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En cité U, des étudiants « surconfinés »

Malgré les annonces faites hier par Jean Castex de la reprise partielle des TD pour certains étudiants, la situation reste préoccupante dans les résidences universitaires. Sans lieu de convivialité, isolés et à l’étroit, les difficultés sociales et psychologiques sont croissantes.

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« Je vous appelle dans 5 minutes le temps que je trouve un endroit où je capte bien le réseau » .

Éléonore Schmitt, en L3 de Sciences politiques, fait partie des étudiants qui ont rédigé la tribune des « Derniers déconfinés« . Elle habite en résidence étudiante, où elle peine à capter le wifi et même les réseaux : « Je suis souvent en 2G, je ne savais pas que ça existait encore ».

Les bibliothèques universitaires accueillent les étudiants qui ne peuvent suivre les cours depuis chez eux, certains obtiennent aussi des dérogations pour se rendre à la fac. Une nécessité selon Éléonore :

« Mon logement fait 18m2, donc je suis mieux lotie que d’autres, mais le lit et le bureau sont très proches. Les espaces de vie et de travail : tout est au même endroit. On se sent prisonniers, c’est vraiment stressant. »

Connections difficiles

L’isolement est encore accentué quand les conditions de connexions sont mauvaises : « notre seul lien avec l’extérieur, c’est appeler la famille et les proches et les réseaux sociaux, donc si même ça on n’y a pas accès… », commente l’étudiante. 

Pour elle, l’organisation des partiels en présentiel, dans un strict respect des consignes sanitaires, sans entraîner de contamination prouve qu’un retour dans les facultés est tout à fait envisageable. Même sentiment pour Jean-François Havard, maître de conférences en science politique à l’UHA :

« La façon dont les cours se sont déroulés en demi-jauge en septembre et octobre, sans créer de cluster, montre que les Universités savent et peuvent faire avec un protocole strict et que les étudiants ne sont pas des irresponsables. »

L’enseignant-chercheur et beaucoup de ses collègues s’inquiètent des conséquences d’un deuxième confinement beaucoup plus pesant, même si la continuité pédagogique est moins mise à mal. Et l’annonce par Jean Castex d’autoriser la reprise des TD en demi-groupe, pour les étudiants de première année, à partir du 25 janvier, ne devrait pas changer la donne pour la majorité des étudiants.

« On le constate au moment des cours, beaucoup d’étudiants ne se connectent pas, ou de façon distraite et font autre chose en même temps. Nous recevons aussi directement beaucoup de mail de détresse qui parlent de décrochage, d’abandon, de changement d’orientation, des témoignages de gens qui craquent. »

Cité universitaire Paul Appell, à Strasbourg (photo S.Wenger).

« Mon voisin d’en face, je le vois une fois tous les deux mois »

L’abandon, c’est ce qu’a ressenti Oumar Cissé, étudiant ivoirien inscrit en L3 de droit à Mulhouse et résident en cité U, boulevard Stoessel. Alors qu’il s’apprêtait à réviser ses partiels, le deuxième confinement l’a coupé du monde. Pendant 10 jours il se retrouve sans connexion internet, sans réseau, et il ignore qu’il a accès à la BU.

« Lors du premier confinement rien n’avait été mis en place, donc je pensais que c’était pareil et personne ne m’a informé de solutions alternatives. Je ne pouvais pas non plus joindre ma famille, je n’avais pas du tout un état d’esprit à réviser, j’étais totalement isolé. Il y a très peu de contacts entre nous dans la résidence, chacun est dans son coin : mon voisin d’en face je le vois une fois tous les deux mois. »

Oumar travaille le samedi à Ikea, un contrat de 9 heures par semaine qu’il a pu reprendre avec l’allègement du confinement et qui l’aide à payer son loyer. Mais sa situation, comme celle de beaucoup d’étudiants étrangers, qui ont parfois perdu leur travail, reste critique. Le jeune homme ne connaît pas d’épicerie solidaire ou de distributions alimentaires, à destination des étudiants, comme il en existe à Strasbourg

« Les cours à distance c’est une catastrophe. J’ai dû redoubler mon année, et je sais que c’est à cause du premier confinement. Je ne suis pas sûr d’avoir réussi mes partiels. Il est très urgent qu’on retourne en présentiel. On n’en peut plus. »

Kelana et Elisa construisent un bonhomme de neige au bas des blocs de la cité U de Strasbourg (photo S.Wenger)

Des journées qui se suivent et se ressemblent

Quartier de l’Esplanade à Strasbourg, la neige tombe à gros flocons. Kelana profite de quelques heures d’évasion. Avec Elisa, une amie de lycée qui étudie à Metz venue pour la journée, elles modèlent un bonhomme de neige au pied des blocs de la cité U Paul Appell. 

En temps normal, les journées se ressemblent beaucoup pour cette étudiante en L2 d’informatique originaire de Yutz en Moselle : lever 7h30, début des cours à 8 heures. Pause rapide pour déjeuner à la cuisine collective ou sans sortir de sa chambre parfois. Fin des cours à 15h30 ou à 18h00, détaille Kelana. 

« D’habitude, je sors un petit peu, je vais marcher ou respirer dehors ou faire mes courses. Avec le couvre-feu, ça ne va plus être possible. J’ai déjà senti l’impact du premier confinement sur mes notes en première année. Là, la solitude c’est dur et ça s’accentue, même si ma famille garde le lien avec moi et que j’organise parfois des soirées jeu à distance avec des amis. »

Aménagements aux restos U

Lors du premier confinement, les cités U s’étaient vidées :  le taux d’occupation en avril 2020 était de 40,9 % selon le CROUS de Strasbourg, désormais l’occupation est estimée à 50 %. Contrairement au mois d’avril, l’État n’a pas donné suite aux demandes de gel des loyers des résidences étudiantes. Pour les repas, quelques aménagements sont prévus en raison de l’avancée du couvre-feu : récupérer deux repas en même temps à midi. Pour les résidents éloignés du Resto U, la livraison reste possible. 

À la cité, Kelana n’a pas vraiment d’amis ou de connaissance et comme tous les espaces de convivialité (médiathèque, salle de télé, centre sportif) ont fermé, qu’aucun événement n’est organisé, difficile de rencontrer du monde. La jeune fille a toutefois entendu parler des « étudiants relais », un dispositif qui existe depuis des années au CROUS de Strasbourg, et trouve encore plus de justification en cette période : « je ne sais pas si j’irai voir une psychologue si vraiment ça n’allait pas, je me vois plus parler à des étudiants comme moi. »

Lucile et Cécilia sont « étudiantes-relais » à la cité U de Strasbourg depuis le début de l’année (Photo S.Wenger)

Garder le lien, faire relais

Cécilia, 19 ans et Lucile, 24 ans, bâtiment B et bâtiment D, sont deux des quatre « étudiants-relais » de Paul Appell. Elles ont pris leur fonction à la rentrée universitaire et sont chargées de faire le lien avec les résidents de la cité. Selon elles, si certains étudiants s’en sortent bien, c’est très dur pour ceux qui étaient déjà le plus en difficultés à la fac ou financièrement : comme ailleurs, le Covid accentue la fracture selon Cécilia. 

« On a fait une pause d’une semaine et puis on a repris le porte-à-porte, on passe pour demander des nouvelles, proposer des activités ou des balades. Certains étudiants restent dans leur bulle : si on ne va pas les voir, on ne peut pas les toucher. La détresse psychologique me paraît encore plus forte que les difficultés économiques cette fois-ci, et c’est quelque chose qu’il me semble plus difficile à admettre, c’est plus facile d’aller voir l’assistante sociale que la psychologue. »

Les « étudiants-relais » informent aussi sur les structures et les professionnels présents à la cité : deux assistantes sociales et une psychologue. Lucile a remarqué une plus grande vulnérabilité de certains étudiants étrangers. 

« Certains ont des amis ici, donc ça va. Mais quand on a organisé la fête de Noël – par créneau de six étudiants – ce ne sont presque que des étrangers qui se sont inscrits. Contrairement aux autres, ils n’ont pas pu rentrer dans leur famille et étaient seuls à cette période. »

Prendre soin des corps confinés

Alors que la plupart des étudiants sont assignés à résidence, privés d’activités physiques et rivés à leur écran pour suivre les cours, ce confinement extrême pèse sur l’esprit comme sur le corps. 

Le centre sportif de l’Esplanade a fermé ses portes avec le deuxième confinement (photo S.Wenger)

Léa Marie est en Master de droit à Strasbourg et ceinture marron de judo.  Elle n’est pas résidente à la cité mais avec un petit groupe informel, qui compte un certain nombre d’étudiants en STAPS, elle s’est mise depuis la rentrée à accompagner de manière un peu informelle certains étudiants qui fréquentent les salles de sport du campus.

« Alors que ce n’était pas obligatoire, on gardait le masque pendant les deux heures à la salle, même si on étouffait et qu’on transpirait encore plus : on est prêts à la réouverture dans n’importe quelles conditions. Cela a été très compliqué avec la fermeture des salles et encore plus au début quand on ne pouvait pas se retrouver dehors pour faire du sport. »

Léa Marie et les étudiants qu’elle accompagne ont réussi à se retrouver via les réseaux sociaux. Désormais, elle organise 3 à 4 séances par semaine en visio, pousse aussi ses contacts à sortir au parc de la Citadelle, juste à côté de Paul Appell, où elle a récemment organisé une séance d’étirements.

« Le sport, ce n’est pas juste se dépenser. C’est important pour l’équilibre. C’est infernal, surtout pour ceux qui sont en cité U. On ressent tous des problèmes de sommeil, être toujours derrière son écran, ça crée une vraie fatigue mentale. »


#Covid-19

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