La dernière action d’Orban qui a défrayé la chronique ? La construction d’une statue qu’on peut légitimement qualifier de « révisionniste » sur la place de la Liberté, dans le centre-ville Budapest. Le monument représente un aigle menaçant (l’Allemagne nazie) se ruant sur un Saint-Gabriel innocent (la nation magyar en victime offerte). Une vision pour le moins simpliste de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale durant laquelle le parti fasciste hongrois « Les Croix Fléchées » ont sévi, en déportant plus de 400 000 juifs, principalement à Auschwitz.
Les pelleteuses ne purent pas travailler tranquillement pendant plus de quatre mois grâce à la veille des citoyens qui se relayèrent pour que ce chantier du « mémorial » ne progresse pas. La statue fut finalement installée de nuit, un dimanche, à deux heures du matin. Depuis, elle est sous bonne garde policière.
Quelques affiches, chaussures et cailloux déposés devant la statue rappellent le dégoût d’une partie des Hongrois. À travers ces objets et slogans, ils tiennent à rappeler les massacres qu’ont réalisé les Croix Fléchés. Les premières lois antisémites hongroises furent promulguées dès les années 1920, avec des quotas imposés pour restreindre le nombre de juifs dans certaines institutions. Des mesures renforcées dans les années trente. Les Croix Fléchées était bel et bien un parti antisémite, ultracollaborateur, qui assassina massivement les juifs de Budapest à l’automne 1944.
Orban n’en est pas à son coup d’essai en matière de révisionnisme. Alors qu’il était ministre, il créa en 2002 la « Maison de la terreur » où le même message est porté : la Hongrie n’a été qu’une pauvre victime, face aux différents agresseurs. Situé dans un immeuble qui servit tour à tour de QG aux Croix Fléchées puis à la police soviétique, le musée attire de nombreux touristes et ne présente finalement que la terreur sous le communisme. En présentant systématiquement l’image d’une Hongrie victime, Orban joue sur le ressentiment national et anti UE — une « occupation » économique, cette fois…
« Natios mais pas chauvins »
Si la droite d’Orban est révisionniste, elle n’est pas la seule dans le pays. Ainsi, le Jobbik (parti d’extrême-droite) a lui aussi souhaité participer au bal des statues de la place de la liberté. Depuis 2013, on peut voir un buste de Miklos Horthy sur le parvis d’une église protestante dont le pasteur et sa femme sont des soutiens convaincus aux nationalistes hongrois.
Officiellement, la statue n’est pas sur l’espace public, mais elle est dirigée vers la place de la Liberté. Après avoir subi des attaques à la peinture, le buste de bronze est désormais protégé par une vitre plastifiée. Pour tenter de mieux comprendre de quoi Jobbik est-il le nom, nous décidons de rencontrer un jeune Franco-Hongrois de 27 ans qui a décidé de quitter la France il y a plusieurs années. Il utilise le pseudonyme de Ferenc Almássy :
« J’étais écoeuré par la corruption qui y régnait. Mon avenir est en Hongrie. Ici on me donne ma chance. Et puis il fait bien créer un équilibre avec tous ces jeunes Hongrois qui, à peine formés, quittent le pays pour aller travailler à l’Ouest. La Hongrie représente un réservoir de main d’oeuvre pas cher et bien formé pour Bruxelles et Paris. Les pays de l’Est sont des colonies ».
Karaokés nationalistes
Ferenc Almássy parle bien. Il porte fièrement une belle barbe magyar et est depuis 2013 le « conseiller en francophonie » du Jobbik, le parti d’extrême-droite hongrois. Le parti sait attirer les jeunes esprits, en organisant de temps à autre des karaokés nationalistes ou des fêtes patriotes où l’on chante les beautés de la Grande Hongrie perdue (en 1920, lors du traité du Trianon, dénoncé comme un diktat par Horthy).
Déçu par la France, Ferenc Almássy annonce n’être loyal qu’à la Hongrie. Il espère que le parti gagnera des mairies aux prochaines élections, à l’automne 2014 :
« Ce serait une première pour Jobbik de gagner une grande ville. On pourrait alors montrer aux Hongrois comment nous agissons quand nous sommes au pouvoir. Ce serait un excellent laboratoire avant d’autres élections plus importantes. Le Fidesz ne tiendra pas sans Orban. Nous attendons patiemment notre tour pour arriver aux commandes du système. »
Le système ne sera plus tout à fait le même si Jobbik arrive au pouvoir. Pour le Jobbik aussi, il faut en finir avec l’UE.
« On n’a rien à voir avec les partis d’extrême droite de l’ouest (FPÖ, FN…) car ces partis veulent changer des choses dans le système. Nous, on veut carrément changer le système. On est un îlot magyar au milieu d’une mer slave et germanique. On ne veut ni l’OTAN, ni l’UE. Quant aux Roms, fini aussi tous les avantages. Ils seront des citoyens comme les autres. »
Bataillon de milices dans les rues… en 2011
Rappelons simplement l’histoire du petit village de Gyöngyöspata, situé au nord est Budapest, où un maire Jobbik a été élu en 2011 (mais les résultats des élections furent controversés). Un bataillon d’une milice hongroise défila dans les rues, avec des drapeaux des Carpates — territoires perdus en 1920 — et des cartes de la grande Hongrie. La milice avait montré les dents, notamment contre les Roms, en scandant notamment : « Les Tsiganes sont des criminels ! »
Les skinheads du Jobbik veillent à nous rappeler le visage peu fréquentable de l’extrême droite hongroise. Selon un journaliste français à Budapest, « le Jobbik se situe à un moment charnière, comme le Front national il y a trois ans : il cherche une respectabilité mais a peur de se couper de sa base dure ».
Les belles promesses
La jeunesse hongroise que nous avons rencontrée était lassée de toutes ces affaires politiques et des déclarations trompeuses de leurs dirigeants. Installé à Budapest depuis peu, Joël nous explique qu’ici, « les jeunes parlent de la politique en soupirant. Ils sont dépités, et il arrive qu’à 20 ans à peine, ils aient déjà cessé d’y croire ».
Nous découvrons alors une initiative sympathique menée par des citoyens. Le « Chien à deux queues » s’est présenté lors des élections municipales de 2010. Ce vrai-faux parti politique parodie les programmes électoraux ; à sa manière, il dénonce les mensonges et la corruption de la classe politique actuelle. « Si nous sommes élus, nous remplacerons les bus par des grands huit. » « Bière gratuite pour tous. » « Vie éternelle + 20 ans (pour les éternels insatisfaits) »… Voilà avec quels slogans les leaders espèrent attirer l’attention sur leur démarche citoyenne.
Ses fondateurs sont deux artistes hongrois désireux de remettre de l’ordre dans la vie politique magyare. Ils n’hésitent pas à faire des performances artistiques pour faire la lumière sur de sombres histoires publiques. Crée en 2006, le Chien à deux queues compte tout de même 150 000 fans Facebook. Lassés par les magouilles de tous bords, les Chiens à deux queues espèrent bien réveiller les consciences.
Notre reportage journalistique sur la Hongrie sera publié dimanche 24 août dans le journal L’Alsace, dans la chronique « Un Tour à l’Est ». Après une semaine de reportages, le Bulli quitte la Hongrie pour gagner la Pologne. Ces prochaines semaines, le Bulli Tour Europa passera par Cracovie, Lublin et Varsovie.
Sur les routes
Après avoir parcouru l’Italie, la Slovénie, la Croatie, la Bosnie, le Monténégro, l’Albanie, la Macédoine, la Bulgarie, la Roumanie, la Moldavie (la Transnistrie), l’Ukraine, la Hongrie, la Slovaquie et la République tchèque, le Bulli Tour Europa arrive en Pologne. Depuis son départ le 10 mai 2014 de Strasbourg, il a déjà parcouru 10 000 km. Le road-trip ne s’achevant qu’en octobre, ce sont encore quelque 5 000 km qui lui restent à parcourir.
Aller plus loin
Sur Rue89 Strasbourg : retrouvez toutes les chroniques vécues du Bulli Tour Europa (blog)
Sur BulliTour.eu : les reportages de Claire Auduy et Baptiste Cogitore
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