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[Explicateur] L’argent que vont dépenser les candidats aux municipales

Depuis les début des années 1990 et les lois sur le financement de la vie politique, les candidats aux élections doivent respecter des règles strictes en matière de gestion des comptes de campagne. A Strasbourg, les candidats aux municipales de mars 2014 pourront dépenser 262 967€ avant le 1er tour, 349 633€ s’ils passent la barre du second. Explicateur.

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Roland Ries glisse un bulletin dans l’urne au 2ème tour des municipales de 2008 (Photo Pascal Bastien)

« Depuis ma première campagne, en 1992, je dois tenir des comptes. Je trouve ça très rassurant », confie Fabienne Keller, candidate UMP à la mairie de Strasbourg l’année prochaine. Comme le maire sortant Roland Ries (PS), la sénatrice du Bas-Rhin a déjà lancé la machine complexe des comptes de campagne, déclaré un mandataire financier, commencé à compiler les factures d’impression de tracts et les notes d’apéritifs. Combien et comment les candidats dépenseront l’argent alloué pour la campagne ? Qui contrôle et quels sont les risques encourus si un aspirant élu ne respecte pas les règles ? Tout est dans le Guide du candidat et du mandataire (PDF) édité avant chaque élection par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP).

1 – Des dépenses plafonnées

  • Le plafond

« Le plafond légal englobe non seulement les dépenses effectuées par le mandataire, mais aussi celles réglées directement par les candidats, les partis politiques ou les tiers, et les divers concours en nature dont a bénéficié le candidat. »

A Strasbourg, ce plafond, fixé par la préfecture en fonction d’un barème national, qui fonctionne par tranches de nombre d’habitants, est de 262 967€ pour le 1er tour de l’élection, 349 633€ pour les listes qualifiées pour le second tour. Toutes les listes ne dépenseront pas de telles sommes, loin s’en faut. « En 2008, nous n’étions pas large [pas très loin du plafond], se souvient Mathieu Cahn, premier secrétaire fédéral du PS du Bas-Rhin et co-directeur de la campagne de Roland Ries pour l’élection à venir. Cette fois-ci, ce sera différent. La campagne est en général plus courte pour le sortant. »

  • Dépenses avant la constitution d’une liste, le cas Keller-Loos

« Les dépenses exposées par des candidats ayant agi séparément avant de figurer sur une même liste, sont totalisées et décomptées comme faites au profit de cette liste. Dans le cadre d’un scrutin de liste, il est possible que plusieurs candidats, avant même de se porter candidats sur une liste unique, engagent séparément des dépenses et recueillent des fonds, en ayant chacun désigné un mandataire financier. Dans ce cas, les dépenses et les recettes à l’initiative des différents mandataires sont totalisées et les comptes de leur gestion comportant les justifications exigées, sont annexés au compte de campagne déposé par le candidat tête de liste. »

Si deux candidats partent séparément pour se rassembler avant le premier tour de scrutin, comme ce pourrait être le cas de Fabienne Keller (UMP) et François Loos (UDI), le plafond de dépenses doit être respecté. « Pour le moment nous avons été extrêmement raisonnables, assure Fabienne Keller. Mais je sais que François Loos a déjà pris plusieurs agences de communication. J’ai été approchée, je connais les prix. » Inquiétude en vue d’une possible union ? « Je reste optimiste. »

  • Fusion de listes au second tour, le cas du PS et des écologistes

En cas de fusion des listes après le premier tour, les comptes sont arrêtés pour la liste qui est absorbée. Les dépenses faites dans la semaine entre les deux tours sont intégrées dans le compte de campagne de la liste principale.

2 – Des règles qui s’appliquent quand et pour qui ?

  • Un an avant

« Pour les élections générales, la période de financement est d’une année. Elle débute le premier jour du douzième mois précédent le premier jour du mois de l’élection [ndlr, pour les municipales de mars 2014, ce jour est le 1er mars 2013]. »

Cette règle intègre notamment l’édition de livres et fascicules. Jean-Emmanuel Robert, Fabienne Keller, Robert Herrmann et François Loos ont publié des livres ou fascicules depuis le mois d’avril 2013. Une part ou la totalité de la production de ces ouvrages, à caractère politique à défaut d’être à 100% programmatique, devra être intégrée dans les comptes de campagnes des listes auxquelles appartiennent ces personnalités. Exemple avec le cas du livre de Robert Herrmann, expliqué par Mathieu Cahn : « Je ne crois pas que les frais d’impression ou de vente seront intégrés. En revanche, le coût de la présentation du livre à l’Art Café devant 200 personnes, on devra l’intégrer, c’est sûr ».

  • 6 mois avant

Pour les élus en place, un écueil : les moyens de la collectivité. Six mois avant le scrutin, un maire ne peut plus faire la promotion de son bilan lors d’une inauguration, ou évoquer ses projets futurs à l’occasion d’événements où il est présent en sa qualité de maire et non de candidat. S’il peut continuer à signer l’éditorial du bulletin municipal, il ne doit en revanche avoir aucune connotation électorale. Raphaël Nisand, maire (PS) de Schiltigheim, prend ainsi un risque en défendant son action économique dans le numéro d’octobre 2013 de Schilick Info (dispo en ligne).

3 – L’argent, sous le pied d’un cheval ?

  • Apport du candidat et des colistiers

Les candidats peuvent verser leurs fonds propres au compte de campagne sans limitation. C’est que qu’a fait Fabienne Keller jusqu’à présent – sans révéler pour le moment le montant de cet apport. Les colistiers peuvent également être sollicités pour participer financièrement à la campagne, comme c’est le cas au Parti socialiste où cet apport est fonction de la place sur la liste. En 2008, cet apport allait de 100€ à 800€ par colistier, sachant que les listes strasbourgeoises comptent 65 noms. « Dans le cas où un colistier n’avait pas les sous, relate Mathieu Cahn, le parti a versé la somme à sa place et s’est remboursé sur la première indemnité perçue après la victoire. »

  • Emprunts

Bien souvent, le candidat contracte un emprunt à la banque. C’est le cas par exemple pour Alain Jund, élu Europe Ecologie – Les Verts (EELV) et candidat d’une liste écologiste aux municipales. Les moyens de son parti n’étant pas comparables à ceux de l’UMP ou du PS, Alain Jund a emprunté environ 100 000€, en faisant appel à des garants. Cette somme lui sera remboursée par l’État si sa liste atteint les 5% des suffrages. Au PS aussi, il est question d’emprunt. Ce dernier représentera la moitié du plafond (ce qu’on appelle le demi-plafond), somme remboursée si la liste atteint les 5%.

  • Dons de particuliers

« Les dons consentis par une personne physique dûment identifiée pour le financement de la campagne d’un ou plusieurs candidats lors des mêmes élections ne peuvent excéder 4 600€. Les personnes morales, à l’exception des partis ou groupements politiques, ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d’un candidat, ni en lui consentant des dons sous quelque forme que ce soit, ni en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués. »

« Rares sont les dons de 4 600€ », assurent les responsables politiques, qui notent que la plupart des donateurs versent 50, 100 ou 150€ pour la campagne. Des appels à dons peuvent être lancés, mais ce n’est pas encore le cas pour les grands partis. « Nous ne sommes pas dans l’urgence », juge Mathieu Cahn.

  • Participation des partis

Les partis politiques participent financièrement à la campagne sous différentes formes, par des apports en espèces, mais également en nature. Quand le parti tire des tracts, c’est intégré au compte de campagne. Quand le parti met à disposition un salarié permanent de façon ponctuel, c’est également intégré. Idem pour une part de l’organisation de la Fête de la rose 2013, à l’occasion de laquelle le maire de Strasbourg a pris la parole, en plein air, ouverte à tous et notamment de la presse.

Dans le cas de Fabienne Keller, son association de soutien, A Strasbourg, a le statut de micro-parti politique. Ainsi, alors que la candidate n’a pas pour le moment de local de campagne dédié, son micro-parti met à sa disposition ses salles de réunion pour la campagne, dont une part du loyer sera intégrée aux comptes. Petite subtilité, ces salles sont dans le même appartement que les bureaux de la sénatrice Fabienne Keller.

4 – Le candidat ne doit jamais sortir son porte-monnaie

  • Le mandataire financier (ou l’association de financement)

« Le mandataire est l’intermédiaire financier du candidat avec les tiers. À ce titre, il perçoit tous les fonds destinés au financement de la campagne, dont il vérifie la régularité au regard des dispositions du Code électoral. Il lui appartient également de délivrer des reçus-dons aux donateurs. Au moyen de ces recettes, il règle les dépenses de campagne par carte bancaire à débit immédiat ou par l’émission de chèques tirés sur le compte bancaire ouvert spécifiquement pour la campagne, en vérifiant le respect du plafond légal des dépenses et la nature électorale de celles-ci. »

Roland Herrmann (oui, comme Robert…) pour Fabienne Keller, Christian Brassac pour Alain Jund, Paul Pévet pour Roland Ries, Hugues Geiger pour Jean-Emmanuel Robert quand il était candidat… Les mandataires financiers sont des personnages clés dans la campagne. Déclarés en préfecture dans l’année qui précède l’élection, ils sont le porte-monnaie du candidat. C’est par eux que transitent chaque recette et chaque dépense. Ils ne peuvent être ni colistiers du candidat qu’ils représentent, ni l’expert-comptable qui validera ensuite le compte de campagne.

  • Pas sans anicroches…

Les mandataires financiers des candidats socialistes suivent obligatoirement une formation d’une demi-journée avant chaque élection, « pour se remettre à jour, note le 1er secrétaire fédéral. Il faut être très vigilant car la jurisprudence change sans arrêt. » Et même avec ces remises à niveau régulières, des erreurs sont commises. Ainsi, en 2008, le mandataire financier de Jacques Bigot avait payé un pot avec sa carte bancaire, puis s’était remboursé sur le compte de la campagne. Seulement voilà, cette opération qui était possible lors d’une élection précédente a valu des ennuis au candidat Bigot… « C’est très compliqué, reconnaissent les responsables politiques, car le mandataire ne peut pas être sans arrêt présent. Il faut trouver des fournisseurs de matériel, des imprimeurs, des restaurateurs qui acceptent d’émettre des factures et d’être payés ensuite. »

5 – Ce qui rentre dans le compte de campagne

  • La communication, gros poste budgétaire

« Le candidat peut faire appel à des sociétés de communication pour élaborer la stratégie de sa campagne. Les factures relatives à ces prestations doivent comporter le détail des honoraires : nombre de participants, qualité, taux horaire, temps passé, etc. En outre, comme justificatifs peuvent être joints le compte-rendu des réunions et le cahier des charges. Les frais dits de « coaching » ou de formation du candidat, de l’équipe de campagne ou de militants (notamment à la prise de parole en public) constituent des dépenses personnelles, dont le bénéfice leur reste acquis, et non des dépenses directement destinées à promouvoir l’image du candidat auprès des électeurs. Ces frais relèvent le cas échéant d’une prise en charge par les partis politiques ou par le bénéficiaire, mais ne sont pas imputables au compte de campagne. »

De 30 à 35% du budget pour les gros partis, jusqu’à 50% pour les plus petits, la communication (la « propagande » !) est souvent le plus gros poste budgétaire, avec le permanent de la campagne et la location d’un local. Elle intègre la conception (stratégie, charte graphique…) jusqu’à l’impression des tracts, mais aussi la création d’un site internet, l’animation des réseaux sociaux, si elle est externalisée. Si ces services sont assurés par des militants bénévoles, comme c’est souvent le cas, ils n’entrent pas dans le compte de campagne. Ainsi, Fabienne Keller ne comptabilisera pas son site Dites-moi tout! ni la conception de ses tracts, réalisés, assure la candidate, par des militants UMP.

  • Réunions, meetings

« Les frais liés à la tenue de réunions, meetings ou manifestations publiques pour la campagne électorale (location, sonorisation, buffet) doivent figurer dans le compte du candidat. Les dépenses liées à la tenue de réunions de l’équipe de campagne pour la préparation de l’élection n’ont pas à figurer au compte. »

  • Le local et le permanent de la campagne

« Toute utilisation par le candidat d’une permanence habituelle financée par une collectivité publique est interdite. Elle serait assimilée à un concours en nature d’une personne morale. Au contraire, si le candidat règle directement les frais de son local d’élu sur ses fonds personnels, y compris ceux provenant de ses indemnités, il peut continuer à l’utiliser pour sa campagne et doit déclarer le coût correspondant à son utilisation à des fins électorales sous la rubrique concours en nature. »

Toutes les listes n’étant pas encore constituées – et la plupart n’ayant pas les moyens de louer un local – seuls deux permanence de campagne sont ouvertes aujourd’hui, celle d’Alain Jund (EELV), rue de la Division-Leclerc, et celle François Loos (UDI), rue du Marais-Vert. Fabienne Keller devrait ouvrir un local « dans les semaines qui viennent », Roland Ries également.

6 – Déclarer les comptes, le pensum

  • L’expert-comptable

Après l’élection, qu’elle soit gagnée ou perdue, le compte de campagne doit passer entre les mains d’un expert-comptable, puis remis à la Commission nationale des comptes de campagne dans un délai de deux mois. « En 2008, nous avons envoyé à Paris trois cartons de justificatifs », se souvient Roland Ries. Le Parti socialiste fait travailler un même cabinet d’expert-comptables pour tout le Bas-Rhin, habitué de l’exercice. « La commission sort de plus en plus de dépenses qui étaient jusque-là prises en compte. Le critère pour entrer dans le compte, c’est de contribuer à rapporter des voix », explique Mathieu Cahn. Selon le premier secrétaire fédéral, « cette logique de plus en plus restrictive permet à l’Etat de faire des économies. Il y a notamment un débat récurrent sur les intérêts de l’emprunt contracté pour la campagne… »

  • Le remboursement

Le remboursement des frais (dans la limite du demi-plafond) intervient après approbation du compte de campagne dans un délai de 6 mois après le dépôt. Le montant est fixé par la commission et la somme versée par le préfet aux têtes de listes des villes de plus de 9 000 habitants (les seules pour lesquelles cet ensemble de règles s’appliquent). Les listes n’ayant pas obtenu 5% des suffrages ne sont pas remboursées. Ainsi, les sommes engagées par les candidats sous la barre des 5% sont remboursées à la banque (en cas d’emprunt) par les cautionnaires, par le candidat et ses colistiers ou par le parti politique sous les couleurs duquel concourrait la liste.

  • Rejet du compte, les sanctions

Le rejet du compte, s’il est validé par juge de l’élection (tribunal administratif, dans le cas des municipales, Conseil d’Etat en cas d’appel), entraine généralement l’annulation du remboursement du demi-plafond, comme c’est le cas pour l’UMP suite au rejet du compte de Nicolas Sarkozy, candidat aux élections présidentielles de 2012. Ce rejet peut également donné lieu à des sanctions pénales :

« Le juge de l’élection peut déclarer inéligible pendant un an le candidat dont le compte de campagne, le cas échéant après réformation, fait apparaître un dépassement du plafond des dépenses électorales. (…) Le juge de l’élection peut déclarer inéligible le candidat qui n’a pas déposé son compte de campagne dans les conditions et le délai prescrits. (…)

Le Code électoral prévoit une peine d’amende de 3750€ et/ou d’emprisonnement d’un an, à l’encontre du candidat qui aura recueilli des fonds sans l’intermédiaire d’un mandataire financier, méconnu les formalités d’établissement du compte de campagne, fait état dans le compte de campagne ou ses annexes d’éléments sciemment minorés, bénéficié sur sa demande ou avec son accord exprès, d’affichage ou de publicité commerciale.

[Le Code électoral] prévoit une peine de deux ans d’emprisonnement et une amende de 15000€ à l’encontre de celui qui aura notamment obtenu ou tenté d’obtenir le suffrage d’électeurs par des dons ou libéralités en argent ou en nature [exemple, le célèbre cas Dassault]. »


#élections municipales 2014

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