« Il m’a foutu un coup de pied cet enfoiré ! » Il est environ 11 heures, ce mercredi 19 avril, et la situation se tend déjà à Muttersholtz. Une trentaine de manifestants expriment leur opposition au président de la République quand des gendarmes les repoussent après sommation. Vêtu d’une chasuble CFDT, un homme s’emporte face à un gendarme : « C’est ça la police ? Elle donne des coups de pied ? »
« Je trouve pas les mots tellement je suis énervée »
Emmanuel Macron n’est pas encore arrivé dans cette petite commune, voisine de Sélestat. Mais l’entame de sa tournée de réconciliation avec les Français commence mal. « C’est une honte, tout se passe calmement et on nous bouscule. Je trouve même pas les mots tellement je suis énervée », souffle Claudine, membre de la CFDT Métallurgie.
C’est seulement une demi-heure plus tôt, à 10h30, que la préfecture du Bas-Rhin a publié sur son site un arrêté préfectoral spécial pour la visite présidentielle. Ce dernier instaure plusieurs périmètres de protection à Muttersholtz et à Sélestat et interdit les manifestations dans ces zones. La presse n’a pas été informée par la préfecture et les manifestants ne peuvent pas connaître cette interdiction préfectorale. Énième sentiment d’injustice pour les opposants à la réforme des retraites.
« Où qu’il aille, il trouvera des opposants »
Depuis l’annonce du passage d’Emmanuel Macron dans l’usine Mathis à Muttersholtz, des militants s’organisent pour manifester leur mécontentement. Mais le déroulé détaillé de la visite présidentielle n’est connu de personne. Dans les groupes d’activistes, chacun y va de son hypothèse : le président viendra en hélicoptère directement sur le site de l’entreprise Mathis, Emmanuel Macron passera par la mairie de Sélestat en milieu d’après-midi… Au cours d’une réunion à Muttersholtz, dans la soirée du mardi 18 avril, les activistes ont acté du flou total autour de cette visite : « Les gens ont quand même envie qu’il y ait des images de contestation. Où qu’il aille, il trouvera des opposants », glisse un habitant de Muttersholtz et participant à la réunion.
Au milieu des manifestants dès 10 heures du matin, le maire de la commune de Muttersholtz Patrick Barbier ne souhaitait pas « faire un procès » au président de la République : « S’il ne sortait pas de son palais, on lui reprocherait de ne pas aller au contact. » L’élu écologiste, indépendant du parti EELV depuis 2017, sait seulement de cette visite présidentielle qu’il a rendez-vous dans l’entreprise Mathis à 13h30. Il note l’important déploiement de forces de l’ordre nécessaire pour la venue d’Emmanuel Macron : « Je n’ai jamais vu autant de cars de gendarmerie dans ma commune. Il y a plus de gendarmes que de manifestants pour l’instant. C’est ça qui est exceptionnel. »
Le cortège du président hué
Des opposants supplémentaires affluent vers Muttersholtz à 12h car l’intersyndicale a appelé à un rassemblement pour accueillir le président avec des casseroles. Ancien candidat de la France insoumise aux dernières élections législatives, Samy Ahmed-Yahia est bloqué à l’entrée du village, comme d’autres manifestants :
« La police a commencé par nous laisser entrer tout en nous interdisant de porter le moindre signe distinctif, casserole ou drapeau syndical. Puis ils ont fini par bloquer complètement l’entrée. Il s’agit d’une atteinte grave au droit de manifester notre mécontentement. »
À 13h30, Emmanuel Macron arrive avec un cortège de voitures copieusement hué et sifflé par les militants qui ont réussi à entrer dans la commune, maintenus à distance par les forces de l’ordre. Certains scandent « Macron démission ». Plusieurs petits groupes de manifestants sont éparpillés dans Muttersholtz.
L’eurodéputée du groupe Agir et ancienne maire de Strasbourg Fabienne Keller est également invectivée à son passage.
Interrogé dans l’usine Mathis, première étape de sa visite, sur la présence de manifestants dans la commune, le président rétorque que les manifestants « cherchent à faire du bruit » et que « ce n’est pas les casseroles qui feront avancer la France ». Au milieu de la journée, la CGT revendique une coupure de courant sur le site, qui ne plonge visiblement pas les lieux dans l’obscurité. Emmanuel Macron enchaine avec un passage à l’hôtel de Ville de Sélestat à 16h pour y rencontrer des élus locaux. Là aussi, des centaines de d’opposants l’accueillent avec des huées et des slogans. Une poignée de soutiens ont pu lui parler directement.
Clément, étudiant en archéologie, est venu pour interpeller Emmanuel Macron. Il raconte l’important dispositif de protection du président :
« C’est vraiment hyper contrôlé, on ne peut pas du tout échanger avec lui. On est au quatrième contrôle pour arriver jusqu’à cette place. À la télé, on montre plein de gens qui parlent directement avec lui, c’est tout l’inverse ici. Si c’est un bain de foule avec les CRS et les journalistes qu’ils voulaient, qu’ils le disent. »
Devant les journalistes, Emmanuel Macron a reconnu « la colère » tout en indiquant qu’il continuera à se déplacer en France. Infatigables, des manifestants sont restés en position jusqu’à la sortie du président de l’hôtel de ville à 18h, pour le huer une nouvelle fois. Après une très courte apparition, il est entré dans une voiture pour quitter Sélestat.
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Roni Gocer et Abdesslam Mirdass étaient auprès des militants et des manifestants toute la journée jusqu’au début de la soirée pour vous rendre compte de cette visite présidentielle.
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