Il est 9h dans les ateliers de l’école du Théâtre National de Strasbourg (TNS), rue Schertz à Strasbourg et déjà Édith, Simon, Vincent, Germain et Enzo, élèves régisseurs de première année, réfléchissent au fonctionnement d’un rideau polichinelle. Sous l’oeil bienveillant de Bernard Saam qui encadre le module « montage et construction », ils tentent de comprendre comment faire fonctionner ce rideau de théâtre qui s’enroule et se déroule sur lui-même de haut en bas. Le responsable de la formation fait souvent revenir ses élèves vers des techniques traditionnelles :
« En première année, on leur donne les outils pour qu’ils puissent se débrouiller par eux-même par la suite. Quand ils arrivent, le concours en poche, ils ont déjà une certaine connaissance soit en lumière, soit en vidéo, soit en construction, notre rôle c’est de les former à tous ces métiers et faire d’eux des régisseurs complets qui se spécialiseront plus tard. »
Aux ateliers de construction passent les élèves régisseurs, mais aussi les élèves scénographes. Pendant que les première année réfléchissent au meilleur moyen de faire fonctionner leur rideau, trois élèves de troisième année passent par l’atelier récupérer quelques outils pour le spectacle sur lequel ils sont actuellement entrain de travailler, 1993 de Julien Gosselin. Emma, élève de troisième année en scénographie, pense que faire de la scénographie pour le théâtre est un luxe :
« Dans les arts appliqués, on travaille seuls et avec un public pas toujours vraiment présent, dans une exposition le spectateur peut juste traverser le lieu et passer à côté de la démarche artistique. Le luxe que permet le théâtre, c’est d’exposer pendant une durée où on prend le spectateur par tous les sens, vraiment. »
Après presque une heure et demie penchés sur le plan, les élèves déplacent plan et maquette et se rendent dans un grand hangar où est entreposé l’histoire du TNS et de son école, des décennies de décors, des chaises poussiéreuses, des plaques de bois et de métal, des banc fabriqués pour un décor par des élèves passés par l’école il y a plus de 10 ans, un vieux buste de femme, etc.
Au bout du hangar, en dessous d’un grand échafaudage de chantier, les élèves roulent et déroulent un tissu de presque quatre mètres de hauteur sur une perche elle-même longue de plusieurs mètres.
Germain enroule plus vite qu’Enzo
Germain enroule plus vite qu’Enzo, ce qui provoque une légère asymétrie qu’ils tentent de corriger en ré-enroulant le tissu. Même si ce n’est qu’un exercice, tous semblent très soucieux de le faire correctement, comme si le système allait être posé sur scène dans la soirée.
Les gants fixés à la poche arrière du jean et tout en continuant d’enrouler le tissu, les élèves discutent des décors qu’ils ont apprécié récemment. Il est notamment question du décor de Farewell Empire, une pièce montée par leurs aînés de troisième année et présentée au public strasbourgeois dans le cadre de l’Autre Saison, la saison parallèle et gratuite du TNS.
Il est 11h et Lisa rejoint à peine ses camarades, « elle était à son cours de musique » explique Bernard Saam. À l’école du TNS et peu importe la section, tous peuvent suivre des cours pour apprendre ou perfectionner leur pratique d’un instrument. D’ailleurs, les spectacles sont aussi l’occasion pour eux de jouer devant un public.
Il est midi et sur le parvis du TNS, place de la République, à côté de la terrasse pleine à craquer, de petits groupes sont assis sur les escaliers menant à l’entrée du théâtre. Les étudiants de troisième année attendent patiemment, profitant du soleil avant une après-midi sous les seules lumières des projecteurs, le début des répétitions de leur spectacle de fin d’année : 1993, un texte de Aurélien Bellanger mis en scène par Julien Gosselin.
« Tout le monde prend un ordinateurs, tout le monde sur le drive, allez on se dépêche » répète Julien Gosselin au micro. Il est 14h, dans la salle Gignoux et à la demande du metteur en scène, les comédiens se rejoignent sur scène, un ordinateur devant les yeux afin de découvrir le nouveau texte. Après avoir participé à la journée de répétition, l’auteur le re-écrit pendant la nuit, le lendemain les élèves le redécouvrent toujours neuf et doivent vite s’y adapter. Pendant ce temps, Sarah, élève régisseuse, passe et vérifie que les micros de chacun sont bien fixés.
« S’il le faut il n’y aura rien de tout ça dans la version finale »
« C’est vraiment des tentatives, on essaye mais s’il le faut il n’y aura rien de tout ça dans la version finale » explique Julien Gosselin. Tout évolue au fil de la lecture, de l’identité des personnages à l’accent que donnera Hélène au sien.
Sur scène, l’auteur, les douze élèves comédiens, le metteur en scène et les deux élèves de la section mise en scène de première année, ses assistants, écoutent la nouvelle monture du texte, l’essayent et l’amendent. Eddy et Ferdinand, élèves en mise en scène, assis parmis les élèves acteurs, ont pour rôle d’assister et de conseiller Julien Gosselin dans sa mise en scène, un rôle pas toujours facile avoue Ferdinand :
« Par promotion, on est que deux dans cette section, c’est un peu compliqué pour nous parce qu’en première année on observe plus qu’autre chose et quand on arrive en deuxième année on doit diriger des groupes d’acteurs et gérer des projets, il n’y a pas d’entre deux. En première année, on assiste les metteurs en scène qui interviennent dans l’école, on aide aussi ceux de la promotion antérieur dans leurs créations mais on n’a nos propres projets qu’à partir de la seconde année. La vraie question et ce qui est compliqué dans notre section c’est de savoir, de manière plus générale, comment on forme un metteur en scène. »
Moins d’une heure après le début de la lecture, il est temps de passer au jeu. Perchés en haut d’une estrade installée dans le haut de la salle, les élèves régisseurs ne chôment pas. Sarah vérifie le son, demande à tous les comédiens de parler pour qu’elle puisse gérer le volume de chaque micro. Tour à tour, Jori et Valentin descendent sur scène pour filmer pendant que Camille gère la projection de ces images en direct sur l’écran surplombant la scène.
Hugo, lui, pianote sur sa MPC, une boite rythmique programmée, qui lui permet de composer la musique à partir de sons pré-enregistrés. Aujourd’hui, bien que ce ne soit pas son rôle, il s’occupe de toute la partie musicale. Pourtant, la main sur sa MPC et la bouche au micro, le jeune élève en Régie-Création semblerait avoir fait ça toute sa vie.
« Articule plus Yannick, on comprend rien »
Il est 15 heures, dans la salle Gignoux, ou plutôt dans le salon de jeunes européens en pleine fête où il est en fait, approximativement, une heure du matin. Affalé sur le canapé et les cheveux en bataille, le grand Yannick, élève de troisième année dans la section Jeu, joue le bellâtre. Il doit draguer ostensiblement Pauline, crier pour que, bien qu’elle soit collée à lui, elle puisse l’entendre à travers la musique assourdissante, tout ça dans un anglais à l’accent parfois approximatif et avec un texte qui venait tout juste d’être partiellement modifié. A plusieurs reprises le metteur en scène le reprend alors, « articule plus Yannick, on comprend rien, n’avale pas les consonnes. »
Cette pièce de fin d’année, comme le clou du spectacle, met en pratique les techniques théâtrales assimilées pendant tout le cursus. Pour les élèves comédiens, souvent mis sur le devant de la scène, la seconde et la dernière année sont particulièrement rythmées comme l’expliquent Marianne et Quentin :
« En section Jeu on est douze élèves, six filles et six garçons. Notre année est rythmée par des stages avec des intervenants sur des périodes de cinq semaines à peu près. L’intervenant peut être un metteur en scène, un comédien, on a même eu un stage de danse et c’est l’artiste intervenant qui choisit ce qu’il fait avec nous et les horaires. Finalement, c’est toujours assez professionnel ce qu’on fait, on produit beaucoup et on n’a pas beaucoup de cours de techniques théâtrales avec du placement de voix et de la respiration, c’est dommage. »
« En fin de cursus, on monte nos propres spectacles qu’on montre au public dans le cadre de l’Autre Saison. Cependant, ce dont l’École n’a pas toujours conscience, c’est que nous on se sent vraiment au travail quand on monte un spectacle, on prend beaucoup en compte le spectateur. On ne fait pas un rendu d’atelier, on fait un vrai spectacle, on joue vraiment. Ça ne laisse pas toujours assez d’espace pour se louper, pour tenter des choses comme dans un laboratoire. »
« Costume historique », un thème imposé
Au même moment, au premier étage, au bout du couloir à droite, plusieurs petites mains s’affairent et vont valser les aiguilles. Dans un mois sera organisé un défilé interne à l’école sur le thème de la première ascension de l’Everest avec la responsable de l’atelier couture, Élisabeth Kinderstuth et le directeur de la section, Pierre Albert. En première année, section scénographie-costume, Clémence assemble un pantalon pour ce défilé dans le cadre de son module « costume historique » :
« C’est un des seuls travaux imposés, le reste du temps on essaye d’acquérir le bagage le plus solide possible pour la deuxième et la troisième année avec différents intervenants . Dans notre travail, on porte une attention toute particulière à réaliser des pièces vraiment faites pour le théâtre, ce ne sont pas de simples habits et on doit toujours garder en tête que des comédiens les porteront sur scène. D’ailleurs, déjà dès la première année, on essaye nos costumes sur les élèves comédiens.”
« Improvisation désir » dans les étages
À 16 heures, deux étages plus haut, dans une des salles de travail du théâtre, la piste sonore du film Le cuisinier, le voleur, sa femme et son amant joue à fond. Le petit groupe de 5 élèves de la première année de la section Jeu s’essayent tous à « l’improvisation désir », un exercice durant lequel deux élèves se dépouillent puis se regardent intensément dans les yeux le temps qu’il faudra pour créer un lien fort, un désir, un bouillonnement jusqu’à l’insupportable et alors ils auront le droit à une étreinte.
Assise par terre, Véronique Nordey, comédienne intervenante à l’école, regarde avec attention les réactions de Romain et Yannis. D’abord, les deux jeunes hommes cherchent la bonne distance, respirent profondément entre deux roulades pour se détendre, puis la musique commence, ils lèvent la tête et se regardent. Ils se regardent vraiment, et au bout de quelques minutes, les mains se tendent, les muscles se crispent. Yannis respire avec difficulté et Romain tente de retenir ses larmes, les mouvements de la symphonie de Michael Nyman amplifient la puissance de l’exercice et c’est finalement au bout de la onzième minute que, n’en pouvant plus, les deux jeunes hommes se jettent dans les bras l’un de l’autre.
« Si on n’a pas un plaisir intense à construire tout ça, ça devient sec »
Après une étreinte de quelques minutes, ils s’assoient en face du reste du groupe et livrent leurs ressentis. Pour Romain, cet exercice ressemblait à une histoire d’amour en accéléré avec toutes ses phases, « on se rencontre, on appréhende l’autre, on s’ouvre, on s’aime, puis vient la violence et la fin. » Yannis, encore secoué, explique comment il ré-utilisera ce sentiment là dans son jeu :
« Quand je devrai désirer sur scène, je me remémorerai ce moment particulièrement intense. C’est beaucoup plus facile de venir piocher dans des sentiments que tu as déjà vécu. »
Au bout du couloir, l’autre groupe des élèves comédiens de première année travaillent sur un texte de Marie NDiaye avec Christian Colin.
Sur le côté, proche de la régie, Romain perché sur ses hauts talons grignote quelque gâteaux en observant Mélody s’époumoner sur scène dans sa longue robe fleurie. Elle joue le rôle d’une mère qui meurt de soif et quémande de l’argent à sa belle-fille. Christian Colin la reprend plusieurs fois en lui demandant de ne pas devenir « trop explicative » :
« Joue vraiment, parle toi à toi et pas à elle, il faut que tu sentes que c’est plus organique […]. Si on n’a pas un plaisir intense à construire tout ça, ça devient sec. »
« On sait bien qu’on est dans une bulle »
Sa belle fille, incarnée par Daphné, candide et bien intentionnée, pose des gobelets vides et des livres sur la table. La jeune comédienne doit, non seulement bien interpréter son texte, mais c’est aussi pour elle un vrai exercice d’équilibriste étant donné que les livres qu’elle dispose sur la table sont sur sa tête.
Des cours à demi-groupes avec des intervenants de prestige, les élèves du TNS évoluent dans une bulle protectrice et en ont tout à fait conscience comme le soulève Ferdinand, élève metteur en scène-dramaturge de première année :
« Dans les conservatoires il y a vraiment l’aspect scolaire où il n’y a que des étudiants et des intervenants qui passent. Être élève au TNS, c’est différent, il y a toujours un spectacle en production, la plupart de nos intervenants produisent en même temps, il y a toujours des comédiens dans les couloirs, des régisseurs ou du public, on est baignés dans l’univers d’un théâtre qui vit. Après, on n’oublie pas qu’on est dans un des plus grands théâtres de France, c’est à dire que la probabilité que moi, en tant que metteur en scène, je présente plus tard une de mes productions ici elle est quasi nulle et j’en suis conscient. Quand on est dans l’école, on est dans une bulle super protégée et on jouit de moyens extraordinaires parce qu’on est dans un théâtre national mais la réalité du monde du travail elle n’a rien avoir et on le sait, on s’y prépare. »
La journée se finira à 19h pour certains, à 22h pour d’autres, à l’école du TNS les horaires importent peu, on a fini quand on est arrivé au bout.
Quentin, élève de troisième année en Jeu, conclut en expliquant que ce qui importe à l’école, c’est avant tout la cohésion des élèves au sein des promotions :
« Une fois j’ai demandé à Stanislas (Nordey, le directeur du TNS) à quoi servait son école et il m’a répondu “à rencontrer des gens”. Et finalement c’est vrai, on rencontre tous les artistes qui viennent intervenir à l’école mais surtout on rencontre des jeunes de notre âge qui viennent de partout et qui veulent aller dans la même direction que nous et ce qui est beau c’est comment on envisage le futur ensemble quand on est dans ces murs. On apprend beaucoup les uns des autres, on se nourrit et on dialogue avec tous les corps de métiers du théâtre, c’est à ça que sert l’école du TNS. »
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