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En Bosnie, on « n’oublie pas 1993 » ni de plumer le touriste

Le Bulli a passé une semaine en Bosnie-Herzégovine, sur les traces de l’ex-Yougoslavie et de la guerre. Rencontres avec des anciens combattants de la guerre civile et un choc : l’emprise du tourisme mémoriel.

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Le Bulli dans les rues de Sarajevo de nuit.

Mère Courage en Bosnie

Le personnage créé par Bertolt Brecht est bien vivant et habite à Srebrenica. Il s’agit de Fadila Efendic, interviewée un lundi matin, en face du mémorial du génocide. Contrairement au personnage théâtral de Brecht, Fadila Efendic a fait de la guerre son commerce après la mort des siens. Elle a perdu son mari et son fils dans les massacres de juillet 1995. Elle a ensuite créé son magasin en face du cimetière.

De là, elle observe quotidiennement les tombes et vend des souvenirs de la guerre : des livres, des cartes postales, des tee-shirts. Le slogan « Souviens-toi Srebrenica » est décliné en autant de porte-clés, crayons et foulards.

La boutique de Fadila Efendic fait face au mémorial de Srebrenica et au cimetière. Derrière la baraque à souvenirs, les halles utilisées pour parquer les habitants de Srebrenica les heures avant le massacre.

Douches froides en Bosnie-Herzégovine

Si le Bulli est bien brave sur les petites routes montagneuses des Balkans, il est plutôt assez précaire côté confort. Et pour se laver, il faut parfois traverser la ville, en quête d’une piscine municipale coincée dans la zone industrielle, ou s’arranger d’une bouteille d’eau. La recherche de douche est une quête du Graal quotidienne.

Aussi, arrivés à Mostar, nous nous adressons à plusieurs petites pensions de la ville pour pouvoir se décrasser après la journée torride (35°). « Non, il faut prendre la chambre complète », ou «  Heu, combien ça peut valoir une douche… 10 euros ? ». Ça se termine en baignade dans la Neretva, la fameuse rivière qui coule sous le pont de Mostar et qu’on aperçoit sur toutes les cartes postales du coin. L’eau est glaciale : dur dur.

Nous n’apprenons que plus tard qu’il vaut mieux se baigner plus en amont, au nord du pont. « Le pont, c’est un peu les égouts de la ville, tout le monde y jette ses ordures ». On est ravis !

Baignade dans la Neretva, sous le pont sympolique de Mostar. L’eau est à peine à 7 ou 8 degrés…

Les piliers de Sarajevo

Aller à Sarajevo était une des étapes les plus importantes pour le Bulli Tour. On voulait vraiment savoir pourquoi faire du théâtre sous les bombes et comment il est possible d’ouvrir une librairie en plein siège. Iovan Divjak est serbe. Il est général d’active.

Pendant le siège de Sarajevo, il a défendu la ville, aux côtés des Sarajéviens, contre l’armée serbe qui lui faisait face. Sa résistance était double : diriger les combattants et participer à la vie culturelle et artistique civile. Aujourd’hui le général est un vieil homme charmant et charmeur qui nous montre les lignes de front, nous offre des fleurs et chante Aznavour.

Le général Divjak devant son association d’aide aux enfants victimes de la guerre. (Et ses fameuses roses!)

La ville entière a résisté pendant les trois ans du siège, entre 1992 et 1995. c’est à ce moment-là que le fameux SARTR, théâtre du siège de Sarajevo, a été créé. Il est encore en activité aujourd’hui et nous rencontrons Nihad Kresevljakovic, le nouveau directeur :

« Pendant la guerre, les gens prenaient le risque de mourir en pleine rue, pour aller se rendre au théâtre, à un concert ou à une exposition. L’art et la culture sont des besoins aussi forts que celui de manger ou de boire. Le siège de Sarajevo l’a prouvé ! »

Le SARTR continue aujourd’hui sa résistance en présentant des pièces engagées, politiques et documentaires. « L’ennemi est invisible mais il y a bien toujours une résistance à mener en Bosnie-Herzégovine ! »

Âgé de 18 ans pendant le siège, Nihad était jeune comédien et se souvient des répétitions dans les abris et des représentations toujours pleines de public.

« Par ici la monnaie ! »

Le tunnel original mesurait 800 mètres de long; il fallait parfois deux heures pour le traverser.

Pour clore notre passage dans la ville, nous nous rendons au fameux tunnel qui permit à la ville de tenir. Huit cent mètres de long qui furent creusés pendant quatre mois. Grâce à ce passage sous l’aéroport tenu par l’ONU, les Bosniens pouvaient se ravitailler, faire rentrer des combattants ou faire sortir des blessés.

Si le lieu est mythique, son musée actuel est très décevant. Obligation de se garer dans la cour devant le tunnel… et de payer 2 KM (mark convertible bosniaque, une monnaie créée par l’ONU dont les billets sont imprimés en France) au voisin (le propriétaire des lieux). L’entrée au musée coûte ensuite encore 10 KM par personne. Un guide volontaire vous propose une visite gratuite qu’il faudra gratifier d’un pourboire.

En somme, pas moins de 25 KM (13 euros) pour une visite de 10 minutes… il n’y a rien à voir ici. En guise de musée : deux salles, où tout est écrit en bosnien avec trois lettres, deux vieilles mines et un jean sali (pour illustrer la construction du dit tunnel), et, clou du spectacle, 20 mètres du tunnel (refait ou préservé) dans lesquels tous les touristes s’engouffrent. On n’en retient rien si ce n’est l’attrape-touristes.

Le commerce de la guerre permet à de nombreux habitants de vivre.

Le commerce de la guerre

Mostar n’échappe pas à la règle et plume tout autant ses touristes. Les autocars déversent les appareils photos en shorts dans les rues, et les ravalent trois heures plus tard. Le centre historique est un mausolée du gadget et de la merdouille… tout est made in China et vendu cinq fois le prix : du plastique partout, des « Don’t forget » brandi à chaque coin de rue, entre deux sodas et trois restaurants « cuisine typique ».

Si la ville a été reconstruite, elle semble désormais être offerte en sacrifice aux vacanciers. C’est le triste paradoxe de ces lieux. On y propose des « War Tour » pour 60 euros : une somme colossale quand on sait qu’on peut avoir un repas correct pour quatre euros.

Les jeunes de la ville proposent de sauter depuis le pont… pour 25 KM, et font la manche auprès des touristes.

Le Bulli Tour part vers Skopje, capitale de la Macédoine, ou plutôt « Ancienne république yougoslave de Macédoine. » La vie dans un Bulli en pleine canicule, c’est à suivre la semaine prochaine !

Aller plus loin

Sur Rue89 Strasbourg : les carnets du Bulli Tour

Les reportages du Bulli Tour sont à découvrir sur BulliTour.eu.


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