Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Sénerval à l’arrêt : une facture qui paralyse l’Eurométropole

La découverte d’amiante dans l’usine d’incinération des ordures ménagères de l’agglomération paralyse le site depuis novembre 2014. La facture s’évalue à 78,5 millions d’euros pour la collectivité. Le nouvel arrêt de l’usine depuis le 15 octobre pourrait encore la faire grimper et pose la question de l’avenir du site.

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L’usine d’incinération des ordures ménagères du Rohrschollen est à l’arrêt depuis le 15 octobre. (Photo : PF / Rue89 Strasbourg / cc)

C’est l’épine dans le pied de Robert Herrmann, président (PS) de l’Eurométropole de Strasbourg. La découverte d’amiante dans l’usine d’incinération des ordures ménagères de l’agglomération paralyse le site depuis novembre 2014. La facture s’élève aujourd’hui à 78,5 millions d’euros pour la collectivité, propriétaire de l’équipement. Mais avec le nouvel arrêt de l’usine depuis le 15 octobre, ce montant pourrait encore s’alourdir. L’Eurométropole se demande si elle n’aurait pas intérêt à se défaire du contrat de 20 ans qui la lie à l’exploitant Sénerval.

Lors du conseil de l’Eurométropole du 27 novembre, Robert Herrmann reconnaissait lui-même que la question méritait d’être posée :

« Nous sommes engagés sur un dossier au long cours avec la délégation de service public (DSP). (…) La question qui est posée pour nous, si elle est de sortir de cette DSP, elle est de ne pas payer d’indemnités à l’opérateur à un moment donné. Sinon, ce sont des dizaines millions d’euros… »

Sur le plan légal, l’Eurométropole peut revenir sur le contrat de délégation de service public passé avec Sénerval. Celui-ci contient en effet une option de résiliation en cas de manquement grave ou au nom de l’intérêt général. Mais l’Eurométropole hésite, par crainte de faire chuter le groupe mayennais Séché, maison mère de Sénerval. Fin septembre 2014, le groupe avait communiqué sur un déficit d’exploitation, déjà causé par les pertes de Sénerval.

Les travaux se faisaient attendre depuis des années

Pour comprendre la situation actuelle de l’usine, il faut remonter à 2009. Le contrat de délégation de service public passé entre l’Eurométropole, propriétaire et une filiale du groupe EDF, touche à sa fin. L’usine, construite en 1974, est vétuste et a un besoin urgent d’être modernisée. Pour la Communauté urbaine de Strasbourg, devenue depuis Eurométropole et présidée alors par Jacques Bigot (PS), le coût de tels travaux n’est pas finançable.

La collectivité choisit de confier l’exploitation de l’équipement au groupe mayennais Séché Environnement, qui crée une filiale idoine, Sénerval. Cette délégation de service public est conclue pour une durée de 20 ans. Le groupe s’engage en contrepartie à effectuer les travaux de modernisation des vieux fours.

Mais une fois aux manettes en juillet 2010, il n’en fait pas sa priorité. L’équipement continue donc de claudiquer, au grand dam des salariés. Les travaux se font attendre, leurs conditions de travail se dégradent. En mars 2014, le climat se crispe. Après des incidents techniques à répétition, les salariés se mettent en grève. Ils paralysent l’usine pendant deux mois et demi et alertent les autorités sur son état.

De son côté, la direction de Sénerval promet que les travaux sont prévus pour l’été. Finalement, le préfet ordonne des travaux de maintenance. Et c’est là que les choses vont s’emballer. De l’amiante est d’abord diagnostiquée dans les premières lignes de fours à réparer. Puis, des fuites de chaudière ont lieu sur les deux qui tournaient encore.

Compte tenu de la présence d’amiante possible, les autorités exigent des mesures de précautions avant d’y toucher. Le 7 novembre 2014, toutes les lignes sont à l’arrêt, en l’attente d’un diagnostic complet. En juin 2015, deux des lignes amiantées reprennent du service, en sous-régime, avant d’être à nouveau arrêtées suit à des fuites de chaudières le 15 octobre.

La responsabilité du désamiantage toujours en débat

En tout, l’Eurométropole a pris pour le moment l’engagement de payer 78,5 millions d’euros pour rattraper les conséquences de la découverte d’amiante dans l’usine confiée à Sénerval. Les travaux de désamiantage compliquent les travaux de modernisation prévus par Sénerval et alourdissent la facture. En tant que propriétaire de l’usine, c’est à l’Eurométropole que revient ce surcoût dû à l’amiante. La collectivité a voté une enveloppe totale de 20,2 millions d’euros hors taxe pour financer le désamiantage.

Ce revirement n’est-il pas une fausse surprise ? La présence d’amiante dans une usine construite en 1974 ne pouvait-elle pas être anticipée au moment de la signature de la DSP entre Sénerval et la collectivité ? D’autant plus que le groupe Séché environnement, dont dépend Sénerval, s’affiche comme spécialiste du désamiantage. Est-ce donc bien à l’Eurométropole de payer pour le désamiantage et ses conséquences ?

D’après des élus, un débat juridique existe sur ce point. Mais mêmes eux n’arrivent pas aujourd’hui à se procurer de la part de l’Eurométropole l’appel d’offres de 2009 qui définissait les missions de la délégation de service public.

Pour le moment, il est aussi revenu à l’Eurométropole de payer le détournement des déchets strasbourgeois. Un coût de 100 000 euros par jour au moment de l’arrêt total de l’usine entre novembre 2014 et mai 2015. Au total, cette facture s’élève aujourd’hui à 13,3 millions d’euros pour l’Eurométropole. La collectivité s’est aussi engagée à payer près de 3 millions d’euros par an sur quinze ans et demi, soit près de 45 millions en tout, pour indemniser les pertes d’exploitation de Sénerval.

Un redémarrage incertain

Tous ces calculs ne prennent pas en compte le nouvel arrêt de l’usine depuis plus de deux mois, qui double dorénavant la quantité de déchets détournés et fait subir de nouvelles pertes d’exploitation à Sénerval. L’exploitant fera-t-il payer ces nouveaux coûts à l’Eurométropole aussi ? Le 27 novembre, Françoise Bey, vice-présidente de l’Eurométropole en charge de la question des déchets assurait sur ce point lors du conseil de l’Eurométropole :

« Le coût pour la collectivité est pour l’instant inchangé. »

En plus de ces coûts pour la collectivité, les arrêts des fours pèsent lourdement sur les entreprises voisines, qui s’y fournissaient en vapeur pour faire tourner leurs industries. L’usine devait aussi alimenter les réseaux de chaleur auxquels sont raccordés 17 000 habitants dans l’agglomération. Ceux-ci ont dû se replier sur du chauffage traditionnel en attendant un hypothétique redémarrage de l’usine.

Mais l’usine redémarrera-t-elle ? Les nouveaux incidents d’octobre pourrait remettre en question la décision de faire tourner une partie des fours pas encore désamiantés, en sous régime, pendant que les autres sont en travaux. En janvier 2015, l’Eurométropole et Sénerval avaient retenu cette solution pour limiter le coût des détournements de déchets. Les deux premières lignes de l’usine devaient être désamiantées et réparées une fois les travaux finis sur les lignes 3 et 4.

L’exécutif vivement critiqué par l’opposition

Mais ces travaux prennent du retard. Ils sont à l’arrêt depuis un incendie en septembre. Les deux lignes arrêtées depuis le 15 octobre pourront-elles reprendre du service et tenir sans nouvel accroc jusqu’à la remise en état de leurs voisines ? Pour Laurence Vaton, conseillère communautaire Modem, la question doit être reposée :

« Est-ce qu’on continue cette formule ou est-ce qu’on ne pourrait pas plutôt arrêter l’usine et tout remettre à plat ? L’Eurométropole répond que l’arrêt reviendrait à beaucoup plus cher que la solution retenue, mais encore faut-il que celle-ci fonctionne. »

Au-delà, c’est le choix en 2010 d’une délégation de service public longue qui dérange l’élue d’opposition :

« L’Eurométropole a fait une grosse erreur. Il fallait faire les travaux tout de suite. Elle aurait dû prendre les travaux de modernisation à sa charge, puis confier l’usine en délégation de service public. »

Pour Edith Peirotes, conseillère communautaire EELV, cette crise interroge en lui-même le système de la délégation de service public :

« On est dans la privatisation des profits et la mutualisation des pertes et il faut que ce système change. Ce n’est pas au contribuable de payer des erreurs de gestion et de contrôle de cette DSP. »

Sénerval a essuyé des critiques de la part de certains élus quant à son refus de prendre une part plus importante dans la gestion financière de la crise alors que sa maison mère affichait un bénéfice de 3,6 millions d’euros entre le 1er janvier et le 30 juin 2015.

Avant le début des travaux de modernisation des lignes d’incinération à l’été 2014, Sénerval avait investi 37 millions d’euros dans les réseaux de chaleur et la construction d’une unité de méthanisation. Depuis, elle a investi d’après nos calculs 19,5 millions d’euros dans l’usine. L’exploitant a aussi pris en charge 2,9 millions d’euros pour les surcoûts de détournement des déchets et les pertes d’exploitation avant le 7 novembre 2014. Depuis, elle a accepté de prendre en charge 8 semaines de détournements des déchets, à la place de l’Eurométropole, pour un coût de 2,2 millions d’euros.

Visiblement embarrassée par ce dossier, l’Eurométropole a refusé de répondre à nos question. La direction de Sénerval n’a pas donné suite non plus à nos sollicitations.


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