric Moulot, il s'agit de faire la différence, surtout auprès de la profession.
"Les clients ont du mal à s'y retrouver, rares sont ceux qui savent ce que signifie le titre de “maître restaurateur”... Ceci dit, c'est une reconnaissance de la part des pairs, c'est important pour moi et pour mes équipes qui se sentent plus valorisées. Aujourd'hui, on fait tout et n'importe quoi : on achète beaucoup chez Métro par exemple. Il faut savoir se démarquer. Finalement, la mention “fait maison” ne change rien à notre manière de travailler, puisqu'elle est induite et obligatoire via le titre “maître restaurateur”."
Le « fait maison », d'abord une démarche
Au Petit Tonnelier, le chef, Romaric Deschatrettes travaille depuis deux ans et demi avec environ 50 % de produits locaux et tente d'en augmenter la proportion petit à petit : les fruits et pommes de terre d'un agriculteur de Mommenheim, œufs de la ferme Kientz, la truite vient des sources du Heimbach à Wingen-sur-Moder. Tout est fait maison « sauf les glaces ». Du coup, il évite au maximum les desserts à base de glace et stipule sur sa carte que les glaces et sorbets ne sont pas faits maison. Pour lui, "faire maison" est tout simplement naturel.
"Le fait maison ne coûte pas beaucoup plus cher, il prend un peu plus de temps. Ce décret ne m'atteint pas car je sais ce que je fais et les clients savent pourquoi ils viennent chez nous."
À Jour de fête, la chef Agata Felluga va même plus loin :
"Je ne suis même pas sûre que ça prenne plus de temps. Cuisiner a depuis toujours pris du temps non ? A y réfléchir : la tomate, je l'achète au marché, je la découpe, je l'assaisonne et voilà. Ici tout est fait minute. La garniture est blanchie 20 minutes avant. Pour moi, le vrai fait maison c'est ça : le moins de manipulation possible dans le respect total du produit. On prend soin du produit comme on prend soin des gens que l'on sert. C'est tout."
Avec son patron Frédéric Camdjian, ils ne jurent que par les agriculteurs et éleveurs qui prennent le temps de faire un bon produit, par les relations privilégiées qu'ils entretiennent avec eux et par la saisonnalité des produits. Chez eux, le "fait maison" est induit et transparent, ils n'ont « besoin d'aucun label ». Frédéric Camdjian s'agace d'ailleurs :
"Il est hors de question que je mette ce logo dans mon restaurant. Ce serait approuver l'hypocrisie de ce système et prendre les gens pour des imbéciles. On va rapidement le constater, tous les restaurants de France vont l'afficher... Ce qui est dramatique, c'est qu'avec cette mention, on joue sur les sentiments, sur une expression qui nous rappelle notre enfance : quand nos grands-mères nous mitonnaient de bons plats ou enfournaient des biscuits... Le décret n'a plus rien à voir avec ça. On devrait faire comme l'Italie : être obligés d'afficher lorsqu'un produit est surgelé. D'ailleurs, je ne comprends pas pourquoi l'Union européenne ne se mêle pas de ça."
Reste à constater la portée du label qui a six mois pour se mettre en place, les sanctions, elle, débuteront le 1er janvier 2015.
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