Ils ont entre 6 et 23 ans et sont tous scolarisés dans l’Eurométropole. Ils sont à l’école maternelle de la Musau, au collège Louis Pasteur, au lycée Couffignal ou encore à l’Université de Strasbourg. Neuf jeunes scolarisés à Strasbourg, qui se retrouvent dans une situation extrêmement difficile pour la poursuite de leurs études. Ce mercredi 11 janvier, leurs parents, avec lesquels ils sont logés dans un hébergement d’urgence à Geispolsheim, viennent de recevoir une obligation de quitter le territoire français (OQTF).
L’OQTF, couplée d’une notification préfectorale, les informe qu’ils doivent quitter l’hôtel où ils sont logés pour se rendre au centre « d’aide pour le retour » situé à Bouxwiller par leurs propres moyens. Ils y seront assignés à résidence, avec 48 heures pour faire appel de cette décision. Il est stipulé qu’une fois là-bas, ils devront se rendre à la gendarmerie de la commune deux fois par semaine, les lundis et jeudis, pour s’assurer que la mesure d’assignation est respectée.
« Cette liste n’est que la partie visible de l’iceberg »
Jusqu’ici, ces familles étaient logées dans un hôtel géré par l’association Coallia, missionnée pour les aider dans leur démarche de retour vers leur pays d’origine ou de régularisation. Un lieu de transition entre les hébergements d’urgence du 115 et les centres de rétention administrative, ouvert au mois de mars 2022. Sabine Carriou, présidente de l’association Les Petites roues, en contact avec une quinzaine de familles de l’hôtel, s’inquiète de situations d’insécurité dans ce foyer :
« La police intervient chaque semaine. Il n’y a aucun accompagnement social avéré. Il n’y a même pas d’éducateur spécialisé. Il semble que l’accès aux machines à laver ou aux cuisines de l’hôtel est parfois interdit à certains résidents, ce qui fait régner un climat d’hostilité. »
Elle estime à 115 le nombre de personnes qui y résident. Dont plus de 25 enfants. De son côté, Gabriel Cardoen, militant pour les droits des réfugiés, recense 26 élèves scolarisés à Strasbourg dans ce centre de Geispolsheim. « Cette liste n’est pas complète et ne représente probablement que la partie visible de l’iceberg », explique-t-il.
Quatre familles concernées
Au moins quatre familles avec neuf enfants devront suivre leurs parents à Bouxwiller. Par téléphone, une mère concernée par l’expulsion raconte avoir deux garçons, l’un au collège et l’autre au lycée. Son fils de 16 ans raconte :
« Nous avons été placés à l’hôtel de Geispolsheim fin août. Le 2 novembre, l’association gestionnaire a commencé à nous menacer pour qu’on parte. Elle nous a interdit l’accès aux machines à laver par exemple pour nous pousser à bout. Le 1er janvier, nous n’étions pas à la maison. Quand nous sommes rentrés, nous n’avions plus d’accès à nos chambres. On nous a dit que nous ne pourrions récupérer nos affaires que lorsque nous aurions trouvé un autre logement. »
Depuis, ils ont réussi à pénétrer dans leur chambre en passant par une fenêtre et n’osent plus la quitter. Ils n’ont pas été à l’école depuis la rentrée, de peur de ne plus pouvoir rentrer dans l’hôtel.
« Pourquoi sommes-nous traités comme des criminels ? »
Pour Elen (prénom modifié), l’histoire est similaire. Elle est venue d’Arménie il y a six ans avec ses deux enfants scolarisés dans l’Eurométropole, l’un au collège, l’aînée à l’université. En sanglot, elle indique que la gendarmerie est venue mercredi 11 janvier pour faire signer les notifications préfectorales d’assignation à résidence :
« Mes enfants travaillent bien à l’école. Ils ont des bonnes notes, ils restent sages. Pourquoi sommes-nous traités comme des criminels, à égalité avec ceux qui blessent, tuent, alors que nous ne posons de problèmes à personne ? »
Exilés loin de tout
C’est la première fois que Sabine Carriou constate l’application de telles mesures. Les procédures de renvoi avec assignations à résidence qu’elle a connues auparavant ne concernaient que des hommes seuls.
Les expulsions de l’hôtel ne l’étonnent pas cependant, l’hébergement d’urgence étant transitoire jusqu’à un départ dans les centres « d’aide pour le retour » :
« Il est probable que d’autres familles soient encore visées par ce même type de procédure dans les prochaines semaines, ou prochains mois. »
Pour tous les enfants et les jeunes scolarisés à Strasbourg, l’installation à Bouxwiller risque d’être un calvaire. La ville est située entre Saverne et Haguenau, à plus d’une heure de bus et de train de Strasbourg. Pour les étudiants, il faudra disposer des moyens de se rendre en cours puisque le trajet coûte entre 10 et 13 euros pour un adulte. Pour les plus jeunes, sans la possibilité de se faire accompagner par le parent assigné à résidence, il leur sera impossible d’aller à l’école ou au collège.
Gabriel Cardoen essaye de mobiliser les syndicats de l’Éducation nationale et les associations de parents d’élèves. Il leur a transféré le 10 janvier la liste de tous les élèves qui partagent la même détresse :
« Avec ces quatre familles, cela devient urgent d’agir. Mais nous allons aussi nous mobiliser pour tous ceux qui sont encore à l’hôtel pour le moment. Les élèves et les étudiants n’arrivent pas à se projeter, et ne peuvent continuer leur cursus d’études. Il y a tous les jours des bagarres dans cet hôtel, parfois à l’arme blanche… »
Une première réunion a eu lieu mardi 12 décembre pour mobiliser la communauté éducative. La préfecture du Bas-Rhin, contactée sur les raisons de ces assignations et sur les conditions de vie à l’hôtel de Geispolsheim, n’a pas répondu à nos sollicitations.
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