« Tout le monde déteste l’UNI », « Rentre chez toi fils à papa ! » Dans la foule d’étudiants réunis le 11 avril en assemblée générale devant le Patio, sur le campus principal de l’université de Strasbourg, les insultes fusent. Plus de 800 étudiants sont présents, ainsi que des professeurs et des membres de l’administration de l’université. Et contrairement aux assemblées générales précédentes, un peu plus de la moitié des étudiants présents ont voté contre les blocages (430 contre 420).
Les membres de l’UNI, toujours présents
Lors des assemblées générales de lundi et de mardi, des membres de l’UNI (Union nationale inter-universitaire), un syndicat d’étudiants classé à droite, avaient déjà tenté de lever le blocage des bâtiments de l’université. Ils en ont vite été empêchés par les « étudiants en lutte » contre la loi Orientation et réussite étudiante (ORE) et le projet de loi Vidal, qui instaure une sélection lors de l’accès aux études supérieures.
Mardi soir, ces étudiants opposés aux blocages, composés de membres de l’UNI mais aussi de sympathisants, dont certains « ayant voté Macron, » ont cette fois attendu que les piquets de grève s’en aillent et, aux alentours de 23h, ils ont retiré les barricades. Ils se sont organisés via une page sur Facebook, appelée « contre les blocages à l’université de Strasbourg. » Les bâtiments universitaires sont cependant restés fermés dans la matinée, à la suite d’une décision de l’administration, pour éviter une installation des contestataires dans les locaux.
François, membre de l’UNI, détaille sa démarche :
« Tout s’est déroulé dans le calme, hier soir. Nous sommes contre la violence, nous voulons seulement que les étudiants puissent exprimer leur opinion sans se sentir menacés. »
Mais la situation reste tendue entre les membres de son syndicat et les « étudiants en lutte » :
« Nous avons déposé une main courante contre un sympathisant de l’ultragauche pour diffamation, à la suite de propos tenus sur les réseaux sociaux nous accusant d’être de l’extrême-droite. Nous nous revendiquons de centre-droit, sans pour autant être affiliés à La République En Marche. L’UNI est contre la réforme ORE (Orientation et Réussite des Etudiants). »
Une pétition des militants anti-blocage
Parmi les membres emblématiques de l’UNI au sein de l’Université, Alexandre Wolf, élève à l’EM Strasbourg Business School. L’étudiant, sûr de lui, se dit satisfait de l’organisation des anti-blocages :
« La pétition contre le blocage mise en ligne et qui a recueilli autour de 250 signatures nous donne de la légitimité. Il y a un début de ras-le-bol des étudiants, dont nous nous faisons la voix. Du reste, l’UNI ne dialogue que très peu avec l’administration. Nous avons fait savoir sur le groupe Facebook que nous trouvions scandaleux que l’AG ait demandé la démission du Président de l’Université, ou que des tags le critiquant aient été retrouvés ».
Quant à l’intervention des CRS qui a eu lieu aux alentours de 6h mercredi matin pour empêcher les étudiants d’installer de nouveaux blocages, il salue « la force de l’Etat, qui n’est pas là pour générer de la violence ».
Des étudiants inquiets pour leurs examens
Parmi les étudiants rassemblés aujourd’hui contre les blocages, nombreux sont en filières sportives, de droit ou de sciences humaines. Rodolphe et Emilien, en première année de STAPS, se sont dit inquiets pour leurs examens :
« Il y a entre 100 et 150 membres de STAPS présents aujourd’hui. Certains partiels ont dû être décalés à lundi prochain. L’administration a laissé entendre que les examens pourraient être décalés pendant les vacances. Ce serait catastrophique pour certains étudiants, qui travaillent à cette période ou ont posé un préavis pour leur appartement. »
Même préoccupation chez Jeoffrey, 23 ans, étudiant en psychologie :
« Je comprends assez mal en quoi empêcher les étudiants d’aller en cours, c’est défendre la cause étudiante. Je suis étudiant-salarié, ce qui me fait perdre environ 800€ par mois. J’ai fait ce sacrifice, alors je tiens à aller en cours. »
De nombreux étudiants anti-blocages se disent également opposés à la réforme ORE. Lors de l’assemblée générale qui a voté la fin des blocages, la demande de retrait de la loi a obtenue en revanche une large majorité.
Pour Aina, en licence de langues, le blocage nuit d’abord au débat sur la réforme :
« Les assemblées générales ne sont pas constructives. Quelques étudiants décident de tout. C’est surtout un prétexte pour faire du bruit. »
Quant à la petite dizaine d’étudiants membres de la JAM (les Jeunes avec Macron), ils étaient invisibles sur le campus, ce matin, malgré la présence de Loïc Branchereau, un collaborateur du groupe LREM du conseil municipal de Strasbourg, venu « rendre compte de la situation sur le terrain » au député Bruno Studer (LREM). Depuis le début des blocages, Loïc Branchereau incite les membres des JAM à participer aux AG et à demander la levée des blocages.
La direction de l’université s’implique
Lors de l’assemblée générale, François Gauer, vice-président Transformation numérique et Innovations pédagogiques de l’Université, a pris la parole. Il a présenté ce qu’il considère comme des avancées de la loi ORE auprès des étudiants :
« Je suis venu pour dire la lecture que nous faisons de cette loi, pas pour dire si le blocage était une bonne chose ou non. Quand il y a un débat sur ces questions qui s’établit, il faut venir poser des éléments rationnels, délivrer des informations pertinentes aux étudiants. La loi ORE va permettre de mieux orienter les étudiants, de les envoyer dans les filières où ils pourront réussir. »
Sur la question de la cinquantaine de CRS encore présents sur le campus au moment de l’assemblée générale, le vice-président est resté évasif, gêné : « L’ordre est venu de la préfecture, c’est tout ce que je peux dire ».
Huit fourgons de CRS étaient stationnés toute la matinée à côté du Patio. L’un des policiers décrit le dispositif mis en place :
« Nous sommes une centaine de CRS en tout sur le campus, dont cinquante ici près de l’assemblée générale. Nous avons plutôt une mission de prévention. L’ordre est venu de l’autorité préfectorale, mais c’est le Président, le propriétaire des lieux, qui a le pouvoir de demander à ce que les occupants d’un domaine occupé illégalement soient délogés. »
AG sous tension
Trente à quarante membres de la sécurité rattachés à l’Université, aux gilets bleus « Secu Event » étaient aussi présents au sein de la foule d’étudiants. Une manière de « dissuader les étudiants de se laisser aller aux débordements », pour l’un des agents de sécurité.
Vers un possible consensus entre militants pro et anti-blocage
Lucas, en Master 2 d’archéologie, en faveur du blocage et du retrait de la réforme ORE, réagit :
« La manifestation des étudiants est nationale, mais il n’y a guère qu’à Strasbourg que les étudiants s’opposent en masse au blocage. La méthode a en tout cas permis aux étudiants de s’intéresser à la loi, ce qui est l’effet que nous recherchions, même si le mouvement devait s’arrêter. »
Un avis partagé par François, de l’UNI :
« Du moment que le blocage se termine, nous sommes ouverts aux débats autour de la loi ORE, à laquelle nous sommes aussi opposés. Il faut simplement trouver une solution qui permette la discussion des deux côtés. »
Jeudi, une nouvelle assemblée générale doit se tenir à midi. La possibilité d’un nouveau blocage pourrait ne pas être évoquée, aux profits d’actions de sensibilisation plus ciblées comme « vous avez déjà redoublé ? La nouvelle loi vous interdira l’accès à l’université »…
Chargement des commentaires…