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Derrière le compte « Bionic Body », Edgard aux pieds d’argent se reconstruit par la muscu

Muscles et titane, Edgard John-Augustin est « Bionic Body », un athlète de haut niveau en bodybuilding et star des réseaux sociaux. Amputé des deux jambes à 4 ans, ce Strasbourgeois ne voit pas ses prothèses comme un handicap, mais comme sa « particularité ».

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Edgard est Bionic Body, bodybuildeur de haut niveau. (Photo Emeline Burckel / Rue89 Strasbourg / cc)

10h35. Un titan de 110 kilos de muscles fait son entrée dans la salle de sport de la plaine des Bouchers, près du stade de la Meinau. Edgard John-Augustin, 34 ans, est « Bionic Body », un athlète de haut niveau. Ici, tout le monde le connait ou presque. Emma Bald, coach fitness et ostéopathe d’Edgard le décrit comme quelqu’un d’apprécié, de « discret, qui ne se la raconte pas du tout ». 

Pourtant, Bionic Body est une star sur les réseaux sociaux. Son débardeur noir laisse apparaître des pectoraux saillants et des bras impressionnants. Au premier regard, sa taille, 1,94 mètre, et sa carrure feraient oublier un détail : ses prothèses tibiales.

Edgard perd ses jambes à l’âge de 4 ans, dans un accident de la route en Guyane :

« Je dormais dans la voiture. Je me suis réveillé parce que j’entendais les pleurs de ma mère. Quelque chose me piquait, j’étais allongé sur des herbes. Ils m’ont retiré du véhicule et je ne sentais plus mes jambes. En regardant, j’ai vu qu’il y avait du sang partout. C’est le seul souvenir que j’ai de ce jour là. »

Avec sa mère, l’accident reste tabou. « C’est un sujet que j’évite », admet-il. « Elle se sent coupable même si ce n’était pas sa faute et que je ne lui en veux absolument pas. »

Le bodybuildeur s’entraine 6 jours par semaine. (Photo EB / Rue89 Strasbourg / cc)
Les séances de musculation durent d’une à deux heures. (Photo EB / Rue89 Strasbourg / cc)
L’athlète de haut niveau consacre une séance par groupe de muscles. (Photo EB / Rue89 Strasbourg / cc)

De l’étudiant rondouillard au musculeux athlète

Le Strasbourgeois d’adoption se rend à la salle de sport six fois par semaines pendant une à deux heures. Chaque jour, il travaille un groupe de muscles différent. « Une zone du corps par jour, ça tient parfaitement dans le planning de la semaine », rigole l’athlète. Aujourd’hui, focus sur les bras. Edgard s’avance vers la première machine, saluant au passage les habitués qui s’entraînent en même temps.

Bionic Body commence la musculation en 2008, à 23 ans. Il vit alors à Paris et débute des études en BTS commerce. À l’époque, Edgard est « rondouillard » et a du mal à accepter son surpoids :

« Je suis allé dans une salle de sport pour la première fois la veille de mon entrée en BTS, en 2008. J’ai fais une séance d’essai et je me suis inscrit tout de suite. Je n’ai plus jamais lâché. Je voulais me transformer, devenir un nouveau moi. »

Au départ, Edgard cache ses jambes. Il fuit les vestiaires, préférant se changer dans les toilettes. Il porte de longs joggings et évite certains exercices :

« J’acceptais d’être le cliché du mec à la salle, qui ne travaille que le haut du corps. Je faisais comme si ça ne me touchait pas. Je ne travaillais pas les cuisses à l’époque parce que j’avais peur que les prothèses pètent, tout simplement. »

Edgard s’inscrit dans une salle de sport en 2008 à l’âge de 23 ans. (Photo EB / Rue89 Strasbourg / cc)
Au départ, il préfère cacher ses jambes. (Photo EB / Rue89 Strasbourg / cc)
L’athlète ne travaillait que le haut du corps lorsqu’il a commencé la musculation, de peur que ses prothèses cassent. (Photo EB / Rue89 Strasbourg / cc)

Edgard devient Bionic Body

Edgard est alors commercial à Paris. Un jour, une collègue lui parle de son ami photographe qui cherche des modèles athlétiques et atypiques. Le bodybuildeur décide de le contacter.

« Il m’a dit « viens sans te cacher, sans jogging, sans rien ». Il a posté les photos du shooting sur Facebook en me mentionnant. J’ai vu mon application Facebook s’affoler, je ne comprenais pas. Il ne m’avait rien dit ! Je remarque les notifications, je vais voir ce qui se passe et là je vois les photos du shoot. »

Les réactions positives pleuvent. Beaucoup de ses amis découvrent qu’Edgard porte des prothèses. C’est à partir de ce shooting photo qu’il décide de créer ses comptes Facebook et Instagram. Bionic Body est né.

« Je ne sais pas si c’est une coïncidence. Je suis très croyant et je pense que tout est écrit. J’ai très bien fait de le contacter. C’est grâce à lui. D’une sorte de faiblesse, c’est devenu une force. » 

C’est grâce aux réseaux sociaux qu’Edgard rencontre Morgane, sa femme et la mère de son second fils, âgé de 2 ans.  

La vie de bodybuildeur professionnel

Depuis 5 ans, Edgard foule la scène des salons de bodybuilding qui rassemblent des passionnés de la discipline, et enchaine les compétitions. Les athlètes, divisés en catégories de taille et de poids, enchainent les poses en maillot de bain sur une scène, devant un jury de professionnels. Les poses sont imposées, ce qui permet de comparer les concurrents. Sont jugés la masse musculaire, la symétrie, le volume, si le corps est plus ou moins « sec »… des années de travail sont examinées à la loupe.

Bionic Body est devenu professionnel en 2018, grâce à ses sponsors, laissant derrière lui sa vie de commercial. L’athlète compte de nombreux titres dont celui de champion d’Europe en catégorie handisport en 2015. En juin 2019, à New York et Toronto, le sportif concourait parmi les valides. À chaque salon ou compétition, Bionic Body ne passe pas inaperçu, comme au Arnold Classic dans l’Ohio, le jour où Arnold Schwarzenegger le félicite.

« A ma première compétition, ce n’était pas que la fierté d’avoir gagné. Après un régime et une préparation très très dure, avec des moments de doutes, des moments où on a envie de tout lâcher, quand tu arrives sur scène, c’est un sentiment indescriptible. Tu te dis, ça y est, j’ai réussi. Et c’est ça qui nous fait accrocher. »

Edgard est bodybuildeur professionnel depuis 2018. (Photo EB / Rue89 Strasbourg / cc)
Bionic Body fait de la compétition de bodybuilding depuis 5 ans. (Photo EB / Rue89 Strasbourg / cc)
En juin 2019, Edgard concourait à New York et Toronto parmi les valides. (Photo EB / Rue89 Strasbourg / cc)

« Juste un gars sur les réseaux« 

Au moment de changer de machine, Edgard brandit son téléphone et s’approche d’une connaissance. Il s’excuse avant de lui demander de le filmer. Le cadre est approuvé, la prise de vue est validée et quelques minutes plus tard, la vidéo est en ligne. Une poignée de main et un franc sourire en remerciement et l’entraînement peut continuer. 

« Je fais toujours attention, je n’insiste jamais. Je veux bien faire comprendre que je sais que c’est pas très cool, parce une quand tu vas à la salle, t’es pas là pour filmer quelqu’un. Tu as ton entrainement, ton timing, t’as pas que ça à faire. Mais c’est vrai qu’il faut alimenter les réseaux sinon les gens s’ennuient ».

Edgard est suivi par plus de 300 000 personnes sur Instagram et par près de 50 000 personnes sur Facebook. Mais lorsqu’il entend le mot « influenceur », il tique et s’en amuse : « Je ne suis pas un influenceur, je suis juste un gars sur les réseaux ».

L’idée de communauté l’embarrasse également. « C’est vrai que j’ai la chance d’avoir une communauté sur les réseaux sociaux mais je n’aime pas ce mot, je préfère parler de soutiens », souligne Edgard. Parce que Bionic Body, c’est un compte familial. Pas de manager ou de photographe attitré qui le suit partout. 

« Avec ma femme, on a instauré des rôles. Elle check mes mails et m’aide aussi sur les posts, avec les tournures de phrase. Et quand je suis en training, je demande souvent aux mêmes personnes, des gars qui me connaissent, de me prendre en vidéo. Pareil pour les photos : si je ne fais pas appel à un photographe, j’ai mon appareil avec moi et je demande aux gens ». 

Bionic Body est suivi par 300 000 personnes sur Instagram. (Photo EB / Rue89 Strasbourg / cc)
Il se fait filmer pendant ses entrainements, pour alimenter ses réseaux sociaux. (Photo EB / Rue89 Strasbourg / cc)
Le terme d’influenceur le fait sourire : pour lui, il est « juste un gars sur les réseaux ». (Photo EB / Rue89 Strasbourg / cc)

Edgard s’entraîne d’abord pour lui-même. Il ne souhaite pas que son plus grand fils de 9 ans le suive dans la voie du bodybuilding, même s’ »il fera ce qu’il voudra, évidemment, mais je ne veux pas qu’il pense qu’il faut être musclé, pour être bien dans sa vie ». Mais s’il parvient à motiver d’autres personnes, c’est « la cerise sur le gâteau ». L’athlète reçoit quotidiennement des messages de soutien, des témoignages de fans.

« Une fois, deux jeunes qui ont fait deux heures de routes jusqu’ici sont venu faire une séance d’essai en espérant me croiser et on a pu faire connaissance, c’était génial. Dans un salon à Toulouse, j’ai rencontré une jeune fille. Elle s’est mise à pleurer quand elle m’a vue. On a discuté, elle m’a dit qu’elle avait beaucoup d’admiration pour moi. Elle m’a vraiment touché. Tu te rends pas compte de l’effet, de l’impact que tu peux avoir sur les gens en faisant ce que tu aimes. C’est fou. »

Aujourd’hui, Edgard voit ses prothèses comme « une force, un tremplin ». Son public est large, il s’étend au delà du monde du fitness. « Je pense que les gens viennent à cause du message que je véhicule. Ce qui compte c’est que je m’épanouisse, que je fasse ce que j’aime. Et si en plus je peux donner de la motivation, de la force aux gens, tant mieux. Mais je ne suis pas un porte-parole, on a tous nos problèmes ». 

Le visage d’Edgard se crispe, les muscles perlés de sueur se contractent, et l’athlète soulève la barre. La somme des poids atteint 110 kilos. La série terminée, il se redresse, reprend son souffle. Son rituel quotidien est terminé.

Edgard vient de terminer ses dernières compétitions et entame une phase de repos, où il privilégiera plutôt les événements de sponsors et les démonstrations. « Ça fait 5 ans que j’enchaine sans m’arrêter, et même si c’est un très beau sport, il y a d’autres priorités comme ma famille ». Le retour sur scène de Bionic Body se fera dans un peu plus d’un an. « Rendez-vous en 2021 ! ».


Des Strasbourgeoises et des Strasbourgeois mieux connus par leurs exploits ou leurs réalisations en dehors de l’Alsace que par leurs voisins. Et cette série d’articles est là pour changer ça !

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