« Dès qu’on nous propose un autre logement ailleurs, nous partons, le plus vite possible. » Fernand, un habitant de la cité de l’Elsau, au sud-ouest de Strasbourg, peine à contenir sa colère. Entre deux quintes de toux (il est asthmatique), il détaille l’état de son logement : des infiltrations d’eau le long des murs, les joints des fenêtres qui ne tiennent plus, les murs noirs de moisissures, le papier peint qui se décolle, la température glaciale dans la chambre de sa fille…
Bienvenue dans l’une des quatre grandes tours d’habitat social de la rue Jean-Martin Weis, en plein cœur du quartier de l’Elsau, au sud de Strasbourg. Dans ces immeubles bâtis au début des années 1970, les marques du temps et de l’usure se voient de plus en plus – et rendent difficile le quotidien des habitants.
Chez Fernand et Nicole, les enfants sont restés à la maison ce matin de février : ils toussent tous les trois, deux d’entre eux ont développé de l’asthme. « On est déjà allé chez le médecin deux fois, on y retourne aujourd’hui… Mais il ne peut pas faire grand-chose », explique Nicole, la maman. À ses côtés, sa fille Chloé, 10 ans, tousse bruyamment.
Dans l’appartement règne une forte odeur d’humidité. Le papier peint se décolle des murs : « J’ai essayé d’en coller plusieurs fois, mais il tombe systématiquement au bout de quelques jours. La peinture, sur le mur d’en face, était jaune. Elle est devenue orange à cause de l’humidité », explique Fernand :
« En hiver on sent le vent de l’intérieur, même quand les volets sont fermés. Les joints des fenêtres ne tiennent plus du tout, le lino du salon est trempé quand il pleut… On a du colmater les trous des fenêtres nous-mêmes. »
« C’est mieux si vous ne percez pas les murs… »
Le volet de la grande fenêtre du salon est constamment baissé, pour éviter d’autres infiltrations. S’il n’y avait que ça… « CUS Habitat nous a dit il y a deux ans qu’on ne devait pas percer les murs, parce qu’il y a encore de l’amiante », s’exaspère Nicole.
Au quotidien, le mauvais état du bâtiment a des conséquences très concrètes sur la vie des habitants. Nicole s’exaspère :
« C’est compliqué pour sécher le linge, surtout en hiver. Le chauffage s’éteint régulièrement, sans qu’on sache pourquoi, et redémarre quelques heures plus tard. Pareil pour l’eau chaude. »
Dans le couloir, les tuyaux d’évacuation d’eau gouttent sur le sol.
Des problèmes récurrents de cafards
Chez les voisins d’en-dessous, c’est à peine mieux : les murs de la salle de jeu des enfants sont noirs de moisissures. Là encore, le papier peint se décolle. Caroline, la maman, a dû jeter plusieurs meubles, abîmés par l’humidité des murs.
Dans la cuisine, elle déplore l’invasion de cafards une fois la nuit tombée :
« Ils se cachent pendant la journée et ne sortent que le soir, ça grouille partout dans la cuisine. CUS Habitat vient parfois asperger un produit pour les tuer, mais ce n’est efficace que quelques jours… »
En cas d’invasion de cafards dans l’ensemble d’un immeuble, c’est au propriétaire, ici CUS Habitat, d’intervenir pour éradiquer les indésirables. Chez Nicole et Fernand, l’agent de désinfection envoyé par le bailleur social s’est bien déplacé, mais n’a effectué qu’un traitement superficiel, sans viser les nids. Les cafards étaient de retour quelques jours après. Alors Fernand vaporise lui-même un produit, sans grande efficacité tant le nid est important…
D’autres habitants signalent des punaises de lit, qui provoquent boutons et démangeaisons ; CUS Habitat se déplace, mais facture 70 euros pour l’intervention, selon une travailleuse sociale.
Des parties communes peu entretenues
Les parties communes de l’immeuble sont à peine mieux entretenues : la porte d’entrée reste ouverte en permanence. Le système de badges qui doit permettre un filtrage des entrées n’a fonctionné que quelques mois… alors n’importe qui peut rentrer dans l’immeuble.
Des immondices et des déchets divers recouvrent à certains étages les paliers de la cage d’escalier… Parfois les habitants retrouvent des seringues usagées.
Les deux ascenseurs de l’immeuble sont « souvent en panne » d’après des habitants, compliquant la vie des personnes les moins mobiles. Comme Fernand, asthmatique, qui ne peut monter à pied les neuf étages qui mènent à son appartement : il est cloîtré chez lui quand l’ascenseur ne fonctionne pas.
Des habitants à bout de nerfs… face à l’inaction de CUS Habitat
Les résidents de cet immeuble vétuste ont bien fait remonter tous ces problèmes auprès de CUS Habitat. Thierry, le compagnon de Caroline, a fait part au bailleur social des problèmes de moisissures dans son logement – certificats médicaux de ses enfants à l’appui. Pas de réponse de CUS Habitat, qui a refusé également de répondre à nos questions.
Comme explication à l’inaction de CUS Habitat, certains habitants évoquent le fameux Programme de rénovation urbaine, promis au quartier de l’Elsau en 2015. Mais aucune avancée concrète n’a été observée depuis : sans précision sur le budget alloué par la Ville à ce PRU dans le cas de l’Elsau, CUS Habitat préférerait ne plus investir davantage dans la rénovation des bâtiments appelés à être détruits ou réhabilités.
Alors Nicole et Fernand ont fait des demandes pour déménager, si possible dans un autre quartier de Strasbourg. Mais ils ne sont « pas prioritaires » ; alors en attendant, ils vivent là, entre les moisissures et les cafards, en espérant que la toux de leurs enfants se calme…
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