Sur le site internet du promoteur Nexity, le programme de logements du Heyritz (notre article paru cet été) est présenté comme faisant partie d’un « nouvel éco-quartier, faisant face à l’hôpital civil ». De même, sur le site de la ville de Strasbourg, le nouveau quartier du Bruckhof (notre article), construit sur les terrains de l’ancien dépôt de la CTS à Neudorf, est également vendu comme « une opération mixte réalisée selon les critères d’un éco-quartier ». Or, ces deux projets, comme d’autres qui revendiquent l’appellation, ne répondent pas à la totalité du cahier des charges tel que défini depuis fin 2012 dans la Charte des EcoQuartiers mise en place par le ministère de l’Egalité des territoires et du logement (PDF).
Cette charte n’est « pas trop restrictive, pour laisser une certaine marge de manœuvre aux acteurs locaux », se félicite Philippe Bies, député du Bas-Rhin et ancien vice-président de la CUS en charge du logement. Mais pose un cadre en 20 points, allant de la démarche d’élaboration participative du projet à la sobriété énergétique des bâtiments, en passant par la réduction de la dépendance à l’automobile.
Six « vrais » écoquartiers
Entre 2008, date du Grenelle de l’environnement qui à mis le concept à la mode, et fin 2012, ces critères étaient flous. D’où ce processus de labellisation qui vise à aiguiller les futurs acheteurs vers les « vrais » écoquartiers et valoriser collectivités et promoteurs qui font l’effort de mettre en place ce type de projets, plus long à voir le jour, à défaut d’être plus coûteux, que des opérations de promotion immobilières classiques. Dans la CUS, à des degrés divers, six nouveaux quartiers pourront bientôt prétendre à l’obtention du label : Brasserie à Cronenbourg, Les Tanneries à Lingolsheim, Danube sur les fronts de Neudorf, Rives du Bohrie à Ostwald, Adelshoffen à Schiltigheim et les Portes du Kochersberg à Vendenheim.
Qu’est-ce qui différencie ces quartiers par rapport à d’autres ? D’abord, un écoquartier doit être un nouveau morceau de ville où se confrontent divers promoteurs, et donc différents architectes et formes architecturales, mises en cohérence par un aménageur. Dans la CUS, c’est la SERS (Société d’aménagement et d’équipement de la région de Strasbourg) qui joue ce rôle. Le projet ne doit pas être homogène et doit surtout comprendre de la mixité fonctionnelle (logements, mais aussi commerces, bureaux et/ou services) et sociale (entre 25% de logements sociaux à Vendenheim, jusqu’à 45% à Danube). Il doit être élaboré en collaboration avec les riverains, les futurs habitants et les corps de métiers. Pour l’écoquartier Danube par exemple, il a fallu deux ans de discussions avec les divers acteurs pour définir les besoins, envies et possibilités de chacun.
Des bâtiments qui « consomment local »
Un écoquartier doit ensuite répondre à des critères environnementaux. Si la norme BBC (bâtiments basse consommation) est aujourd’hui obligatoire – elle ne l’était pas au moment du dépôt de permis de construire des projets Heyritz et Bruckhof – elle est insuffisante pour définir un écoquartier. Les bâtiments doivent être certes peu gourmands en énergie (RT2012, passifs voire à énergie positive, comme la tour Elithis sur le projet Danube), mais ils doivent aussi « consommer local » au maximum. Chauffage au bois (biomasse), réseaux de chaleur, géothermie, solaire thermique ou photovoltaïque, sont privilégiés. Certaines toitures seront végétalisées pour apporter de la fraîcheur, l’orientation des logements est également pensée pour profiter au maximum de la lumière naturelle. Dans ces quartiers, « l’énergie renouvelable n’est plus le parent pauvre », se félicite Alain Jund, adjoint au maire de Strasbourg en charge de l’urbanisme.
Le rapport des futurs habitants à la nature est également central. Des jardins partagés, des potagers privatifs, des aménagements paysagers, des espaces verts (à défaut d’être naturels) seront aménagés pour répondre à de nouvelles attentes en terme de qualité de vie (lutte contre les îlots de chaleur par exemple), mais également favoriser la biodiversité (essences locales, insectes, oiseaux…) ou limiter l’imperméabilisation des sols. Une réflexion sur le traitement des déchets et la récupération des eaux de pluie est également encouragée.
Exit les voitures en bas d’immeubles
Dernier critère indispensable pour prétendre au futur label national, l’accessibilité ou, en version jargonnante, « les mobilités ». C’est à Danube, quartier lauréat d’un appel à projets écoquartiers national en 2009 sur le thème de la mobilité, que cette question a été pensée de la façon la plus approfondie. La voiture y a une place très restreinte, on ne comptera qu’une place de stationnement pour deux logements. Une révolution dans le monde de la promotion immobilière, où tout appartement neuf s’accompagne en général d’une, voire de deux places de parking (c’est le cas encore à Vendenheim, non relié au réseau de tramway). Dans l’écoquartier Brasserie, les 369 places de stationnement (une par logement) seront centralisées dans un silo souterrain, une nouveauté pour les promoteurs comme pour les acheteurs, habitués à disposer d’un parking en pied d’immeuble.
A Danube encore, mais ce sera également le cas dans la plupart des cinq autres quartiers, les futurs habitants auront le choix entre plusieurs alternatives à la voiture : vélo bien sûr, avec des abris et une station Vélhop, autopartage (station Auto’trement) et station de tram à proximité. Un « Pass mobilité » est en cours de réflexion à la CTS pour les habitants de Danube, qui pourrait être étendu à toute l’agglomération.
Bousculer les pratiques des promoteurs
Et c’est bien sur cette diffusion des innovations que comptent les pouvoirs publics. « L’objectif est que ce qui se fait de mieux dans les écoquartiers irrigue le reste des projets dans la ville », espère Alain Jund. « L’idée est de travailler en partenariat avec les promoteurs, qui ont été nombreux à signer notre charte de l’aménagement et de la ville durable« , ajoute quant à lui Florian Venant, chargé de mission écoquartiers à la CUS.
Car, si le processus de création d’un écoquartier « a complexifié le travail de l’aménageur », insiste Eric Fullenwarth, directeur de la SERS, il a aussi poussé les promoteurs « à bousculer [leurs] habitudes, à changer de culture », juge Thomas Leclercq, président de la Fédération des promoteurs d’Alsace. Il ajoute : « Avec le cahier des charges des écoquartiers, on a été contraint de progresser, notamment en travaillant ensemble. Et ce qu’on a économisé sur les parkings mutualisés, on l’a mis dans la qualité des matériaux ». Ce qui permet théoriquement de garantir un prix de sortie standard, entre 2700 et 3500€ du mètre carré.
« Il n’oseront plus utiliser le terme écoquartier »
Sur la reconnaissance du travail partenarial et des efforts fournis par les professionnels, les institutionnels comme les promoteurs comptent sur la mise en place effective du fameux label. Alice Lejeune, chargée de mission ville durable et habitat à la Dreal Alsace, assure :
« Le levier qui va permettre de délivrer une information claire, c’est la mise en place du label national et l’expertise qui l’accompagne. La liste des quartiers labellisés sera consultable sur le site du ministère [ndlr, à partir de cet automne]. Le label permettra de distinguer les quartiers dont la qualité et l’innovation auront été reconnus. Le label ne s’arrête cependant pas à une simple distinction ou garantie sur la qualité des projets : il est prévu un suivi de l’évaluation des projets. Les écoquartiers présentent en effet des dispositifs souvent innovants et originaux dont il faut tirer collectivement parti. »
Même avis pour Thomas Leclercq, président de la Fédération des promoteurs, qui espère qu’une fois le label en place, il agira « en négatif » :
« Quand les projets conformes à la Charte pourront mettre en avant le label, ceux qui ne l’ont pas n’oseront plus s’afficher comme étant des écoquartiers. »
Les livraisons des six écoquartiers sont échelonnées entre février 2014 (certains immeubles à Brasserie) et courant 2015, pour Danube et Vendenheim. Fin 2014, les premiers habitants des Tanneries, des Rives du Bohrie et d’Adelshoffen pourront également s’installer.
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