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« L’État est prêt à nous tuer » : la sidération de Strasbourgeois revenus de Sainte-Soline

Une centaine d’Alsaciens ont participé à la mobilisation contre les mégabassines à Sainte-Soline samedi 25 mars. Certains d’entre eux sont traumatisés par la répression policière. David, étudiant, est revenu avec une fracture ouverte de la main.

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« Je suis père de famille, je ne veux pas mourir en manifestation », souffle Bruno. Comme une centaine d’Alsaciens, il s’est rendu dans le département des Deux-Sèvres samedi 25 mars pour une mobilisation contre un projet de mégabassine à Sainte-Soline. L’association Héron a organisé un convoi de 37 personnes en bus au départ de Strasbourg. D’autres militants écologistes sans étiquette, ainsi que des membres des sections locales d’Extinction Rebellion, d’Alternatiba, de Greenpeace, du parti EE-LV et de la Confédération paysanne ont fait le déplacement en train ou en covoiturage.

David, étudiant à Strasbourg, a dû être opéré dimanche 26 mars d’une fracture ouverte de la main à cause d’une grenade :

« Je ne sais même pas si c’était une grenade assourdissante ou de désencerclement. Je n’y connais rien. C’est la première fois que je participais à une action de ce type. J’étais simplement dans la manifestation, comme beaucoup d’autres. Je tentais de m’approcher de la bassine. Je n’ai rien vu. La grenade a explosé près de moi je crois. J’ai entendu un sifflement. Si elle était tombée plus près de ma tête, je serais peut-être mort, ou défiguré.

Des gens m’ont immédiatement aidé en appelant les médics (soignants dans les manifestations, NDLR). J’étais sonné. La douleur venait progressivement. Ils m’ont guidé vers un endroit pour me désinfecter. Ensuite, on m’a emmené à l’hôpital de Niort. Puis à Angoulême où j’ai été opéré. Et on m’a ramené en Alsace. Il y avait une organisation et une solidarité incroyable. »

« On lutte pour quelque-chose d’essentiel »

Rue89 Strasbourg a pu interroger une dizaine de Strasbourgeois qui étaient sur place. Ils se disent traumatisés par les pratiques des forces de l’ordre déployées à Sainte-Soline. Bruno, militant historique contre l’autoroute du Grand contournement ouest (GCO), est particulièrement marqué :

« Gérald Darmanin (le ministre de l’Intérieur, NDLR) a dit qu’on y allait avec l’intention de tuer des gendarmes. Il voulait justifier la violence de la répression contre nous. Mais la réalité, c’est qu’on lutte pour quelque-chose d’essentiel : l’accès à l’eau potable. »

Manifestation du samedi 25 mars contre le projet de mégabassine à Sainte-Soline. Photo : remise

Les mégabassines visent à pomper de l’eau potable dans les nappes phréatiques pour la garder en réserve et irriguer les champs lorsque la pluie manque. Les écologistes analysent que cette pratique accapare l’eau pour quelques grands exploitants en modèle agricole industriel alors que les sécheresses sont de plus en plus intenses. La préfète des Deux-Sèvres, Emmanuelle Dubée, avait interdit la manifestation.

Arrivés sur place dans la soirée du vendredi 24 mars ou le samedi à l’aube, les activistes témoignent avoir été immédiatement étonnés par le dispositif policier. « Il y avait des barrages filtrants qui contrôlaient les véhicules et les identités partout, à des kilomètres à la ronde autour de la bassine », indique une membre d’Extinction Rebellion :

« Je suis arrivée en train à Poitiers, à 45 minutes en voiture du campement où on avait rendez-vous. J’ai tout de suite été contrôlée par des policiers à la gare, comme tous les jeunes qui ressemblaient à des écolos et qui avaient des sacs-à-dos. Les organisateurs nous envoyaient la position des barrages pour qu’on les évite et qu’on atteigne le site. On a vraiment cru qu’on n’y arriverait pas, mais on a finalement réussi. »

Bruno Dalpra : « Je suis père de famille, je ne veux pas mourir en manifestation » Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

« Une scène de guerre »

Le lendemain, trois cortèges de 5 à 10 000 personnes ont pris la direction d’une mégabassine en construction depuis l’automne. Le but de la manœuvre : encercler le site et stopper les premiers travaux réalisés. « Dans une ambiance festive », les activistes ont d’abord parcouru huit kilomètres pour arriver à 500 mètres de leur cible. « Les cortèges ont dès lors fait l’objet de tirs massifs et indiscriminés au gaz lacrymogène, créant une mise en tension importante », rapporte la Ligue des droits de l’Homme (LDH). L’association a observé des tirs de Lanceurs de balles de défense (LBD 40), notamment effectués depuis des quads en mouvement, et l’utilisation de grenades assourdissantes et explosives, dont la GENL et la GM2L. Considérées comme des armes de guerre, elles peuvent causer de graves lésions auditives, musculaires et osseuses.

Pendant un peu plus d’une heure, une confrontation d’une très grande intensité a eu lieu aux abords de la bassine. Photo : remise

Pendant un peu plus d’une heure, une confrontation d’une très grande intensité a eu lieu aux abords de la bassine. Les militants tentaient d’approcher le site qui était entièrement entouré, « comme une forteresse », par des barrières et des véhicules des forces de l’ordre. Quelques militants se sont approchés du chantier. Deux véhicules de la gendarmerie ont été incendiés. Au moins 200 manifestants et 45 gendarmes ont été blessés. Laura raconte :

« Il y avait des détonations en permanence. C’était une vraie scène de guerre. On ne faisait même plus attention aux grenades lacrymogènes qui tombaient partout. Ceux qui étaient devant, je ne sais pas comment ils ont fait. On avait des cailloux, les gendarmes avaient de vraies armes. Si quelqu’un était blessé, il fallait crier “médics”. J’ai vu des dizaines de personnes avec des fractures ouvertes, certains étaient inconscients. Si on s’est arrêté au bout d’une heure, c’est parce qu’il n’y avait plus de matériel pour soigner les blessés. »

Laura, manifestante à Sainte-Soline : « J’ai vu des dizaines de personnes avec des fractures ouvertes, certains étaient inconscients. » Photo : remise

Risquer sa vie

Alexis, étudiant en sciences humaines âgé de 18 ans, était présent mais éloigné du front. « Nous aussi, on a subi de très nombreuses grenades lacrymogènes et explosives. Ils tiraient partout. On était tous en danger, même si c’était plus concentré dans les zones proches de la bassine », explique t-il. Bruno, également en retrait, abonde : « Ils ont même gazé une zone qui accueillait les blessés. »

Alexis. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

Rencontré lundi 27 mars, David, la main bandée, se demande comment les policiers et les gendarmes « légitiment leur action dans leur tête, quand ils balancent des grenades mortelles sur des activistes ». Pour les personnes interrogées, cela ne fait aucun doute : elles ont risqué leur vie ce samedi. Marie (prénom modifié) est partagée entre « la colère et l’incompréhension » :

« Je me suis réveillée avec une boule au ventre ce matin, en repensant aux manifestants qui sont dans le coma. Clairement, j’ai compris que l’État est prêt à nous tuer pour défendre le capitalisme, en l’occurrence ces bassines de l’agro-industrie. Il faut replacer les choses dans leur contexte. Ce qui nous motive, c’est quand-même de sauver l’environnement et notre avenir. Je suis jeune, mais je me dis de plus en plus que je n’ai rien à perdre. »

La majorité des activistes rencontrés ont préféré garder l’anonymat, « par peur de la répression ». Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

« En face, ils ont une pensée militaire »

Les militants strasbourgeois s’interrogent sur l’impact de leur engagement. David reste optimiste :

« Il y a plein de moyens d’action qui se complètent et je pense que ce qu’on a fait à Sainte-Soline n’a pas servi à rien. Nous avons montré notre détermination et offert une tribune à cette cause. Je suis sûr que cela infuse dans la société, et cela atteindra même des élus. »

Pour Léo (prénom modifié), il y a un rapport de force qui risque de perdurer et pour l’instant, il n’est pas en faveur des écologistes :

« Là, on n’avait juste aucune chance d’y arriver. Nous on est des pious-pious. En face, ils ont une pensée militaire, des stratégies bien rôdées. Mais alors on fait quoi nous ? On doit se militariser pour sauver notre avenir ? Venir avec des armes ? En tout cas, là tout de suite, je ne suis plus pour faire des manifestations de ce type, parce qu’on a risqué nos vies pour une bassine. Même si je trouve ça scandaleux, je veux concentrer mes efforts sur des actions qui sont plus susceptibles d’avoir de gros impacts sur la société. »

Léo (prénom modifié) : « Mais alors on fait quoi nous ? On doit se militariser pour sauver notre avenir ? Venir avec des armes ? » Photo : remise

Lucie (prénom modifié) considère qu’un plus grand nombre de participants à la manifestation n’aurait rien changé :

« Même si on avait été 80 000, ils nous auraient écrasés dans ces conditions. Le pacifisme et l’opinion publique, on voit bien qu’ils s’en fichent avec la réforme des retraites. Peut-être qu’il faut faire des actions ciblées et discrètes, des manifestations plus surprenantes, stratégiques, moins attendues. »


#Bruno Dalpra

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