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Et voilà, c’est 23 euros

23 euros, c’est le tarif conventionnel d’une consultation chez un médecin généraliste. Que l’on ait un petit rhume ou un diabète déséquilibré… Et c’est bien ce qui dérange Doc Arnica.

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Pour Doc Arnica, l’argent est un parasite dans la relation entre le soignant et le patient (Photo Kiki99 / FlickR / cc)

Blandine a 11 ans elle vient avec son papa pour se faire vacciner. Je l’examine, la pèse la mesure et la vaccine, prix de la consultation : 23 euros.

Ismail a 50 ans, il vient pour le contrôle de son diabète, il est déséquilibré, il prend déjà deux médicaments et les consultations précédentes ont déjà pris du temps pour réexpliquer le régime à suivre. Il a perdu 4 kg ces six derniers mois et malgré tout, son HbA1C (le mouchard du diabète) est à 9,1. Il est temps de rajouter de l’insuline à son traitement. La consultation va être longue : explication du principe, démonstration du stylo à insuline et réexplication du contrôle du dextro (glycémie au doigt) . Consultation : 23 euros.

Myriam a 15 ans, elle vient pour un certificat sportif, elle fait du handball en club depuis 3 ans. Je l’examine, la pèse, la mesure, fais un examen orthopédique, prends sa tension. Consultation : 23 euros.

Élodie vient pour un retard de règles, elle a fait un test urinaire : positif. Je ne l’ai vue qu’une seule fois en consultation et pas pour sa contraception. Elle prend la pilule et l’oublie quelques fois comme beaucoup de femmes. Elle ne veut pas du tout de cette grossesse. On prend du temps, l’IVG est la solution qu’elle choisit, je téléphone pour un rendez-vous, et lui fait un courrier. Elle demande à me revoir après l’IVG pour la pose d’un implant. « La pilule c’est pas pour elle ». Consultation : 23 euros.

Inès a un rhume avec un peu de fièvre, je l’examine et lui prescris de quoi supporter ces quelques jours d’inconfort. Consultation : 23 euros.

Isabelle vient me voir avec son enfant de 2 ans parce qu’elle n’en peut plus. Il déménage tout dans sa maison en permanence, jette les objets, n’arrive pas à se concentrer. C’est devenu insupportable. J’ai déjà vu son fils plusieurs fois en consultation et observé son comportement. Il ne sait pas du tout jouer comme les autres enfants de son âge et ne fait que jeter tout ce qu’il prend en main. Il n’obéit à aucune consigne simple ou ne les comprend pas. Je parle longuement à la maman pour finalement qu’elle accepte une orientation en consultation pédo-psychiatrique. Consultation : 26 euros (tarif de la consultation pour les enfants entre 2 et 6 ans ).

Anaïs est un beau bébé de 6 mois que les parents amènent en consultation de suivi de nourrisson. Je vais examiner l’enfant en le mesurant, pesant, contrôlant son périmètre crânien certes, mais aussi en vérifiant son bon développement neurologique par un ensemble de tests, vérifier ses hanches , sa vue , son audition et finir par des conseils aux parents pour la diversification alimentaire qui commence. Consultation du bébé de moins de 2 ans : 28 euros.

Un système de rémunération absurde

Le système de rémunération des médecins généralistes en France me semble très simpliste, voire archaïque. Et le paiement à l’acte totalement déconnecté de la réalité  de terrain. Un spécialiste d’organe va avoir une rémunération qui souvent va correspondre à l’examen complémentaire qu’il va réaliser, alors que la plupart du temps si je ne fais pas un acte technique comme une pose de DIU (stérilet), un frottis ou une petite intervention sur un abcès, il ne sera tenu aucun compte du type de travail que je vais effectuer.

Une consultation d’annonce de cancer par exemple qui va être longue et pas évidente sera rémunérée de la même façon qu’un vaccin ou un examen d’aptitude au sport. Une consultation de suivi de grossesse de la même manière sera facturée 23€.

Mes internes sont en général étonnés de me voir facturer presque toujours la même somme quelle que soit la prestation effectuée. Je me fais cette réflexion depuis des années.

Généraliste, une spécialité qui attire de moins en moins

L’absence de revalorisation des actes en médecine générale entraîne un très nette baisse de l’attractivité de notre métier de médecin généraliste en libéral et dans les statistiques récentes, 10% à peine des diplômés de médecine générale vont choisir de s’installer. Ils préfèrent nettement le salariat et je les comprends. Le début de carrière d’un médecin généraliste salarié dépasse presque toujours 4 000 euros par mois, alors qu’une installation ne va pas sans risque selon l’endroit et les frais engagés pour la location ou l’achat d’un local ainsi que son équipement. Le rachat d’une clientèle à un médecin en fin de carrière est devenu peu intéressant et souvent cher, ainsi que l’entrée dans une association existante.

Je vois de nombreux jeunes installés déplaquer (se désinstaller) au bout de quelques années de libéral, en raison des difficultés financières ou du nombre d’heures de travail épuisantes effectuées par semaine. Une autre raison de cette désinstallation semble être aussi le manque de reconnaissance de la profession de médecin généraliste en France en raison de cette rémunération qui est la plus basse d’Europe actuellement. Gagner bien sa vie maintenant est au prix du sacrifice de sa vie privée et quelques fois de sa santé mentale. Ils estiment que cela n’en vaut plus la chandelle au bout de 5 à 6 ans d’essai.

Dans mon quartier de plus de 40 000 habitants, je n’ai vu aucune nouvelle installation depuis au moins 7 ans et la plupart des médecins qui sont partis à la retraite n’ont eu aucun successeur ( 3 médecins dans les rues juste adjacentes à mon cabinet cette dernière année).

Pourtant je n’ai pas eu un seul interne en stage à mon cabinet qui n’ait apprécié cette pratique des soins de premier recours et la possibilité de faire sa démarche diagnostique, de suivre le patient , d’administrer un traitement et d’en apprécier les effets. La relation avec chaque patient différent est aussi un gage de grande variété de  façons d’aborder la démarche de soin.

Soigner des patients, pas des clients

Ce qui m’a fait choisir le libéral est vraiment important à mes yeux . Le fait d’être son propre patron, de ne rendre des comptes (médicaux)  qu’à ses patients est un des éléments qui compte. Il peut peser, évidemment, lorsqu’il s’agit de s’occuper de sa comptabilité ou des choix d’investissement, mais j’avoue qu’il ne s’agit pas (plus) d’un aspect qui me rebutte et que de maîtriser sa situation comptable est même souvent satisfaisant.

Par contre le paiement à l’acte ne m’a jamais emballée, au point que depuis le début de mon installation, j’ai choisi de pratiquer le tiers payant, voire le tiers payant généralisé (quand il est possible sur la carte Vitale), sur toutes les consultations ou presque. Le rapport à l’argent directement avec le patient n’a pour moi que peu de sens dans la mesure où le payeur réel est en dehors de cette relation patient-médecin, et que l’argent peut même la parasiter. Je ne veux pas de relation de clientèle, je ne me sens pas l’âme d’une prestataire de service, mais bien soigner des patients.

J’ai réfléchi dans mon petit coin et en dehors de toute appartenance à un syndicat (j’ai sûrement tort), et je n’ai pas de solution idéale, mais il me semble que le principe de la rémunération au type de pathologie plus ou moins lourde suivie est une piste. Bien sûr, il faudra tenir compte de l’activité de chaque médecin, mais ne pas accepter l’abattage que pratiquent certains confrères  qui est la source probable de la faible rémunération à l’acte. Quand je vois des journées de plus de 60 consultations chez certains, je reste comme deux ronds de flan. Il me semble aussi que l’on devrait ne pas voir plus de 25 à 30 patients par jour pour pouvoir prendre du temps avec chacun.

Je vais encore travailler entre 13 et 15 ans selon toute probabilité et j’aimerais voir à nouveau de jeunes médecins heureux de travailler en libéral  dans des conditions correctes (avec une secrétaire par exemple que je n’ai jamais eue), être respectés par les autorités de ce pays et rémunérés correctement pour leur travail. Il n’y a que comme cela que les patients pourront garder une médecine de proximité de qualité.


#Santé

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