Dolorès Marat évolue avec précaution au milieu de la foule qui se presse lors de son vernissage. Ses yeux animés d’une curiosité sans borne observent tout ce qui se passe alentour. Du haut de ses 77 ans, la photographe retrace plus de 40 ans de carrière dans l’exposition à La Chambre, intitulée Au Fil d’une vie, monographie d’un univers visuel aussi rafraîchissant qu’intriguant.
Plongée très jeune dans le monde de la photographie après sa rencontre avec le patron d’un laboratoire dont elle devient apprentie, Dolorès Marat ne quitte plus son appareil. Les années qui suivent donnent le ton à sa vie jusqu’à sa récente retraite – qui n’est due, comme elle le précise, qu’à son déménagement en province. Elle travaille pour de grandes marques de mode, magazines et journaux : L’Oréal, Hermès, Libération, Leica, Le Monde… Dolorès Marat tire, développe et donne forme aux œuvres de certains des plus grands artistes des 40 dernières années : Guy Bourdin, Helmut Newton, Jeanloup Sieff ou encore Sarah Moon.
En 1982, elle expose pour le première fois ses recherches personnelles aux Rencontres d’Arles. La froideur d’accueil que lui réserve alors « l’élite » de la photographie française la marque durablement : ses clichés ne correspondent absolument pas aux canons du moment… Exclue d’une certaine vision de la photographie par ses défenseurs, l’artiste repart immédiatement voyager autour du monde, renforcée plus que découragée.
Un regard sensible et poétique sur le monde
D’autant qu’on la reçoit avec honneur à l’étranger, à Londres en particulier, où elle exposera très fréquemment durant 10 ans. Discrète, l’artiste construit, dans l’intimité d’une vie de rencontres, un regard éminemment sensible et plein de poésie sur notre monde. Combattant, sans le savoir ou sans le revendiquer, un certain désenchantement propre à notre modernité, la photographe emporte son public de New York au Caire en passant par Paris ou Saint-Barthélemy avec un constant émerveillement.
Elle trace sa propre route, affirmant une pratique liée à sa vie intérieure : « Mes photos viennent du ventre. ». Préservée jusque tardivement de l’Histoire de l’art, son inspiration se développe autour de ce noyau intime. La prise sur le vif et l’élan vital priment sur la pause et le cadre : « Je ne veux pas m’arrêter ! »
Le fil rouge de ce corpus foisonnant semble tenir à une atmosphère sombre, moite, intime, sensuelle, intimidante voire effrayante, mais toujours intrigante de beauté. Ni la grandeur des sujets, ni leur exotisme, ni leur historicité ou encore leur actualité n’acquièrent aux yeux de la photographe une importance plus grande que son ressenti immédiat. « Je dis oui à tout », confie-t-elle.
« Il faut que je fasse la photo au moment où j’ai l’émotion. »
Dolorès Marat
Au Fil d’une vie immerge dans l’univers de l’artiste. Inspirée par l’espace, Dolorès Marat confie donner forme à ses expositions « en arrivant sur les lieux ». La phase de montage met en cohérence ce qui lie les images, leur accrochage au discours de l’artiste.
Des tirages prévus pour apprécier la profondeur des couleurs
Le choix du support constitue un autre aspect crucial du travail de Dolorès Marat. Son procédé fétiche : le tirage Fresson. Cette technique française d’impression quadrichrome datée de 1899, se caractérise par des nuances feutrées, un grain velouté et des teintes profondes. Le tirage Fresson est un enchantement pour les sens. Inspiré de la méthode « charbon-satin » monochrome, le procédé conserve dans la couleur toute la justesse de son appellation.
Poussée par des contraintes techniques, Dolorès Marat trouve un nouveau souffle dans l’impression sur « papier japon », « WASHI », offrant texture et profondeur. En effet, le procédé Fresson pâtit de la concentration sur le numérique des chaînes de production et filières de recherches des Kodak, Ilford, Rollei, Revelog… La qualité du procédé Fresson est de plus en plus complexe à maintenir.
Ces deux procédés invitent le public à prêter aux tirages une attention particulière : il ne faut pas avoir peur de s’approcher des photographies, d’observer le grain du papier, de plonger dans la profondeur des couleurs… Aboutissement du propos de l’artiste, ils convoquent chez les visiteurs le regard inventif et sensible de Dolorès Marat. Dans les flous et les couleurs suaves se cache une poésie que résume humblement l’artiste : « Sans émotion, il n’y a pas de photographie. »
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