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Expérimenter les luttes « avec la résistance des images » à la Cryogénie

En 2022, la commissaire d’exposition Chiara Palermo crée un cycle d’événements autour de ce que Gilles Deleuze appelle « la société de contrôle ». Premier volet de ce projet, l’exposition « Avec la résistance des images » visible à la Cryogénie jusqu’au samedi 21 janvier, fait découvrir le travail d’Inès Balanqueux, Raphaëlle Lerch, MissV et Marina Bidel.

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Mettre en lumière ce qui est occulté, donner leur voix aux paroles inaudibles, laisser entrevoir le temps passé. L’exposition « Avec la résistance des images » dévoile des manières de contrecarrer « la société du contrôle » conceptualisée dans les années 1980 par Gilles Deleuze. Loin de la mésinformation, l’ambition de l’exposition est de saisir les moyens dont nous disposons pour construire des identités multiples. Il s’agit de s’opposer à l’uniformisation des individus, opérée par les médias ou les normes sociales.

Un projet au cœur de l’Université de Strasbourg

Ce croisement des regards et l’ouverture de la pensée au service de l’expérimentation ont lieu à la Cryogénie – Espace de recherche-création gérée par la Faculté des arts et l’unité de recherche Accra (Approches contemporaines de la création et de la réflexion artistiques) pour l’Université de Strasbourg. Au cœur du jardin situé derrière le Palais universitaire, ce lieu offre un espace d’expression à la recherche-création. En associant les méthodes académiques classiques aux pratiques artistiques qu’elles soient visuelles, théâtrales ou musicales. L’artiste Katrin Gattinger, coordinatrice de la Cryogénie et des initiatives proposées, invite la commissaire de cette exposition Chiara Palermo ; philosophe, chercheuse associée à l’Université de Strasbourg et directrice des études à l’ENSA de Limoges. Auteure d’une réflexion sur les liens entre esthétique et politique, cette dernière est à l’origine de la sélection des artistes.

Cette collaboration a permis de regrouper le travail de quatre artistes : Inès Balanqueux, Raphaëlle Lerch, MissV et Marina Bidel. En entrant dans l’espace d’exposition les œuvres questionnent d’abord les dérives que la crise sanitaire a entraîné.

Réfléchir l’actualité

Etat d’urgence sanitaire (détail), attestations de déplacement, Inès Balanqueux, 2021.
Vue d’exposition à la Cryogénie par Cassandre Ver eecke.

Inès Balanqueux présente un ensemble de textes qui font état de violences et deux objets conçus à partir de masques et d’attestations de déplacement. L’artiste donne à voir un contexte où l’emprise de l’État atteint un point d’orgue justifié par la pandémie de coronavirus :

« L’une des dérives amenées par le Covid-19 est la recrudescence des violences policières à travers le monde dans le but de faire appliquer les mesures sanitaires. Tout à coup, la police se voit octroyer un pouvoir décisionnaire qui repose sur son jugement du bien fait, mal fait quant au bon respect du port du masque, du confinement ou encore du couvre-feu. »

Une question d’attitude

Raphaëlle Lerch aborde quant à elle notre obéissance au système, avec une vidéo confrontant l’attitude d’un chat et d’un chien. Par le biais de la métaphore de la domestication, l’artiste souligne le caractère irréversible d’une obéissance sans remise en question. Il ne s’agit pas de refuser toute forme d’autorité, simplement questionner la légitimité de son application.

« Si la discipline « c’est avoir prise sur le corps des autres », l’indiscipline se manifeste à l’inverse par un irréductible élan de déprise : ne plus tenir en place, fuguer, se dégager de l’emprise, reprendre son corps et partir avec. »

Michel Foucault, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975, p.140, repris par Grégoire Chamayou, La société ingouvernable, une généalogie du libéralisme autoritaire, Paris, La fabrique, 2018, p.15.
Projection de diapositive, Mirror (détail), MissV, 2021. Vue de l’exposition à la Cryogénie fournie par Cassandre Ver eecke

Un certain regard sur le passé

Si pour Inès Balanqueux et Raphaëlle Lerch il s’agit d’interroger le contrôle exercé par le gouvernement sur la population, MissV montre la transmission comme outil de résistance. Elle présente trois œuvres : une vidéo en noir et blanc accompagnée d’un son à la fois hypnotisant et effrayant, la projection sur miroir d’une diapositive et deux portraits datés des années 1930. La photographe aborde l’effet anonymisant du passé sur l’Histoire, tout en affirmant que même si le récit disparaît, il ne le fait pas sans laisser de traces.

« Nous sommes constitués de raisons enfouies. Une part de moi essaye de les entendre, peut être pour mieux les comprendre. Les apaiser, pourquoi pas. Parce que l’image, qu’elle soit de la mort elle-même, de l’absence de vie, ou qu’elle soit l’image de l’expression des fantômes – par le truchement du montage, du trucage, de la superposition, du hasard des captations ou par accident – provoque une émotion chez moi, chez les vivants, chez celles et ceux qui sont là, en chair, et enclins à les considérer, une chose indicible, enveloppante et fragile. »

MissV

Ecouter les récits pour croiser les regards

La deuxième salle de l’exposition est consacrée à l’installation de Marina Bidel. L’artiste érige un arbre constitué de références à toutes les cultures qui se croisent en Guyane. Un dispositif sonore accompagne la sculpture pour faire entendre des témoignages et des lectures autour de la Guyane française. L’arbre est un totem, un symbole qui, comme une métaphore, donne une dimension universelle au discours. Ici il est question de la fuite comme résistance à un système de contrôle où les oppressions ne sont même pas dissimulées.

Collants brodé, fils et bois, The Rememberance Tree (détail), Marina Bidel, 2021. Vue de l’exposition à la Cryogénie par Cassandre Ver eecke.

L’artiste se réfère au philosophe Dénètem Touam Bona. Dans le livre Fugitif, où cours-tu ? il propose une forme de résistance qui communément ne semble pas en être une. Comme l’explique Marina Bidel, « il évoque alors l’art de la fuite, qui constituerait, notamment pour les « nègres marrons », les esclaves fugitifs, la forme de résistance la plus totale. Il y est alors question de s’invisibiliser, de disparaitre. L’invisibilité devient une modalité de lutte. »

The Rememberance Tree, installation comprenant une sculpture et un dispositif sonore, Marina Bidel, 2021

Loin de s’arrêter à une exposition, les réflexions des quatre artistes invitent à penser, pour les événements à venir. Des conférences, des projections et des performances seront organisées en 2022.

Prochain rendez-vous en mars, avec la projection de The Body’s Legacies Pt.2: The Postcolonial Body (2018), un film de Kader Attia, en présence de l’artiste Olivier Marboeuf.


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