Depuis son exil strasbourgeois, la bataille d’un auteur afghan pour continuer d’écrire

L’auteur afghan Gul Baloch est bien décidé à rester écrivain en exil.

Depuis son exil strasbourgeois, la bataille d’un auteur afghan pour continuer d’écrire

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Gul Baloch, réfugié afghan à Strasbourg, doit réapprendre à parler et à vivre en France. Il s’accroche néanmoins à son désir de poursuivre son œuvre d’écrivain, brisée nette par l’irruption des talibans.


Les professeurs ont poussé les tables dans la salle d’étude de la médiathèque du collège Baldung-Grien, à Hoerdt. Un matin du mois de mai, les élèves de 5e entourent leur invité, Gul Baloch, auteur afghan de livres jeunesse, réfugié à Strasbourg depuis 2021. L’homme de 29 ans aux boucles rebelles ne lâche pas ses notes. Il a préparé ses réponses à l’écrit pour palier un français encore fragile à l’oral. Cette rencontre est le cadeau d’anniversaire que Claire Audhuy lui offre. L’autrice alsacienne sait combien ce réfugié s’accroche au désir de redevenir écrivain, même en exil.

« Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir écrivain ? », s’enquiert Lina, une des collégiennes. La réponse de Gul Baloch paraît sortir d’un autre monde :

« Quand j’étais petit,  j’adorais les histoires mais il y avait très peu de livres pour les enfants. Mon père n’avait pas d’argent pour aller en ville et en acheter. »

Une invitation signée de tous les élèves

En février, les élèves ont adressé à Gul Baloch un courrier pour le convier à venir découvrir leur traduction française de son dernier ouvrage, La chouette qui en savait beaucoup et la petite fille qui voulait apprendre (The smart owl and the clever girl, inédit en français). Il s’agit du seul à avoir été traduit du pachto et du persan en langue anglaise par une ONG. Christelle Urban, la professeure d’anglais des collégiens a fait du livre le support d’un riche projet de traduction :

« Les élèves ont tout de suite trouvé la morale de l’histoire, celle que le savoir rend libre. Le sujet de la place des filles a retenu notre attention. Les élèves français ne se rendent pas compte de la chance qu’ils ont. C’était aussi l’occasion de les ouvrir sur la différence alors que dans notre collège de villages, il y a très peu de diversité. »

Claire Audhuy se tient aux côtés de l’écrivain réfugié pour, au besoin, expliciter son propos. Elle en profite aussi pour présenter son propre ouvrage, Ce chemin qui n’a pas de nom, qui retrace le périlleux parcours de migration d’un jeune mineur afghan.

En Afghanistan, Gul Baloch entendait donner des modèles positifs aux petites filles.Photo : Abdesslam Mirdass / Rue89 Strasbourg

Des modèles pour les petites afghanes

Observation des cerfs-volants, voyage sur la lune… Dans chacun des six livres qu’il a publié en Afghanistan, Gul Baloch donne le rôle principal à une petite fille éprise de liberté. Autant d’histoires et de modèles d’identification à offrir aux jeunes Afghanes et à leurs camarades, pour participer à faire évoluer les mentalités dans des campagnes où les droits des femmes étaient déjà à la peine, avant la reprise du pouvoir des talibans sur l’Afghanistan.

Les nouveaux souvenirs et les anciens se mêlent dans le cœur de Gul Baloch :

« C’est la première fois que je présente un de mes livres en France. Quand j’ai vu les signatures de tous les collégiens sur la lettre d’invitation, cela m’a tout de suite rappelé mes visites auprès des enfants en Afghanistan. »

En dix ans passés à Kaboul, Gul Baloch estime avoir distribué 10 000 livres illustrés dans des villages de son pays, financés grâce aux dons de son entourage et au soutien d’ONGs.

Distribution de livres dans un village d’AfghanistanPhoto : document remis

Écrire en français

L’auteur jeunesse prend dorénavant la plume en français. Chaque semaine, il confie au regard de Claire Audhuy un paragraphe de son Journal d’une fille afghane, l’histoire d’une adolescente de Kaboul qui poursuit son amour de la lecture malgré le joug taliban.

L’autrice en dévoile un extrait :

« Un jour, j’ai demandé à ma maman de me dire cinq livres qu’elle préférait. Elle m’a répondu que pour aimer cinq livres, il faut en lire cinq cents. Les livres sont comme des aliments qu’il faut goûter pour savoir lesquels sont délicieux. Ma mère ne m’a pas dit ses cinq livres préférés. Depuis ce jour jusqu’à aujourd’hui, j’ai lu 34 livres. »

Elle se dit admirative de la pugnacité de son protégé :

« Je lui suggère du nouveau vocabulaire mais pour le reste, c’est très riche sur le plan des images. »

La fuite d’un dissident

Ce projet tangible vient à la suite d’un parcours de réfugié semé de déconvenues mais nourri d’aplomb et de bonnes rencontres. Gul Baloch était un habitué des cercles littéraires de la capitale afghane. L’arrivée au pouvoir des talibans n’a pas permis au jeune boursier de mener à bout ses études de politique internationale. Avant même qu’ils ne prennent Kaboul, le 15 août 2021, plusieurs de ses amis avaient déjà été tués dans la capitale et à Kandahar.

L’enfant prodige d’un village rural du nord du pays – en proie aux intimidations depuis des années déjà – sait qu’il est bien identifié comme dissident et dans le collimateur des fanatiques. Il se résout donc à partir, dès la chute de la capitale.

À Schiltigheim, le vent tourne pour Gul Baloch. Photo : Abdesslam Mirdass / Rue89 Strasbourg

Deux amies journalistes lui proposent leur entremise pour le faire exfiltrer. L’une est américaine, l’autre française. Gul Baloch choisit la France, se sentant « plus proche de la culture française » – Gul Baloch a lu Albert Camus, Voltaire, Victor Hugo ou encore Michel Foucault dans leurs traductions persanes.

Avec son épouse, il prend l’avion pour Abou Dabi, puis Paris. Ils auraient aimé y rester. L’État les oriente d’autorité à Strasbourg. L’intellectuel s’en accommode : « J’avais déjà visité Strasbourg et l’Alsace à travers les Antimémoires d’André Malraux. » 

Tout reprendre à zéro

Et puis plus rien… Gul Baloch a tout quitté, tout ce à quoi il croyait dans son pays s’est effondré, sa famille est injoignable, ses amis éparpillés en Europe. Le couple fait l’expérience d’une profonde solitude. L’Afghan se souvient pudiquement : « Il ne me restait plus qu’à marcher et à réfléchir sans voir aucun futur. »

Comment rencontrer des gens alors qu’il ne parle pas français ? Gul Baloch ne parle pas même un mot d’anglais :

« Il m’a fallu attendre six mois pour avoir un cours de français de deux mois organisé par l’Ofii (Office français pour l’immigration et l’intégration, NDLR). Avec ça, c’est impossible quand on part de rien. Et ce sont des journées de sept heures. C’est beaucoup trop pour assimiler. Une ou deux heures par jour seraient suffisantes pour laisser le temps aux personnes de répéter chez elles. J’ai attendu six mois de plus pour avoir des cours de la part de Pôle Emploi. »  

Depuis son arrivée à Strasbourg, Gul Baloch a tiré sa résilience de la lecture. Photo : Abdesslam Mirdass / Rue89 Strasbourg

Partager pour s’intégrer

Gul Baloch tire peu parti de ces cours aux sujets purement pratiques :

« Cela portait uniquement sur le travail. Je n’arrive à apprendre qu’avec des histoires. J’avais aussi besoin de pouvoir partager des idées. »

Plus d’un an après son arrivée à Strasbourg, il fait ses premières connaissances en se portant bénévole pour l’association La tente des glaneurs, qui récupère les invendus sur les marchés. Son intégration progresse à force de lectures. D’un côté, l’édition française d’un classique de la littérature. De l’autre, une édition de fortune de sa traduction en persan qu’il a téléchargée sur Internet et imprimée sur des feuilles volantes et une couverture en carton. Plié en deux, le tout est relié par une simple cordelette.

« Je lis une page de l’une, puis une page de l’autre », explique-t-il en sortant de son sac sa lecture du moment, le premier tome des Thibault, de Roger Martin du Gard. Gul Baloch compare, extrait du vocabulaire, et passe la censure des versions persanes. Il devient un assidu des présentations de livres dans les librairies. C’est dans ces circonstances qu’il ose un jour aborder l’autrice Claire Audhuy. Ils sympathisent. Elle le prend sous son aile et l’introduit auprès de son entourage.

L’Afghan se jette à l’eau et rejoint, non sans timidité, des cercles de lectures où il doit prendre la parole devant une douzaine de personnes. Deux ans après son arrivée à Strasbourg, il reçoit enfin une invitation à un dîner convivial.

L’auteur apprend le français en dévorant les classiques de la littérature à la fois dans leurs versions française et persane. Photo : Abdesslam Mirdass / Rue89 Strasbourg

Le monde du livre malgré Pôle Emploi

À son désir inébranlable de travailler dans le domaine du livre, les services d’insertion ont opposé au réfugié un principe de réalité auquel il refuse de se résigner :

« Chez Pôle emploi, on me disait que c’était impossible. Ils ne voulaient pas entendre parler de bibliothèques. Tout le monde voulait m’orienter vers la restauration. »

En janvier 2023, Gul Baloch parvient cependant à décrocher un stage d’un mois à la médiathèque du lycée de Molsheim, grâce à l’entremise d’amis :

« Quand j’ai appris à mon professeur de français de Pôle Emploi que j’avais trouvé ce stage, il a trouvé ça incroyable. »

Mais après cet intermède, l’espoir est de courte durée. Aucune nouvelle opportunité ne se présente. Gul Baloch doit accepter une formation d’agent d’entretien en hôpital. La désillusion, « d’autant plus que la vue du sang est très difficile pour moi ».

Gul Baloch aborde la suite avec confiance : « Je trouve mon chemin et je vais continuer. »Photo : Abdesslam Mirdass / Rue89 Strasbourg

Le temps d’écrire et de respirer

Gul Baloch a pu signer en mars un contrat d’un an comme agent d’accueil à la Maison des Arts de Schiltigheim. Ce métier de contact agit comme une respiration : « J’aime parler avec les enfants et leurs parents. Ils sont curieux et me posent des questions. »

Il doit prochainement bénéficier du parrainage d’une professionnelle du livre dans le cadre de la mission d’insertion de l’association Kodiko. L’auteur a pris ses habitudes dans les bibliothèques pour y lire et y écrire – à la médiathèque de Schiltigheim, au Studium sur le campus universitaire de Strasbourg, et à la Bibliothèque nationale universitaire. « Depuis quatre mois, je rêve en français », a-t-il confié aux collégiens.

Il s’est désormais donné une mission :

« Je veux porter auprès du public français la voix des filles et des enfants qui ne peuvent pas aller à l’école. Et peut-être un jour traduire des livres français pour les Afghans. » 


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