« C’est le grand soir ! », « Rendez-vous à 5h sur les barricades ! » Dimanche 9 septembre, à la nuit tombée, l’effervescence règne sur la ZAD du Moulin. Au cœur de la forêt de Kolbsheim, au nord-ouest de Strasbourg, zadistes et villageois opposés au projet de Grand Contournement Ouest (GCO – voir tous nos articles) se préparent à l’intervention des forces de l’ordre. Vers 20h, ils sont une quarantaine à échanger sur la résistance à opposer aux gendarmes mobiles. Il faut barrer la route départementale, organiser la venue des habitants alentours, communiquer par talkie-walkie… L’assemblée accepte l’idée d’une lutte pacifique, jugée indispensable pour gagner le soutien des habitants du coin.
Barricades, extincteur et presbytère
Trente minutes plus tard, la discussion prend fin. Tout le monde s’affaire. Sur une table pleine des restes du dîner, de mégots et de bières, on dessine une carte où deux croix indiquent l’emplacement des futures barricades. Un zadiste en imperméable, keffieh et capuche sur la tête remplit un extincteur de peinture. Deux personnes partent installer le « poste de communication » dans le presbytère de Kolbsheim. La pasteure du village, Caroline Ingrand-Hoffet, soutient la lutte contre le GCO. Elle a laissé la salle à disposition des militants écologistes.
L’obscurité est totale le long de la route départementale. De temps à autre, des lampes frontales éclairent des militants. Ils transportent des pneus, une citerne, une remorque ou des palettes vers les entrées des villages de Kolbsheim et d’Ernolsheim-Bruche. Mais des rires éclatent aussi dans la nuit. Vers 3h du matin, quelques militants s’amusent à déterminer « qui a la plus grosse barricade ? » Dans un talkie-walkie, on demande « Ouais, les rastas, vous me recevez ? » Pas de réponse.
5 heures : vaine tentative de négocier
À 5h du matin, la pasteure de Kolbsheim fait sonner le tocsin. L’ambiance s’est brutalement tendue. À la lisière de la forêt, les militants ne comptent plus le nombre de camions militaires aperçus à l’horizon. Une centaine de gendarmes mobiles arrivent par Ernolsheim-Bruche. Dans un mégaphone, un gendarme lâche rapidement deux sommations et ordonne de charger. La barricade enflammée est vite éteinte par les gendarmes. Les opposants reculent vers l’entrée de la ZAD.
Vers 6h, un meneur de la lutte anti-GCO profite d’un bref instant de calme pour s’avancer vers les forces de l’ordre, les mains en l’air. Plusieurs élus locaux le rejoignent. Le maire de Kolbsheim, Danny Karcher, demande la fin de l’intervention au secrétaire général de la préfecture, Yves Séguy : « Le préfet aurait pu attendre la fin des procédures de référé [qui contestent la légalité de certains aspects du chantier, ndlr] »
« Il faut dégager la route monsieur le maire »
En plein milieu de la forêt de #Kolbsheim, l’édile du village demande au secrétaire général de la pref du Bas-Rhin de ne pas évacuer la #ZAD.
L’élu sera gazé et chargé par les forces de l’ordre quelques minutes plus tard. pic.twitter.com/pHWVdnDssg
— Guillaume Krempp (@GuillaumeKrempp) 10 septembre 2018
La nouvelle maire de Schiltigheim, Danielle Dambach, s’interpose également entre les boucliers des gendarmes et les militants, de plus en plus tendus. Elle évoque la possibilité d’un moratoire sur le projet. Selon l’élue, la députée de la majorité Martine Wonner tente de convaincre le nouveau ministre de la transition écologique d’ouvrir à nouveau les débats sur le projet autoroutier. Au bout d’une dizaine de minutes, la charge est lancée. La maire écologiste tombe dans la cohue. Une grenade lacrymogène éclate. La fuite collective dans la nuit se fait dans les cris de peur et les pleurs.
Près de 200 opposants et 515 gendarmes
À côté du moulin, les forces de l’ordre ont déjà pris place au cœur de la ZAD. Les 515 gendarmes mobilisés ont été déployés sur plusieurs points. Les opposants ont été rapidement dépassés par l’ampleur du dispositif. Deux heures durant, les zadistes et une majorité de riverains ont reculé, sans cesse poussés par les boucliers des gendarmes et troublés par le gaz lacrymogène, utilisé en spray et par des jets de grenades.
Vers 7h du matin, la forêt a été vidée des quelque 200 personnes mobilisées contre l’évacuation. À la sortie de Kolbsheim, les visages sont marqués par la colère et la stupeur. Élisabeth, 61 ans, se tient sur sa canne. Elle a les larmes aux yeux et les lèvres tremblantes lorsqu’elle résume son sentiment :
« Je ne m’attendais pas à tant de violence alors que nous étions tout à fait pacifiques. Alors bien sûr, maintenant je pleure en regardant cette forêt où on se baladait quand on était jeunes. »
« J’ai enlevé mon écharpe tricolore »
Dans le village, les militants essorés sont assis sur le trottoir. Le maire de Kolbsheim tient à dénoncer une intervention « inadmissible ». Annie Kessouri, deuxième adjointe, abonde :
« Ce matin, j’ai enlevé mon écharpe tricolore à un moment donné. Je n’avais plus envie de servir cet Etat où l’on écoute plus Vinci que nos citoyens… »
La rancœur règne parmi les villageois. « Avec ce qui vient de se passer, difficile d’avoir de l’espoir face au changement climatique », siffle Valentine, habitante d’Ernolsheim-Bruche.
Sans ZAD, dans cette matinée du 10 septembre, les militants écologistes ont perdu un moyen d’empêcher les travaux de commencer. Mais les opposants au GCO ont aussi vu un symbole de la lutte disparaître. Au milieu des poules, à côté des cabanes encore intactes, il n’y a plus que des gendarmes.
Vêtus de gilets oranges, des géomètres s’affairent déjà dans le pré. Un camion de déménagement arrive. Un huissier de justice organise la saisie des objets présents dans les caravanes et autres baraquements. Vers 9h du matin, un dernier zadiste était évacué d’une cabane construite dans la cime d’un arbre. Face aux caméras, il crie sa rage face à ce projet « fou et inutile ». Puis, désabusé, l’homme à la longue moustache se tourne vers les forces de l’ordre qui l’ont évacué : « Bon, alors, on y va messieurs ? »
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