Rue89 Strasbourg : Avec un peu de recul comment analysez vous les élections régionales que l’on a connues dans l’Est ?
Éric Schultz : Les résultats du premier tour ont été hallucinants. Personne ne s’attendait à de telles proportions, mais les symptômes étaient connus. Tout le monde a été pris à contrepied et le soir du premier tour les candidats se sont embarqués dans des positions définitives, ce qui n’a pas facilité l’entre-deux tours.
La question du maintien de Jean-Pierre Masseret (PS) a entraîné des débats virulents, qui ne portaient plus sur la future région, mais sur ce qu’est la gauche ou sur le FN. La séquence s’est bien terminée, mais elle pose des questions. Plus personne ne veut être coincé dans ce type de situation. Il faut donc proposer une nouvelle pratique de la politique et pas seulement entre “professionnels” – j’inclus dans ce terme élus, militants, politologues ou journalistes – mais avec les habitants. Et la présidentielle de 2017 ne doit pas tout coincer.
Vouloir tout changer, n’est-ce pas le meilleur moyen de ne rien changer ?
Ne rien changer, c’est laisser faire. Le moment est venu de réinterroger les institutions politiques françaises et aussi ce qu’est la gauche. Répond-elle aux attentes de ceux qui se disent de gauche ? En regardant les résultats dans les bureaux de vote à Strasbourg, on voit que les quartiers populaires qui s’étaient mobilisés pour François Hollande en 2012 ne votent plus. Nous devons retourner sur le terrain, faire du porte-à-porte comme lors d’une campagne électorale, mais justement quand ce n’est plus le temps de la campagne, pour mieux cerner les attentes et bâtir un projet.
Il faut ensuite non seulement écouter les personnes qui veulent s’exprimer, mais aussi qu’elles accèdent à des responsabilités. C’est la fin de l’homme providentiel, déconnecté des attentes. Dans les partis politiques, cela implique aussi de faire de la place à ces nouveaux venus. Les 9 listes des régionales dans l’Est n’étaient pas représentatives de la société française.
Vous voulez inclure davantage les citoyens, mais ont-ils envie de s’engager ? On dirait que les exercices de démocratie participative ne concernent que les mêmes cercles d’habitués.
Il y a une envie de débattre et de discuter au-delà des cadres traditionnels. Peut-être que la réunion publique le soir ou les manifestations le samedi après-midi ne sont plus des formats adaptés et qu’il faut réfléchir à d’autres moments et d’autres formes de rencontre. Peut-être un café après avoir déposé les enfants à l’école ? Pour le savoir, il faut aller vers les gens et ne pas attendre. Les campagnes électorales ne ressemblent plus à rien. C’est un lien de 30 secondes au maximum quand on donne un tract.
Avec Daniel Cohn Bendit, EELV avait un effet média, mais que l’on n’a pas su garder. Il faut qu’on réfléchisse à d’autres manières de toucher la population, notamment les jeunes et de savoir comment ils s’informent. Cela implique d’avoir une stratégie sur internet, par des mails ou des vidéos virales. Vu l’émergence de sites “d’information” d’extrême-droite, on voit que le Front national ou même dans un autre registre le nouveau parti de l’Union populaire républicaine (UPR) ont mieux su saisir les outils numériques.
Et les élus dans tout ça ?
Renouveler l’offre politique entraîne de nouvelles pratiques. Seul le FN a su faire émerger une nouvelle génération d’élus. On pourrait commencer par limiter le nombre de mandats dans le temps. Cela devrait se faire naturellement, mais peut-être que comme pour la parité, si on force les choses avec une loi, cela peut accélérer le processus. Il y a trop de personnes, même chez nous les écologistes, qui se représentent sans cesse aux mêmes élections sans jamais gagner. On en crève.
Vous êtes élu depuis 2008, qu’est-ce qui d’après-vous fonctionne et ne fonctionne pas dans la politique locale strasbourgeoise ?
L’accès aux décisions publiques a été amélioré. Il y a plus de transparence dans les dossiers municipaux. On arrive aussi assez bien à solliciter des acteurs qui ne sont pas des personnes politiques dans l’élaboration de certaines politiques comme sur le vélo ou le développement économique. Pour faire avancer des politiques de proximité, il faut interroger des usagers, même si on pourrait aller plus loin dans l’explication de ce que l’on fait.
En revanche, l’administration est parfois trop dirigiste sur certains dossiers. Les agents sont parfois issus d’une culture différente et n’ont pas les mêmes points de vue que les élus, qui lorsque la décision est prise se retrouveront à l’assumer. Les agents pourraient aussi être plus inclus, surtout lorsque leur métier évolue. Pour que les habitants se sentent plus concernés, on pourrait mettre en place des budgets participatifs comme à Paris.
Les élus se retrouvent très coincés par la loyauté partisane et les rapports de force internes. On en arrive à voter des choses que l’on n’approuve pas. Ces jeux de postures sont surfaits, même si sur certains sujets les divergences sont réelles. La gauche se dit toujours satisfaite de tout et l’opposition de rien, alors que 80 à 90% des délibérations sont adoptées à l’unanimité sans même être débattues. Sur la géothermie par exemple, personne ne peut être satisfait de la manière dont les choses ont été conduites.
On en arrive aussi là car on a des majorités très fortes et que l’exécutif (le maire et ses adjoints) participent au vote. Le maire et ses adjoints ont plus de voix que l’opposition. C’est problématique et c’est aussi à réinterroger.
On a l’impression d’être à la veille d’une recomposition de la vie politique française. Une extrême droite forte, une droite à mi-chemin entre le FN et le centre-droit, un centre social-démocrate qui inclurait des personnes de “Les Républicains” comme du PS, et enfin une gauche autour de déçus du PS, et d’autres formations dont des écologistes, si ces personnes arrivent à s’unir. Est-ce le moment de faire un big bang des partis politiques ?
Sans forcément remettre à plat tous les partis, on peut rebattre les cartes. Il est urgent que chacun soit clair sur son projet. Les coalitions et rapprochements divers brouillent les messages pour les électeurs. Pour cela, il faut se placer sur les quatre clivages qui divisent notre société désormais.
Il y a la question sociale sur la redistribution des richesses qui est le clivage gauche/droite classique. Mais nous avons aussi de nouveaux clivages entre liberté et autorité, entre Europe ou repli et entre environnement ou productivisme. Entre différents partis, on peut être proche sur certains sujets et pas sur d’autres. Aujourd’hui, seul le Front national assume ses positions sur les quatre clivages.
Il faut ensuite hiérarchiser ces thèmes. On voit par exemple que la question sociale prime sur la question écologique au moment du vote. Ceux qui veulent porter une alternative doivent donc se placer sur ce premier thème, pour ensuite traiter celui de l’environnement. En Espagne, le parti Podemos (gauche radicale) a pu ajouter la transition énergétique à ses quatre grandes propositions de programme, alors que ce n’est pas autour de cette idée que le mouvement s’est fondé.
Il y a-t-il des exemples ailleurs qui vous inspirent ?
En France, l’expérience grenobloise interpelle, (avec une coalition écologistes-parti de gauche à la tête de la Ville, ndlr). On a parlé de Podemos, qui dirige deux grandes villes (Barcelone et Madrid) dans le cadre d’une coalition. Le mouvement est devenu en décembre la première force d’opposition au niveau national et tous ses votes vont être très scrutés. Des personnes comme Jeremy Corbyn au Royaume-Uni ou Bernie Sanders aux États-Unis, arrivent aussi à mobiliser des personnes qui s’étaient désintéressées de la politique. Même Syriza en Grèce, malgré des revers avec les institutions européennes, a gardé un lien avec la population lorsqu’il y a eu de nouvelles élections en septembre. Tout cela montre un besoin de remise en clarté de ce qu’est la gauche, un lien qu’on a perdu en France. Comment permet-on de rendre à la population ce qui lui appartient ? C’est ce qui doit nous préoccuper.
Plus qu’à la copie d’un modèle, je crois surtout à la mise en réseau. La nouvelle région Sud-Ouest va par exemple expérimenter un revenu de base. Si d’autres collectivités veulent s’en inspirer, elles pourront travailler ensemble et créer des liens à partir d’une expérience connue. À l’échelle des villes, on peut aussi s’inspirer de ce qui se fait dans d’autres municipalités en France ou ailleurs dans le monde. Les initiatives n’ont pas besoin d’être uniformes partout.
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