Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

J’ai changé d’identité pendant 1h30 et je suis née au…

…Cameroun. L’exposition « Nés quelque part », sous le chapiteau blanc place du Château à Strasbourg est accessible jusqu’au 28 juin. Elle invite les visiteurs à se glisser dans la peau d’un habitant né dans l’un des sept pays présentés. Chez Rue89 Strasbourg, on n’a pas très bien compris le principe alors il fallait s’y essayer. Et bien en 1h30, j’ai pas mal voyagé.

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Sept pays et 21 citoyens, l’éventail est large. Le temps d’une exposition, place du Château à Strasbourg, je peux venir au monde en Colombie, au Niger ou encore en Polynésie française. Les participants partent par groupes de trois minimum par pays pour que l’histoire puisse se dérouler correctement. L’objectif : sensibiliser les participants aux enjeux de préservation de la planète dans les 7 pays non-occidentaux sélectionnés (Polynésie française, Niger, Cambodge, Nigeria, Colombie et Maroc). Les personnages sont attribués à chacun au hasard dès le départ.

Qui-suis-je ?

Je suis Victor et je suis un entrepreneur camerounais de 45 ans. Donc oui, j’ai pas mal changé. Je viens de signer avec l’État une concession d’exploitation forestière pour les trente prochaines années. Mais attention, je dois mener une gestion durable de la forêt et c’est ce défi que je vais devoir relever au cours de cette expérience.

Une organisatrice me remet un petit carnet pour prendre connaissance de ma situation dans ce qui s’apparente à un jeu de rôle. « Il ne faut pas stresser on ne vous demandera pas de tout connaître », précise-t-elle. Mais je stresse quand même, car les 10 pages sont bien fournies. J’ai un peu peur d’être à la traîne.

Chapiteau de l’exposition « Nés quelque part » sur la place du Château à Strasbourg.
(Photo : C.A / Rue89 Strasbourg)

Avec l’ensemble des participants, on se retrouve dans l’agora pour assister à une projection de l’AFD (l’Agence française de développement). Les quelques minutes de vidéo introduisent les enjeux soulevés par l’exposition : le développement économique des pays et aider à l’amélioration des conditions de vie, tout en ayant des démarches écologiques et durables.

Fin de l’introduction, tout le monde doit se rendre dans son pays. Parmi les sept salles, celle du Cameroun est la plus visible, à l’entrée du couloir. J’y retrouve deux autres participants, chargés d’interpréter, Muna, un chef de village Bantou qui vit dans la forêt au sud du Cameroun, ainsi que Waito, un Pygmée chasseur-cueilleur du Bassin du Congo. Ce trentenaire blanc de 1m95 semble comme moi, bien éloigné du personnage qui lui a été attribué.

Les participants peuvent jouer le rôle de 21 personnages.
(Photo : C.A / Rue89 Strasbourg)

La forêt du Bassin du Congo

Au Cameroun, chacun a sa place attitrée sur son rondin de bois, dans un salle bien décorée. On se trouve au cœur de la forêt que je compte exploiter. Un homme, à l’apparence d’un vieillard bossu nous invite à nous asseoir. Il s’adresse à chacun de nous en nous appelant par nos prénoms et semblent nous connaître.

Le visage dissimulé sous une capuche, il semble entamer une sorte de rite ancestral. Le vieil homme s’exprime majoritairement en français mais aussi dans un dialecte camerounais. Difficile de tout comprendre. Il nous demande de participer au rite en tenant une feuille de l’arbre sacré Moabi et en récitant certains éléments avec lui. Moi comme mes acolytes, nous sommes un peu perdus, mais nous jouons le jeu à fond.

Ensuite, le vieillard nous invite à écouter à l’aide d’un casque et un lecteur audio un enregistrement. Il quitte la pièce en boitant doucement et on se retrouve à trois mais avec chacun sa piste audio.

Rencontre avec un personnage

J’apprend que la forêt qu’il m’est permis d’exploiter s’étend sur près de 2 millions de kilomètres-carrés et couvre six pays. C’est la deuxième plus grande forêt tropicale du monde après l’Amazonie. La préservation de cet espace est donc nécessaire à toute la planète. Ok la pression. Je dois gérer cet ensemble forestier en coopération avec Muna et Waito.

Un nouveau personnage entre soudainement dans la salle. Encore une fois, il connait chacun d’entre nous et précise qu’il est là pour nous guider dans notre aventure. Il me met en garde et sur l’importante responsabilité qui m’est confiée et l’impact que pourrait avoir mes décisions sur la vie de mes deux compagnons.

Il nous emmène faire une balade en forêt, en plein milieu du hall, pour nous présenter la faune et la flore. Il faut sauter, se baisser, éviter certains animaux dangereux. En file indienne derrière le guide, on se laisse facilement prendre au jeu. À la fin de l’expédition, je connais les noms des végétaux que je dois éviter de couper comme l’Eben et et ceux que je peux exploiter comme le Tali.

Première étape : je quitte le Cameroun

De retour à la salle, il faut remettre le casque audio le temps de se rendre à la première étape du voyage. Je quitte mon pays direction la saline, où l’on produit du sel. Sur le chemin, un nouveau protagoniste nous arrête. Une femme, impliquée dans la lutte contre le braconnage des éléphants, nous met en garde et nous raconte son quotidien. Chaque jour, elle compte les éléphants présents sur son territoire pour recenser le nombre de pachydermes tués par les braconniers.

Elle nous apprend que bien souvent, il est difficile de remonter jusqu’au commanditaire. Les exploitants d’ivoire prennent contact avec des Bantous et leur propose une somme d’argent. Mais comme ces derniers ne savent pas forcément s’y prendre, ils vont eux-mêmes passer commande auprès des Pygmées. Une fois l’animal tué et les défenses prélevées, le colis est remis à un agent de police corrompu qui se charge de le transporter et de l’exporter par bateau vers l’Asie. Les larmes aux yeux et la gorge nouée, la comédienne raconte son histoire avec émotion.

Au début nous sommes guidés, le temps des décisions viendra plus tard.

Sous le chapiteau, les visiteurs pénètre dans un décor composé de plusieurs salles et une agora centrale.
(Photo : C.A / Rue89 Strasbourg)

Négociations et fibre commercial

La dame en tunique saharienne nous indique la « Place du village » où l’on doit rencontrer la représentante d’une ONG. Celle-ci a pour mission d’encadrer la collaboration entre Muna, Waito et moi-même et doit veiller à ce que les intérêts de chacun soient respectés. On demande à mes deux équipiers de dessiner leurs villages avec les champs et les zones sacrées. En bref, les espaces que je dois éviter et sur lesquels je ne peux pas prélever d’arbres. Puis, il doivent chacun négocier pour que j’accepte certaines de leurs demandes. Ainsi, l’exploitation n’est pas censée nuire outre-mesure à leur peuple.

Muna est plutôt timide alors il faut que la comédienne lui souffle quelques idées comme la création d’un centre de soin. Waito demande du travail et des formations pour les Pygmées. Enfin, la membre de l’ONG nous explique que l’État camerounais doit normalement reverser une somme de près de 200 000 euros par an aux différentes communes présentes sur la terre à exploiter.

Mais Muna et Waito savent bien qu’ils ne peuvent pas compter sur cet argent, que l’État « oublie » souvent. Ils doivent chacun défendre leur situation et je dois décider du montant de l’aide financière que je souhaite leur octroyer (entre 10 000 et 40 000 euros). Piètre négociatrice et sensible à leur situation je donne le maximum. Pas sûr que si c’était vraiment mon argent, j’aurais agi de la sorte. Les accords sont scellés d’une poignée de main.

Des parcours qui s’entrecroisent

Ensuite, la carte de mon carnet de voyage indique qu’il faut rejoindre l’agora située à l’entrée du chapiteau, où l’expérience a débuté. Celle des autres équipes aussi visiblement. Une action différente est prévue pour chaque groupe. Pour nous, une nouvelle vidéo projetée sur une toile. Honnêtement ? Aucun souvenir. Le brouhaha autour incitait davantage à regarder ce que faisaient nos voisins qu’à se concentrer sur notre action.

À la fin du clip, un message précise qu’on doit récupérer quelques e-mails personnels concernant notre projet commun. Mon cousin m’a écrit pour me conseiller d’apposer un label sur mon bois qui prouvera que je permets le renouvellement de la forêt en respectant les populations et les espèces qui y vivent. Tout s’enchaîne vite, c’est déjà au tour d’une autre équipe, des Cambodgiens je crois. Et il y a un concert de percussions au Niger juste à côté.

Retour au Cameroun

Rentré « au pays », je retrouve mes repères et mon rondin de bois, ça fait du bien après ce périple. Le guide nous fait une dernière synthèse des projets futurs pour lesquels je me suis engagé. Pour conclure l’expérience, on m’offre une poignée de vraies graines de l’arbre Maobi que je suis censée partager symboliquement avec les autres nationalités. En échange, ils me confient une autre graine, symbolisant les enjeux de l’habitat naturel dans leur pays. Dans l’agora, on se retrouve à une vingtaine de personnes pour en quelque sorte trinquer avec nos graines. À quelques mètres, les uns des autres mais pris dans chacune de nos histoires, on ne sait finalement rien des autres expériences. Ce dimanche après-midi, une de mes camarades venait pour la septième fois, dans l’objectif de tester toutes les aventures.

En tout, j’ai rencontré cinq personnages différents, assisté et participé à plusieurs scénettes et interagi avec les autres participants. Sous ce chapiteau, ce sont donc plusieurs pièces de théâtre qui se jouent où les personnages s’entrecroisent à certains points de leurs parcours. Un beau travail de médiation culturelle dont je ressors touchée.


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