Avec sa barbe, son pull en laine, son sourire et sa générosité, Léonard Mandavy nous reçoit chez lui, à Schiltigheim, comme il recevrait des amis, autour d’une tasse de café. C’est peut-être un hasard mais peut-être un symbole pour un artiste avec des chansons engagées comme A l’ouest rien de nouveau, Les dents de sagesse, ou encore Le repas des députés : il habite rue Jean-Jaurès.
Ainsi, ce chanteur atypique n’a pas hésité lorsqu’une amie avec laquelle il a l’habitude de jouer des chants révolutionnaires lui a proposé de se produire en concert bénévolement pour le premier week-end de Nuit Debout à Strasbourg. Pour autant, celui que ses amis appellent Léo ne se décrit pas comme quelqu’un d’engagé :
« J’ai des opinions politiques de gauche, mais je n’arrive pas à la cheville des gens engagés ! Ce n’est pas moi qui vais coller des affiches, distribuer des tracts… J’ai des chansons qui peuvent être considérées comme engagées, mais je ne crois pas qu’une chanson puisse changer le monde. Les chansons marquent plutôt la mémoire du passé : des changements ont lieu et les chansons arrivent après-coup. »
Des textes qui racontent des mini-révolutions un peu partout
Parmi la trentaine de chansons de son répertoire, toutes ne sont donc pas engagées :
« J’en ai sur l’amour, les amis, la famille, j’en ai sur la misère sociale, et j’en ai des anti-libérales, pacifistes, féministes… J’écris une chanson quand j’ai vraiment quelque-chose à exprimer. C’est bête à dire, mais certains artistes que je connais ne le font pas. »
Pour Léonard Mandavy, une bonne chanson est avant-tout une chanson qui raconte une histoire… Et si possible, avec de l’humour, comme Le Goûter où un gamin ne se laisse pas faire à la récré :
« Ma manière de créer, c’est d’illustrer. J’ai besoin d’avoir une image que j’ai très envie de raconter. Souvent, ce sont des choses exagérées voire exubérantes, et toute ma chanson se met en place, en tendant vers cette image. »
Ainsi, les auditeurs les plus attentifs de Chanson de pirate s’apercevront que la captive se sert du sexe d’un membre de l’équipage comme d’une épée…
« Pour Le repas des députés, où un invité casse l’ambiance avec ses idées, ce qui m’a donné envie d’écrire, c’est que, souvent, dans notre société, on refuse des idées progressistes au nom du pragmatisme. Pourtant, le progressisme et le pragmatisme peuvent aller ensemble. Et en plus, ce sont deux mots qui riment. »
L’ombre de Georges Brassens
Justement, l’autre particularité de ses chansons, surtout pour notre époque, c’est qu’il les écrit en vers…
« Dans mes vers, je fais attention à respecter la syntaxe, comme dans le langage de tous les jours. Malgré les vers, un chanteur m’a dit un jour que je donne l’impression que je parle quand je chante. Quand je suis sur scène, je ne recherche pas la performance vocale, j’ai toujours envie que le public comprenne mes chansons, apprécie les textes… »
Peut-être par leur forme fixe, quelques-unes de ses chansons peuvent rappeler des airs de Georges Brassens. Mais quand on lui soumet cette comparaison, voici sa réponse :
« Quand on veut créer son propre style, on ne le sort pas du néant, on se nourrit de différents artistes. C’est vrai que j’ai consommé beaucoup de Brassens, mais je n’ai pas écouté qu’un seul chanteur. Je me suis inspiré de Boris Vian et de Dick Annegarn pour leur côté fou ou surréaliste. Le trait que j’ai beaucoup aimé chez Clarika, c’est le côté matérialiste. Pour parler de vérités comme le bonheur, elle utilise des objets concrets, comme je le fais dans 9 m². Et les chants de lutte historiques, que j’ai découverts grâce à un atelier de la chanteuse-accordéoniste Nathalie Suzanne à la Maison Mimir, m’ont aussi beaucoup inspiré. »
Biberonné à Cesaria Evora, Barbara et Dalida
Enfant, il a été influencé par les goûts de son père, chanteur de hard-rock dans sa jeunesse, et de sa mère, préférant la musique de Barbara , Dalida, ou Cesaria Evora. Ce n’est donc que, quelques années plus tard, qu’il a découvert Brassens, seul :
« Mon côté Brassens, c’est le format guitare-chant, et les mots pas si courants que j’utilise, mais compréhensibles. Nous avons tous un rapport aux mots actifs ou passifs. Le rapport actif, ce sont les mots qu’on connaît et qu’on comprend. Le rapport passif, ce sont les mots que l’on ne connaît pas forcément, mais que l’on comprend, et Brassens en utilisait beaucoup. Pardon, je théorise… »
Il faut dire que cet étudiant en lettres prépare le concours pour devenir professeur des écoles… Il l’a déjà passé avec succès en 2010, mais Léonard Mandavy n’a jamais enseigné parce qu’il ne se sentait pas prêt à encadrer une classe à 23 ans. Depuis, ses expériences en animation périscolaire l’ont convaincu de sa capacité et de son désir d’enseigner. Tout en souhaitant conserver une place importante pour la musique en parallèle.
Concernant son parcours musical, Léonard Mandavy a commencé par se former un an à la guitare auprès d’un professeur de jazz, Claude Janet, qui lui a surtout appris à apprendre :
« Au départ, je jouais du rock puis je me suis mis à la chanson française progressivement parce que j’aime écrire. Et la chanson française a un côté plus pratique : on peut répéter seul ou à plusieurs, n’importe quand et n’importe où… »
Des concerts dans la rue, ou invité par des amis…
Ses premières notes en tant que chanteur ont été jouées en soirée, dans la rue, dans des concerts en appartement, sur des scènes de cafés, de festivals, de petites salles… De 2012 à 2015, il a formé un groupe, Les Venus en caoutchouc, avec deux amies, Nathalie Suzanne et Juliette Cordel. À cette époque, Léonard Mandavy se produisait entre Nancy et Strasbourg. Il chantait alors des reprises, déguisé en femme, telle une troisième Venus… Peut-être une manière de se protéger du trac, peut-être un héritage de sa pratique du théâtre.
Depuis un an, il se produit seul en concert, en chantant ses propres chansons, sans se déguiser, même s’il lui arrive souvent d’être accompagné. Jeudi 5 mai au Molodoï, dans le cadre de la Release Party avec Justine Bahl et d’autres artistes, ce sera à nouveau le cas. Il sera sur scène avec un ami, Waldemar Szymanski, un chanteur à guitare comme lui (voir Don Giovanni ou Dos à dos).
Un concert à ne pas manquer pour ceux qui souhaitent les découvrir sur scène… En effet, les occasions ne sont pas si fréquentes puisque la date suivante est seulement fixée au 14 juillet à La Guinguette du rhin. Au total, depuis ses débuts avec Les Venus en caoutchouc, Léonard Mandavy ne s’est produit qu’une quarantaine de fois dans la région en quatre ans, soit seulement une dizaine de dates par an…
« Mais je ne me démène pas pour en chercher… La plupart, je les obtiens par le bouche-à-oreille : ce sont des personnes qui m’ont vu quelque-part qui m’en proposent, ou des copains de copains de copains… »
Rare sur scène, rare sur Internet…
De même, il n’a pas encore sorti d’album ni créé de site internet, même si une partie de ses chansons sont disponibles sur internet. On peut quand même suivre son actualité sur sa page Facebook. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir une courbe de nouvelles chansons exponentielle… Sa dernière création met ainsi en scène Sherlock Holmes :
« J’ai imaginé qu’un homme arrive chez Sherlock Holmes parce que sa femme, Lady Frances Shoscombe, a disparu. Au fur et à mesure qu’il raconte les faits au détective privé, le public est censé comprendre que sa femme s’est tout simplement cassée parce qu’il était trop insupportable ».
La prochaine devrait s’intituler « L’exécuteur testamentaire » :
« Je veux faire une chanson sur un ouvrier qui léguerait à sa mort tout ce qu’il avait à son patron qui l’a viré. Le truc, c’est qu’il n’aurait pas grand-chose, à part son cancer, les poings dans la gueule qu’il a pris lors de l’occupation de l’usine, et ainsi de suite… Mais ce n’est encore qu’une idée. »
Des textes inspirés par la cruauté du réel
Et la suivante « L’épopée de l’emploi… » :
« Elle raconterait l’histoire de quelqu’un qui se renseigne sur un nouveau boulot auprès de professionnels… Sauf que, à chaque fois qu’il leur demande si se lancer dans la même voie professionnelle qu’eux est une bonne idée, on lui répond « non, non, surtout pas… » Et au final, il ne ferait pas grand-chose… »
Ceux qui fréquentent la scène Slam strasbourgeoise pourraient donc les découvrir bientôt…
« C’est le lieu où je vais tester mes textes brut pour voir l’effet sur le public, avant de les jouer en chansons. C’est aussi le moyen d’avoir sa dose régulièrement (chaque troisième mardi du mois au Kitsch’n bar à partir de 21h) quand on a besoin du plaisir de monter sur scène. »
Rire et réfléchir
Quand on lui demande une bonne raison d’assister à un de ses concerts, voici ce qu’il répond :
« D’un côté, je pense qu’on rit, que j’arrive à faire rire en parlant de choses graves, et que c’est drôle sans être grotesque. De l’autre, comme il y a du fond dans mes chansons, on ne repart pas avec l’impression d’avoir perdu son temps… »
Et voici ce que répond Juliette Cordel, qui se produisait en concert avec lui à l’époque des Venus en caoutchouc :
« Il raconte des contes en chantant, souvent engagés, avec beaucoup d’humour, et une morale sous-jacente. Il y a toujours du sens derrière. En concert, il fait des blagues entre les chansons. Dans son humour, il a un petit côté Philippe Katerine, mais en plus intellectuel. Et il a en même temps l’intelligence d’un Brassens : ses textes sont en vers, avec des mots compliqués, et vachement bien structurés ».
Au petit jeu des comparaisons, à vous désormais de vous faire votre propre idée.
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