Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

L’explosion de la précarité à Strasbourg met les associations de solidarité sous tension

Le Secours populaire, les Restos du cœur ou encore Strasbourg action solidarité constatent une forte augmentation du nombre de personnes qui ont besoin d’aide et craignent de ne plus réussir à répondre. La Ville et l’Eurométropole vont débloquer 305 000 euros pour soutenir ces associations.

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« En septembre 2021, quand on distribuait 300 repas lors d’une maraude un mardi soir, on postait le chiffre sur les réseaux parce que c’était énorme. Maintenant, on distribue près de 800 repas. C’est intenable, je ne sais plus comment alerter sur cette situation », s’alarme Valérie Suzan, présidente de Strasbourg action solidarité (SAS).

Chez les responsables d’associations de distribution alimentaire, les témoignages préoccupants se succèdent. Tous constatent une augmentation massive du nombre de personnes qui leur demandent de l’aide. Valérie Suzan poursuit :

« Mardi (19 septembre), on a donné 790 repas. Les gens qui viennent vers nous sont épuisés. Il y a des familles, des enfants, des personnes gravement malades… On ne va pas tenir longtemps à ce rythme là. Il faut que les responsables politiques se mettent autour d’une table et que les choses bougent. »

Les associations strasbourgeoises distribuent de plus en plus de denrées alimentaires. Photo : Marcade / Secours Populaire

La demande augmente partout

« Tout le monde trouve ça normal qu’on distribue des repas, on fait partie du paysage, mais ça ne tient qu’à un fil en réalité », signale Patrick Gruber, président des Restos du cœur du Bas-Rhin :

« Les associations comme nous sont indispensables alors qu’elles ne tournent que grâce à des bénévoles qui ont une charge croissante. En 2023, nous avons environ 1 800 personnes inscrites à la Meinau contre 1 300 en 2022. À Bischheim, on est passé de 1 100 en 2022 à 1 500 en 2023. À Haguenau de 250 à 540. Entre 2021 et 2022, on avait déjà augmenté notre activité de 30% en passant de 2,2 à 3 millions de repas distribués au total dans le Bas-Rhin. Cet été, on a encore 25% d’activité en plus par rapport à 2022. »

Le Secours populaire du Bas-Rhin a fourni une aide alimentaire (un panier de denrées tous les mois ou toutes les semaines selon les situations) à 9 716 personnes dans le Bas-Rhin en 2022, dont 2 429 familles, ce qui représentait une augmentation de 19% par rapport à 2021, année pendant laquelle une hausse de 25% comparé à 2020 avait déjà été observée selon son directeur, Camille Vega :

« Cet été, lors de distributions alimentaires quartier Laiterie, nous avons distribué avec l’association Abribus 22 214 repas contre 13 347 lors de la session 2022. »

Certaines associations tiennent un rythme important pour répondre à la demande. Photo : Marcade / Secours Populaire

« Des bénévoles le vivent mal »

L’association Abribus a relayé ses craintes dans un communiqué jeudi 21 septembre : « Nous nous joignons aux constats terribles et aux alertes exprimées par de nombreuses associations nationales ces dernières semaines. Jamais Abribus n’a distribué autant de repas que lors de la saison 2022-2023. »

L’association expose avoir distribué l’hiver dernier plus de 50 000 repas en 92 sorties, soit une moyenne de 543 repas par soir, avec des pics à près de 800 diners servis. Cela représente une augmentation de 44% relativement à la saison 2021-2022 et de 163% par rapport au niveau d’avant crise sanitaire d’après Abribus.

Quant aux Petites roues, elles distribuaient au maximum 70 repas en 2021 le vendredi soir place de la gare, mais environ 150 depuis fin 2022 selon leur présidente Sabine Carriou :

« Et on n’en a pas assez pour tout le monde, il y a 200 personnes qui demandent ces derniers temps. Le fait de ne pas être en mesure de répondre à toutes les personnes qui viennent, ça crée un moment de panique, c’est très dur. Des bénévoles le vivent mal et ne reviennent plus à cause de ça. Nous avons décidé de faire une pause cet été afin de repenser l’organisation des maraudes au vu de l’augmentation de la demande. Des bénévoles cuisineront toute la journée et non plus seulement l’après-midi, afin d’arriver à produire entre 200 et 250 repas. »

Caritas remarque que de plus en plus de personnes de plus de 60 ans demandent de l’aide. Photo : Pascal Montary / Secours Populaire

Des étudiants, des retraités…

Au Secours populaire et aux Restos du cœur, outre des personnes sans-abri, de nouveaux profils comme des étudiants, des retraités ou des travailleurs précaires demandent de l’aide depuis la pandémie en 2020. Patrick Gruber indique qu’avec l’inflation, « les bénéficiaires sont obligés de choisir entre se chauffer ou manger, acheter du carburant ou des aliments ».

Selon Gautier Traber, chargé de communication de Caritas, des auto-entrepreneurs et des personnes au Smic sollicitent désormais l’association caritative :

« En 2022, 4% des personnes accueillies déclaraient des ressources mensuelles supérieures à 1 200€. 17% des personnes qui venaient demander de l’aide avaient un niveau de formation supérieur [au bac], contre 15% en 2021 : l’obtention d’un diplôme n’est plus un rempart contre la pauvreté. La proportion des bénéficiaires de 60 ans a progressé, notamment ceux qui touchent une très petite retraite ou le minimum vieillesse (953,45€ par mois pour une personne seule). »

Des associations en difficulté financière

La majorité de ces associations fonctionnent grâce à des dons de particuliers ou d’entreprises. Patrick Gruber explique que les Restos du cœur achètent « 40% de ce [qu’ils] distribuent grâce aux dons, 30% avec un fonds européen (d’aide aux plus démunis, NDLR) et les 30% restants correspondent à des récupérations gratuites chez des grossistes ou dans des supermarchés ».

Mais avec la demande de produits à bas prix, les supermarchés vendent de plus en plus de produits proches de la date de péremption en faisant des réductions. « Avec l’augmentation des frais d’essence et de tous nos achats, nous avons un déficit de 400 000 euros entre mai 2022 et mai 2023 », poursuit Patrick Gruber, qui s’inquiète aussi d’une baisse du nombre de bénévoles :

« On a 650 bénévoles contre 750 il y a un an. La plupart sont des retraités et certains sont en difficulté financière et ne peuvent plus faire de bénévolat. D’autres doivent garder leurs petits enfants parce que ça coûte moins cher que la crèche… Nous avons besoin de personnes qui peuvent se mobiliser les jours de semaines pour faire les collectes et tenir les permanences. »

Les associations de solidarité font un travail essentiel mais ne fonctionnent que grâce à des bénévoles. Photo : Marcade / Secours Populaire

Médecins du Monde n’arrive pas à suivre

Du côté du Secours populaire, l’association est contrainte de réduire ses rations : « Par exemple, une famille qui recevait un pack de lait il y a un an ne reçoit plus que 4 bouteilles », illustre Camille Véga.

D’après une enquête commandée par la Ville de Strasbourg et réalisée dans la semaine du 20 au 26 mars, sur 400 individus interrogés lors de distributions alimentaires, 46% étaient sans-abris. Nicolas Fuchs, coordinateur régional de Médecins du Monde, avoue que son association n’arrive pas à suivre l’intégralité des sites où vivent des sans-abris avec sa soixantaine de bénévoles :

« Il y a une multiplication de petits campements, qu’on ne connait pas tous, en plus du squat Sarlat au Neuhof et du bidonville de Cronenbourg. Nous n’avons pas encore pu nous rendre au parc du Glacis, où une cinquantaine de tentes ont été installées. »

Depuis plusieurs années à Strasbourg, le dispositif d’hébergement d’urgence est saturé sans que l’État ne crée suffisamment de places d’hébergement d’urgence, malgré les alertes des associations.

Des personnes hébergées mais sans cuisine

Toujours selon l’enquête menée en mars 2023, 53% des personnes interrogées lors de maraudes avaient une solution d’hébergement : 20% avaient un logement et 33% étaient installées dans des foyers ou des chambres d’hôtels, souvent sans cuisine. Une situation « absurde » selon Sabine Carriou qui estime que des cuisines permettraient « de diminuer la pression sur les associations ».

Le Secours populaire est contraint de rationner davantage. Photo : Pascal Montary / Secours Populaire

Pour répondre à cette situation de crise, la municipalité va apporter 305 000 euros aux associations de solidarité. En plus d’une enveloppe du Centre communal d’action sociale (CCAS) de 150 000 euros qui sera débloquée cet automne, la Ville a voté lundi 25 septembre une subvention de 100 000 euros spécialement dédiée au Secours populaire (45 000 euros), à la Banque alimentaire (45 000 euros) et aux Restos du cœur (10 000 euros). Elles devraient également se voir attribuer 55 000 euros supplémentaires suite au conseil de l’Eurométropole du 6 octobre.

Des épiceries solidaires pour diminuer les files d’attentes

Floriane Varieras, adjointe à la maire en charge des solidarités, estime qu’il s’agit d’une aide d’urgence à court terme et indique travailler à la mise en place de nouveaux dispositifs pour « réduire les files des distributions alimentaires », en soutenant des épiceries solidaires comme La Caravelle tenue par Caritas à Cronenbourg.

L’élue évoque aussi des réflexions au sujet d’une « sécurité sociale de l’alimentation » :

« Un modèle similaire existe à Montpellier, ou des personnes cotisent plus ou moins selon leurs revenus pour accéder à des produits dans des épiceries solidaires ou des boutiques partenaires. »

Contactée par Rue89 Strasbourg, la Région Grand Est indique n’avoir pas voté de fonds supplémentaires en 2023, mais alloue déjà 10 000 euros par an à la banque alimentaire du Bas Rhin depuis 2020 (100 000 euros en tout en 2023 pour les 10 banques alimentaires du Grand Est). En revanche, la Collectivité d’Alsace a décidé d’augmenter son soutien « aux épiceries et associations d’aide alimentaire de 375 955 euros en 2022 à 478 929 euros en 2023 ».


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