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Au milieu des manèges d’Europa-Park, l’aumônier qui unit et répare les âmes

Europapark, c’est 18 quartiers thématiques et 5,6 millions d’entrées, ses manèges et ses spectacles. Mais c’est aussi une soixantaine de mariages qui sont célébrés chaque année par deux aumôniers, présents au quotidien près des salariés et des visiteurs. Un rôle moins léger qu’il n’y parait. Rencontre

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Robe blanche à dentelles et costume bleu, Melanie et Peter sortent de l’église norvégienne sous les bulles de savon soufflées par leurs amis… et sous les applaudissements des visiteurs du parc, mi amusés, mi surpris. Ils sont désormais femme et mari. Chaque saison, une centaine de cérémonies religieuses, catholiques ou protestantes, sont célébrées à Europa-Park : une quarantaine de baptêmes ainsi qu’une soixantaine de mariages et renouvellements de vœux. 

Melanie et Peter se sont dit « Ja ! » (photo FG / Rue89 Strasbourg)

Tous sont célébrés dans les règles : même si on se trouve dans un parc d’attraction, on ne convole pas à Rust comme à Las Vegas. Les promis doivent préalablement passer devant le maire et passer par une préparation nuptiale avec l’aumônier qui les unira. Pour les Catholiques, comme Melanie et Peter, c’est le diacre Andreas Wilhelm qui est mobilisé. Diplômé en histoire et en théologie, le Pastoralreferent de 62 ans est marié et père de deux filles. Il officie à Europa-Park et dans un hôpital de Lahr, comme d’ailleurs son collègue, le pasteur protestant Martin Lampeitl. 

« Les Mack ont la foi du paysan »

Il n’y a aucune obligation légale à ce qu’un parc d’attraction ou une grande entreprise soit dotée d’aumôniers. Si Andreas et Martin officient à Europa-Park, c’est à la demande de la famille qui en est propriétaire. Dans un français fluide, Andreas explique :

« Les Mack sont croyants. Ils ont la foi du paysan qui sait que son sort dépend du ciel. Depuis la création du parc, ils font bénir chaque manège. C’est une façon de les protéger des accidents, économiques et mécaniques. En 2005, ils ont demandé au diocèse de leur fournir un prêtre. L’évêque a accepté : c’est notre mission évangélique d’être auprès des gens, partout. »

Andreas Wilhelm a béni l’union… qui aura des hauts et des bas ? (photo FG / Rue89 Strasbourg)

Et l’Église y trouve également son compte :

« Le parc nous prête ses salles pour nos activités pastorales. C’est un retour à une vieille tradition. Savez-vous qu’au Moyen-Âge, le village de Rust, proche d’un passage à gué du Rhin, était sur le chemin des pèlerins pauvres pour Saint-Jacques de Compostelle ? »

Mais ces mariages ne sont-ils pas une attraction supplémentaire, un service au catalogue de l’Europa-Park ?

« Nous ne sommes pas payés par Europa-Park ni par les gens qui passent devant nous. Mon collègue et moi nous sommes payés par l’Etat, c’est la règle en Allemagne. Et les chapelles sont mises gratuitement à disposition par le parc. Bien sûr les mariés peuvent tenir le banquet sur place, mais ils n’y sont pas obligés. Beaucoup prennent juste un cocktail au champagne avant d’aller fêter ailleurs, et d’autres partent directement après la liturgie. »

Rencontres et adieux

Alors, quel est l’intérêt pour l’entreprise ? « Peut-être fidéliser les clients ? Mais ceux qui se marient ici sont presque tous déjà des visiteurs réguliers… » Comme Melanie et Peter. Ces ouvriers qui habitent à la frontière suisse aiment venir au parc avec Sina, leur fillette. Mais tous les mariés ne sont pas des voisins.

Une quarantaine d’enfants sont baptisés chaque année dans le parc, à la chapelle Santa-Isabella par exemple. (photo FG / Rue89 Strasbourg)

En ce moment, Andreas est en contact avec des Martiniquais, des Normands et des Provençaux : 

« Je leur ai demandé pourquoi ils voulaient se marier ici et pas dans leur si belle région. Ils m’ont répondu que chez eux, ils seraient obligés d’inviter tous les habitants de leur village, alors qu’ici ils ne seraient qu’un petit groupe… »

Andreas rit de bon cœur avant de retrouver son sérieux : 

« Les mariés ont tous un lien particulier avec Europa-Park. J’ai célébré des liturgies pour des gens de Hanovre et de Munich qui s’étaient connus par internet avant de se voir pour la première fois ici. J’ai un autre couple, chacun des deux était venu avec son groupe d’amis, et ils se sont rencontrés en faisant la file pour un manège… »

Le parc génère un sentiment d’attachement, que certains visiteurs veulent faire partager à leurs proches : 

« Pour ses 25 années de travail, une dame habituée du parc a invité ses collègues qui avaient été très compréhensifs avec elle pendant sa longue maladie. Un jour quelqu’un m’a dit : “On sait bien que nous ne sommes pas vraiment en Italie ou en Espagne, mais les émotions qu’on éprouve ici, elles sont réelles”. »

Et cet attachement peut aller très loin : 

« Un monsieur et sa femme venaient en vacances chaque année. Un jour, elle m’a appelé pour me dire que son mari était mort et qu’il avait demandé que ses cendres soient répandues dans le parc. Mais la loi l’interdit. Alors on a fait une liturgie de souvenir avec ses amis. C’était très émouvant. »

Sortie de la Stabkirche norvégienne sous le regard des visiteurs. (photo FG / Rue89 Strasbourg)

Médiateur et confident

Car Andreas n’est pas là que dans les moments heureux. Quotidiennement, il offre aux visiteurs du parc une épaule, une oreille : 

« Un monsieur a voulu me voir en urgence. Il était arrivé le matin pour des vacances avec sa femme et leurs enfants. Il était cadre et ne les voyait pas beaucoup d’habitude. Au premier repas, il y a eu une dispute avec sa fillette. Ça a fait une crise avec sa femme. Et ils sont repartis sans lui. Nous avons parlé longtemps. » 

Une situation qui peut étonner dans ce temple de la distraction. Mais selon Andreas, elle n’est pas si exceptionnelle :

« J’ai une théorie : la moitié des visiteurs font plus de deux heures de route jusqu’au parc, et pour certaines familles qui n’ont plus l’habitude de rester si longtemps ensemble, c’est un concentré difficile à vivre. » 

Andres Wilhelm est chaque jour au contact des employés du parc. (photo FG / Rue89 Strasbourg)

Cette mission pastorale, Andreas l’exerce aussi auprès des employés, 3 700 au plus fort de l’été. Plutôt qu’en directeur de conscience, il se voit en confident : « Certains préfèrent venir me voir moi plutôt que le prêtre de leur village parce qu’ils ont peur que leurs voisins sachent qu’ils ont des problèmes. »

Au fil du temps, le diacre a même pris dans l’entreprise un rôle informel de médiateur :

« Les employés savent que je ne suis pas payé par le parc. Au début, Roland Mack (le patriarche de la famille propriétaire d’Europa-Park, ndlr) voulait me diriger comme l’un de ses employés. C’est son caractère. Mais j’ai posé les limites. Et il a compris que je pouvais devenir une sorte de transmetteur. Par exemple, il y a un travailleur, sa femme allait être opérée et il ne savait pas comment faire garder leurs enfants. Il n’osait pas en parler à ses chefs. Je leur ai expliqué la situation et ils lui ont donné une semaine de congés. »

Malgré tout, Andreas Wilhelm vit à Europa-Park la part la plus festive de son activité. Une fête dont il fait profiter ceux qui sont dans la difficulté, grâce aux recettes de la collecte réalisée lors des cérémonies : « Un monsieur originaire de Grèce, venu célébrer ses noces d’argent, m’a dit “J’ai réussi dans la vie, je veux aider maintenant”. Et il a donné 1 000 €. » Cet argent a déjà servi à financer des pompes à eau et des système d’irrigation, en Tanzanie et au Ghana. Les prochains seront installés en Ethiopie.


#Europa Park

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