Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) le mettait déjà en avant en 2014 dans son rapport à l’intention des décideurs (p699) : peindre les toits en blanc participe efficacement à la réduction des températures urbaines. Cette couleur permet de réfléchir la lumière plutôt que de l’absorber. La ville de New-York incite les entreprises de son territoire à peindre leurs toits en blanc depuis 2009.
À Strasbourg, les toitures blanches se font encore rares en 2023. Le supermarché E.Leclerc de Geispolsheim fait figure de précurseur. Avec l’envolée du prix de l’énergie et les pics de canicule de l’été 2022, la facture d’électricité du magasin était passée de 450 000€ en 2021 à 800 000€ en 2022, en partie à cause de la climatisation. Fin juin 2023, le supermarché a donc décidé de recouvrir l’entièreté de sa toiture – d’une surface de 12 000 m² – d’une peinture réflective blanche.
Économies « immédiates »
« Nous sommes loin d’avoir inventé l’eau chaude », reconnaît Éric Lorentz, directeur général de la société qui exploite le magasin. Il se réjouit d’un « effet immédiat » :
« Les climatiseurs n’ont quasiment pas été activés. Quant à la production de froid du magasin, on constate un retour de suite sur investissement avec des machines qui n’ont pas encore tourné, même lors des chaudes journées de juillet. »
Dans la plupart des supermarchés, ces installations aspirent l’air directement par la toiture et tournent à plein régime quand la température augmente. Éric Lorentz développe :
« En plein été, la température captée sur notre toit, comme sur celle de tous les supermarchés, peut rapidement dépasser les 70°C. Avec ce revêtement réflectif, on gagne au moins 30°C et à l’intérieur du magasin, on perd facilement 6°C. »
Les toitures bitumineuses réchauffent les villes
En 2018, l’Agence internationale de l’énergie alertait sur les systèmes d’air conditionné qui verraient leur demande d’énergie tripler d’ici 2050. Aujourd’hui, ils représentent déjà 10% de la consommation totale de l’énergie à travers le monde.
La majorité des toitures en France (70%) sont dotées d’une membrane bitumineuse qui absorbe les rayonnements infra-rouges (invisibles à l’œil nu mais directement associés à la chaleur). « Repeindre en blanc permet de couper le flux thermique à sa source », résume Julien-Martin Cocher, le directeur général adjoint de Cool-roof France, une entreprise qui propose cette méthode depuis 2015.
Le dernier rapport du GIEC destiné aux dirigeants classe les toits noirs – à base de matériaux qui « absorbent et conservent la chaleur » avant de « la réémettre le soir » – comme l’une des principales causes du réchauffement urbain.
50 000 m² de toiture repeints en Alsace
Pour Julien-Martin Cocher, la peinture blanche reste un « produit de niche », bien qu’il constate une demande exponentielle : chaque année, l’entreprise multiplie par deux le total des surfaces recouvertes. En Alsace, 50 000 m² de toiture ont été repeints, soit un dixième des chantiers effectués par Cool-Roof. Il compte déjà 500 peintres applicateurs agrées, 200 de plus qu’en 2022, et il reçoit, chaque semaine depuis janvier, une centaine de demandes d’expertise de la part d’entreprises.
La fiche Certificat d’économies d’énergies (CEE), dispositif mis en place depuis juillet 2021 par le Ministère de la transition écologique, vise à allouer une aide financière – en fonction des gains énergétiques que les travaux permettront – aux magasins et galeries marchandes, très consommatrices de climatisation, qui souhaitent peindre leur toit en blanc.
Une peinture réflective qui « prolonge la vie » de certaines toitures
Julien-Martin Cocher explique que, comme la peinture réflective évite une surchauffe de la toiture, « elle réduit les phénomènes de dilatation ou de durcissement et prolonge ainsi la vie de la membrane bitumineuse ».
Le E. Leclerc de Quimper est la première enseigne en France à s’être intéressée au produit proposé par la société Cool-roof. Le responsable maintenance du supermarché revient sur ce chantier, réalisé en 2015 :
« À ce moment-là, nous devions faire des gros travaux pour changer la toiture. Mais grâce à la pose de cette peinture blanche, nous n’avons finalement même pas eu à le faire. Depuis, on observe une baisse des interventions de maintenance de l’ordre de 70%. »
Un produit qui se heurte au monde du bâtiment
Selon le directeur de Cool-roof, le monde du bâtiment en France « ne voit pas d’un bon œil » cette technique et se pose en obstacle :
« Puisque notre peinture permet une diminution des opérations de maintenance auxquelles s’adonnent les industriels chaque année, elle s’en prend au modèle économique de l’étanchéité qui est pérennisé depuis des décennies et qui n’a aucun intérêt à ce que ça bouge. »
Dans un article des DNA publié le 31 juillet, la Fédération française du bâtiment assurait par exemple que « les conditions ne sont pas encore remplies pour attester de la fiabilité du produit ». Contactée par Rue89 Strasbourg, Edwige Parisel, déléguée générale de la Chambre syndicale française de l’étanchéité (CSFE), affirme que la peinture réflective « abîme la membrane bitumineuse et s’écaille au fil du temps ». Elle ne donne en revanche aucun exemple précis d’un tel événement.
Une « vidéo pédagogique » contre la peinture réflexctive
La CSFE est allée jusqu’à diffuser une « vidéo pédagogique » sur ses réseaux le 26 juillet, mettant en avant les différents risques que pourrait comporter la peinture réflective, sans citer d’études ou de statistiques précises. Edwige Parisel, déléguée générale de la Chambre, certifie à Rue89 Strasbourg que la technique du toit blanc ne fonctionne que dans le sud de la France. Dans le nord en revanche, elle engendrerait, selon la déléguée, « une augmentation de l’énergie » due à une plus grande consommation de chauffage et serait ainsi « contre-productive », toujours sans étude à l’appui.
Étienne Marx, ingénieur bâtiment pour l’Agence pour la transition écologique (l’Ademe), lui oppose :
« Les résultats de l’évaluation – réalisée avant que le ministère de la Transition écologique lui apporte la certification économie d’énergie – ciblent en priorité les hypermarchés et les surfaces à plafond bas. Forcément, puisque la fiche CEE couvre l’ensemble du territoire, les gains sont aussi présents dans le nord du pays. »
Contacté à ce propos, le E.Leclerc de Quimper (donc dans la partie nord de la France), qui a été le premier hypermarché en 2015 à utiliser ce revêtement réflectif, n’a constaté en 8 ans « aucune incidence sur le chauffage ». Arnaud Florent, responsable de la transition écologique pour Électro dépôt qui a eu recours en mai à la méthode Cool-Roof dans un entrepôt basé dans les Hauts-de-France, affirme que la consommation de chauffage ne varie pas en fonction d’une journée ensoleillée ou d’une journée grise.
Même son de cloche du côté de Noël Jean-Fiacre, responsable maintenance du groupe pharmaceutique B. Braun qui a repeint deux toitures de ses laboratoires dans le secteur de Nancy :
« J’y avais pensé aussi, mais ça ne change rien en réalité. Le chauffage vient du sol et puis dans tous les cas, c’est la température extérieure qui va beaucoup jouer. »
Toiture végétalisée ou blanche ?
Gaëlle Vallée, déléguée technique au sein de la CSFE, s’inquiète de son côté d’impacts négatifs de la peinture blanche sur l’étanchéité de la membrane en-dessous : « On ne veut pas d’un toit qui fuite ou qui s’effondre. » Elle admet toutefois qu’aucun adhérent de la Chambre syndicale n’a eu pour le moment de problème de sinistre.
À Strasbourg, le Plan local d’urbanisme intercommunal (PLUI) oblige les promoteurs immobiliers à respecter « un certain quota de végétalisation » indique Françoise Schaetzel, vice-présidente en charge de l’urbanisme opérationnel à l’Eurométropole. Mais rien sur les toits blancs.
Le dernier rapport du GIEC indique pourtant (p992) un potentiel d’économie d’énergie presque deux fois plus important pour les « cool-roofs » (28 %) que pour les toits végétalisés (16 %). « La méthode est tout à fait intéressante et devrait être plus utilisée », reconnaît la vice-présidente. L’Agence américaine de la protection de l’environnement met de plus en évidence que cette technique est bien plus économique à mettre en place que les toits végétalisés.
Françoise Schaetzel précise que « lorsque l’Eurométropole choisit un urbaniste ou un architecte, elle demande que le bâtiment soit le plus clair possible ». Elle laisse miroiter que « le PLUI pourrait devenir plus prescriptif pour les toits blancs » comme il l’est pour les toitures végétalisées, lors de sa prochaine révision. Mais cette rectification se fait environ tous les 10 ans et la dernière date de 2019.
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