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Dans les écoles de Strasbourg, le manque d’enseignants spécialisés provoque des décrochages et des démissions

Les professeurs dédiés aux élèves qui ont de lourdes difficultés d’apprentissage ou de comportement sont de moins en moins nombreux. Résultat : des situations impossibles à gérer s’imposent aux enseignants et des enfants décrochent à Strasbourg.

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« Au quotidien, je gère des événements pour lesquels je ne suis pas formée. Les premières victimes sont les enfants », confesse Nadine (prénom modifié). Aujourd’hui institutrice dans une école primaire d’un quartier prioritaire de Strasbourg, elle enseigne depuis 34 ans :

« Je trouve que mon métier n’a jamais été aussi dur. Certains enfants sont violents, refusent de travailler et empêchent leurs camarades. Parfois, il y en a plusieurs dans une même classe. D’autres ont des difficultés d’apprentissage très importantes. Ces profils atypiques ont besoin d’un accompagnement spécifique. »

Pour illustrer son propos, elle évoque un enfant de sa classe de CE2 qui perturbe quotidiennement les autres élèves. « Il tape avec ses ciseaux sur la table pour faire du bruit. Parfois, il pousse des cris. Il décline presque toutes les activités que je lui propose. Je suis démunie », explique t-elle. Elle rapporte aussi le cas de trois enfants de sa classe qui ne parviennent pas à lire et présentent de grandes difficultés en général. « Quand ils font des exercices, ils restent bloqués au tout début. Moi je ne peux pas passer la journée à les accompagner, il y a 26 autres élèves », indique t-elle.

Pendant son quinquennat, Nicolas Sarkozy a supprimé 5 000 postes d’enseignants spécialisés. Photo : JFG / Rue89 Strasbourg

Le Rased, un dispositif d’accompagnement spécialisé

Avec une classe à gérer, impossible de dédier suffisamment de temps à tous les écoliers qui présentent des problématiques particulières. C’est là qu’interviennent les enseignants du Réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased) : trois catégories de professionnels spécialisés dans l’accompagnement des enfants. Ils opèrent dans plusieurs écoles, selon les besoins repérés.

Les maîtres E se concentrent sur les lourdes difficultés d’ordre pédagogique. Les maîtres G interviennent auprès des enfants qui ne s’investissent pas dans les activités scolaires et présentent des troubles comportementaux. Enfin, les psychologues scolaires organisent un suivi des enfants et des familles qui le nécessitent. Ils peuvent être sollicités par les enseignants, les parents ou les élèves. Nadine se souvient :

« Il y a 15 ans, presque tous les jours, un maître E intervenait avec moi dans la classe, ou prenait quelques élèves avec lui. Son poste a été supprimé. Aujourd’hui, mes élèves voient rarement le maître E : une fois par semaine, parfois moins. J’ai demandé l’intervention d’un maître G pour l’enfant qui refuse de s’investir et qui dérange les autres mais personne n’est venu pour l’instant. Comme ils sont de moins en moins nombreux, ils mettent du temps à intervenir et s’ils suivent un élève, ils le voient moins régulièrement. »

Un tiers des postes d’enseignants spécialisés supprimé

Le Rased a été créé en 1990. Des études ont prouvé son utilité, en particulier pour les enfants dont l’univers social, familial et culturel est très éloigné du monde de l’école. Mais à partir de 2012, le gouvernement de Nicolas Sarkozy a supprimé un tiers de ses effectifs pendant son mandat, soit environ 5 000 postes d’enseignants spécialisés. Et depuis, le nombre de maîtres E et G continue de diminuer. Agathe Konieczka est co-secrétaire au Snuipp-FSU du Bas-Rhin, syndicat majoritaire parmi les enseignants du primaire. Selon elle, le Rased est en déclin continu :

« Plusieurs réformes ont dégradé les conditions d’accès à l’enseignement spécialisé. Avant, les professeurs des écoles pouvaient essayer d’exercer en tant que maître E ou G, avant de commencer la formation, pour voir si ça leur plaisait. Aujourd’hui, ce n’est plus possible. Il faut directement postuler à la formation et à un poste d’enseignant spécialisé en même temps. S’ils font ce choix, ils perdent la fonction qu’ils occupent et se lancent dans l’inconnu. D’après les retours que nous avons, ce risque rebute beaucoup de personnes. »

Avant une réforme en 2017, chaque discipline (maître E, G et psychologue scolaire) avait sa formation particulière. Aujourd’hui, tous les futurs enseignants spécialisés ont un tronc commun, avec quelques modules spécifiques selon le métier qu’ils choisissent. « La formation est de moins en moins qualitative. Cela témoigne du désinvestissement de l’État concernant le Rased », analyse Agathe Konieczka.

« Je me sens parfois vraiment dépourvue »

Céline (prénom modifié), membre de l’association des maîtres G du Bas-Rhin, exerce depuis 2005. « Nous étions 75 maîtres G dans le Bas-Rhin en 2006. Aujourd’hui, nous ne sommes plus que 27 », observe t-elle. En outre, le nombre de postes vacants augmente d’année en année. Entre 2015 et 2021, on est passé de 9 à 19 fonctions non occupées de maîtres E et G dans le département, selon Agathe Konieczka. Contactée, l’Académie de Strasbourg n’a pas transmis ses données à Rue89 Strasbourg, ni n’a souhaité répondre à nos questions.

Mais sur le terrain, la diminution du nombre d’enseignants est bien perceptible. « Les enfants sont les premières victimes », estime Jade, professeure des écoles dans un quartier strasbourgeois :

« Dans ma classe, en octobre dernier, un jeune garçon est allé jusqu’à ramener un couteau volé à la cantine pour menacer un camarade. Il essaye régulièrement d’empêcher le bon déroulement des cours, en attirant l’attention sur lui. Malgré mes demandes, aucun maître G n’est intervenu auprès de lui pour l’instant. »

Dans la cour de récréation, elle dit intervenir régulièrement sur des scènes de violences, avec des enfants qui frappent les autres. Un témoignage appuyé par le constat d’Agathe Konieczka, qui siège au comité technique académique chargé de répartir les moyens de l’Éducation nationale dans les écoles :

« Les enseignants sont censés être des superhéros, qui gèrent une multitude de situations particulières eux-mêmes, alors qu’ils n’y sont pas formés. Surprise : ça ne marche pas. Beaucoup sont lessivés et nous témoignent aller au travail le matin avec la boule au ventre. Nous constatons, dans le Bas-Rhin et notamment à Strasbourg, de plus en plus de burn-outs et de démissions. C’est sans-précédent. »

Les zones rurales, aussi concernées par le manque de personnel du Rased. Photo : JFG / Rue89 Strasbourg

« Toutes les écoles sont concernées »

D’après Jade, un déficit d’accompagnement peut avoir des conséquences graves sur toute la vie de certains enfants : « Très concrètement, jour après jour, nous constatons que nous ne pouvons rien faire pour des élèves, par manque de moyens », argue t-elle. Salomé (prénom modifié), psychologue scolaire à Strasbourg, abonde :

« Le Rased est indispensable. Il joue un rôle de prévention contre la déscolarisation et la désociabilisation. Malheureusement, certains enfants qui devraient être suivis ne sont pas accompagnés. Moi par exemple, je ne peux pas traiter tous les cas que je détecte, parce que nous ne sommes plus assez. »

« La problématique concerne de nombreux établissements strasbourgeois, et même certaines zones rurales », explique Céline, maître G depuis 2005 :

« Les écoles qui concentrent les cas les plus difficiles sont dans les quartiers prioritaires. Les enseignants spécialisés sont logiquement plus nombreux pour ces zones mais nous ne sommes plus suffisamment nombreux. Et il y a des écoles d’autres quartiers, ou de zones rurales comme la vallée de la Bruche et l’Alsace Bossue, où il y a beaucoup de mixité, et donc de gros écarts entre les profils des enfants. Certains enseignants nécessitent l’aide du Rased et sont complètement dépourvus, car l’Académie octroie très peu postes de maîtres E et G dans ces secteurs. »

Agathe Konieczka confirme : « Dans la quasi-totalité des écoles, des enseignants dénoncent l’impossibilité d’encadrer de manière pertinente tous les enfants. » Elle estime que la création de milliers de postes de maîtres E et G est nécessaire pour les enfants et les professionnels de l’éducation : « Cela fait partie de la solution à la crise sans précédent que connait l’Éducation nationale, comme la diminution du nombre d’élève par classe. Je pense que ce sont des conditions impossibles à contourner pour que l’école soit réellement plus inclusive », conclue t-elle.


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