Un important dispositif constitué d’un escadron de gendarmerie, d’une demi-unité de CRS ainsi que d’officiers de la police aux frontières se déploie à 6h, autour des 23, 25 et 27 rue de Bourgogne, mercredi 24 mai. L’opération d’évacuation de cet immeuble squatté au moins depuis décembre 2021 par des personnes sans-abri se déroule dans le calme (voir tous nos articles sur le squat). Il ne reste plus qu’une trentaine de personnes dans le bâtiment.
Avec la menace de l’expulsion, une partie des occupants ont déménagé vers le squat Sarlat, au Neuhof. Selon plusieurs habitants, certains sont retournés dans la rue. En situation administrative irrégulière, ils craignaient d’être arrêtés pendant l’opération. Des policiers se postent devant les trois entrées de l’immeuble pendant que d’autres pénètrent à l’intérieur. Puis les occupants sortent au compte goutte chargés de sacs remplis d’affaires.
On savait que la police allait venir
Vers 8h30, sur le banc de l’arrêt de bus en face du squat désormais inaccessible, Luka se demande s’il va pouvoir récupérer ses affaires. Originaire de Géorgie, le jeune homme de 18 ans et sa mère y ont vécu un an et demi. Après une blessure lors d’un match de rugby, il a été opéré du genou le 22 mai et n’a pas pu aider sa mère à porter les sacs contenant leurs affaires avant l’expulsion :
« On savait depuis quelques jours que la police allait venir. On nous a proposé un hébergement temporaire pour étudier notre situation administrative, mais nous sommes en attente de régularisation. Aller là-bas nous fait peur, donc nous avons préféré partir et risquer de dormir à la rue. Il faut juste qu’on puisse récupérer nos affaires. »
Un gymnase pour étudier les situations administratives
La procédure d’expulsion est demandée par le propriétaire, le bailleur In’li. Depuis une décision judiciaire de novembre 2022, tout le squat peut être expulsé. En tout, six jugements ont permis à In’li de demander à l’État le « concours de la force publique » pour assister l’huissier dans la procédure d’expulsion, comme le précise un communiqué de la préfecture du Bas-Rhin du 24 mai.
Sur place, le secrétaire général de la préfecture du Bas-Rhin, Mathieu Duhamel, explique que plusieurs orientations sont proposées à ces personnes :
« Nous orientons 18 personnes vers un gymnase pour permettre aux services de l’État d’étudier leurs situations administratives. C’est une solution temporaire. Certains habitants ont été identifiés comme étant particulièrement vulnérables en amont par Médecins du monde et sont orientés vers l’hôtel des routiers, une structure adaptée et gérée par l’association Coallia. »
Différent types d’orientation pour les occupants
Sur place, certains occupants ont le fameux courrier de Médecin du monde. Depuis janvier 2023, l’association effectue des diagnostics médico-sociaux pour établir la vulnérabilité des occupants. Un critère crucial dans l’attribution de logements d’urgence par l’État à travers le 115, numéro d’appel d’urgence, ou par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) lorsque les personnes sont en procédure de demande d’asile.
Alexei, 37 ans, attend qu’une petite camionnette vienne le chercher. Il a une lettre de l’association et le sourire aux lèvres :
« Je ne sais pas où ils vont m’emmener mais j’ai pu prendre mes affaires. J’ai vécu deux ans ici. Je suis originaire de Lettonie, donc je n’ai pas à craindre d’être expulsé de France. S’ils ont une solution pour moi, je la prends avec plaisir. »
Paata est moins enthousiaste. À travers une application de traduction, il explique en géorgien qu’il va aller, lui aussi, à l’hôtel des routiers. Avec ses cheveux grisonnants et ses trois cabas pleins de toutes ses affaires et médicaments, il semble perdu au milieu des policiers :
« Ça faisait trois mois que j’étais là, juste après qu’on me dise que ma prise en charge par le centre d’accueil pour les demandeurs d’asile (CADA) s’arrêtait. On m’a dit que je devais prendre un bus, mais je ne sais pas lequel. Je suis tout seul ici, je n’ai pas de famille. Mais j’ai une carte de séjour. »
Une petite vingtaine de personnes comme Alexei et Paata est finalement directement prise en charge par Coallia et amenée à l’hôtel des routiers via une petite camionnette affrétée par la structure.
Des prises en charge par l’ARS
En amont de la matinée de démantèlement, l’Agence régionale de santé (ARS) a pris en charge 17 habitants « spécialement vulnérables » et leur entourage, ce qui représente 42 personnes en tout. Cela explique aussi le faible nombre de personnes présentes dans le bâtiment au moment de l’évacuation.
Bijou (le prénom a été modifié), 35 ans, a décidé de partir deux jours avant le démantèlement. En France depuis six ans, la mère de famille attend toujours d’être régularisée et n’a pas vu sa fille depuis le même nombre d’années :
« J’ai préféré partir de chez moi avant l’arrivée de la police. J’ai peur que ma présence dans le squat joue contre moi dans la procédure de régularisation. Je veux être une citoyenne modèle, n’être inscrite à aucun registre de la police ou de la gendarmerie. »
La veille au soir, Bijou a dormi dans un parc, dans le froid. Une association pour laquelle elle est bénévole a accepté de garder ses affaires. Elle continuera de dormir dans la rue ou dans des cages d’escaliers jusqu’à être logée ou trouver une autre place en squat.
« Ça me semble un peu gros »
Autour du cordon de sécurité, les passants et militants s’amassent. « Y’a plus de police que de squatteurs, ça me semble un peu gros », glisse une voisine. Hülliya Turan, adjointe à la maire en charge de l’éducation, regrette de ne pas pouvoir passer le cordon de police pour se rendre à l’entrée des immeubles expulsés.
Un peu plus loin, Maurice (le prénom a été modifié) regarde avec nostalgie les policiers vider l’immeuble. Il y a vécu 27 ans, avant d’être relogé dans un autre bâtiment par le même bailleur social, en vue de la destruction de l’édifice :
« J’habitais encore rue de Bourgogne quand les premiers sans-papiers sont arrivés. Ça se passait très bien avec eux, ils étaient très gentils. Je suis arrivé en France il y a 45 ans, c’était pas la même chose. Il y avait du travail, des logements, je pense que c’était plus facile à l’époque pour avoir une carte de séjour. Eux, on ne leur donne presque rien. »
Tonio, porte parole du collectif D’ailleurs nous sommes d’ici 67 (DNSI67), est présent pour « montrer sa solidarité ». Si l’expulsion se passe calmement, c’est l’après qui inquiète le militant. « Que vont devenir tous ces gens », soupire-t-il.
Selon Germain Mignot, lui aussi militant et élu au conseil municipal, certaines des personnes évacuées le jour même vers le gymnase ne se verront pas proposer d’hébergement pérenne :
« C’est une situation très anxiogène pour les familles et les personnes. Celles qui vont avoir leurs situations étudiées par les services de l’État vont très certainement finir à la rue à nouveau, ou dans d’autres squats. Je pense que l’opération aurait pu être plus ambitieuse et s’assurer de reloger tout le monde, autre part que dans un gymnase. »
De son côté, le député LFI Emanuel Fernandes estime dans un communiqué que « le site aurait pu être évacué beaucoup plus tôt, […] sans recours à la justice et à la force publique, en proposant une solution pérenne et adaptée à chacune et à chacun ».
Des portes blindées pour « éviter que les gens reviennent »
Vers 9 heures, des camions de déménagement s’engagent sur le parking. « Pendant deux mois, les personnes pourront nous solliciter pour récupérer leurs affaires laissées sur place aujourd’hui », précise Mathieu Duhamel.
Alors que le bus conduisant les 17 personnes au gymnase est parti, les forces de l’ordre restent en poste. Elles assurent la sécurisation du site jusqu’à ce que toutes les affaires soient sorties. « Une compagnie de sécurité privée prendra la suite, ils poseront aussi des portes blindées et ce genre de choses pour éviter que les gens reviennent », poursuit le responsable du dispositif de sécurisation du site.
Avant de partir, Mathieu Duhamel salue les salariés et bénévoles de Médecins du monde dont il souligne la qualité du travail. Ne restent plus que quelques passants, étonnés par les camionnettes bleu marines de la gendarmerie.
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