« Ma fille prend le train Sélestat – Benfeld tous les jours pour se rendre à son travail. Nous ne comptons plus les annulations dans les deux sens et au dernier moment (…) C’est juste une galère quotidienne et elle a fini par faire le trajet en voiture. » Un petit tour sur la page Facebook « TER Grand Est le ras le bol des usagers » donne la mesure de l’insatisfaction des voyageurs empruntant le Réseau express métropolitain européen (Reme).
Un usager de la ligne Obernai – Strasbourg se plaint lui aussi de « suppressions et retards à gogo qui empêchent de prévoir des trajets ». Il y a enfin Sophie, pour qui l’année 2024 a mal commencé : son TER de 8h10 a déjà été supprimé les 5, 8, 9, 11 et 12 janvier. L’exaspération est d’autant plus grande que ces dysfonctionnements n’ont nullement empêché la Région d’augmenter les tarifs des billets et des abonnements de 4% en septembre 2023 et de 3% en janvier 2024.
Promesse non tenue et manque de fiabilité
Un an après le lancement du Reme, la promesse portée par la Région Grand Est, l’Eurométropole de Strasbourg et la SNCF n’est toujours pas tenue. « Il devait y avoir 1 000 trains supplémentaires par semaine. Aujourd’hui, il y a 650 trains hebdomadaires en plus », résume François Giordani, président de la branche Grand Est de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut). L’infatigable militant précise : « Pour certaines lignes, comme Strasbourg – Offenbourg, il n’y a aucun train supplémentaire. Pour Strasbourg – Lauterbourg, ce sont à peine quatre trains de plus par semaine… »
La Fnaut Grand Est déplore aussi le manque de fiabilité du Reme. Grâce à un suivi quotidien du nombre de trains supprimés ou en retard de plus de dix minutes, François Giordani est en capacité de donner des chiffres peu glorieux pour la SNCF :
« En 2023, 10 à 11% des TER circulant en Alsace ont été supprimés ou ont connu un retard de plus de 10 minutes. Pour un usager qui prend le train aller et retour cinq jours par semaine, ça signifie qu’il arrive au moins une fois par semaine en retard au travail ou à l’école pour chercher ses enfants. »
« Depuis le Reme, c’est catastrophique »
Pour le secrétaire régional de l’Unsa Ferroviaire en Alsace, un syndicat de cheminots, Ludovic Wintenberger, le lancement du Reme a mis fin à la ponctualité record des TER alsaciens :
« Il suffit de prendre le train aujourd’hui pour comprendre qu’on est loin du TER Alsace qui présentait le taux de régularité le plus élevé de France il y a encore quelques années. Mais depuis le Reme, c’est catastrophique. En 2023, on doit être dans des taux de régularité de 80 à 85% alors qu’avant, on avait un taux de régularité de 96-97%. »
Interrogé sur les origines de ces dysfonctionnements, le syndicaliste évoque des problématiques structurelles, déjà dénoncées par les syndicats avant le lancement du Reme. Le manque de conducteurs et de contrôleurs empêchent parfois les trains de partir. Le sous-effectif en agents de maintenance occasionne un manque en matériel puisque les locomotives et autres rames en panne mettent plus de temps à être réparés. « Les agents, les cadres et les responsables syndicaux alertaient la direction en disant : on va droit dans le mur. Mais personne n’a fait en sorte qu’on évite de foncer », résume Ludovic Wintenberger.
Un « échec relatif » admis par la Région
Unique bonne nouvelle pour les usagers : la SNCF et la Région Grand Est admettent désormais ces ratés. Sur France Bleu Alsace, le vice-président en charge des transports Thibaud Philipps a évoqué un « échec relatif » à propos du Reme : « Les taux de régularité sont trop faibles et les suppressions de train trop nombreuses. Ce n’est pas acceptable. » Dans le nouveau contrat d’exploitation qui lie la Région Grand Est et la SNCF pour 2023-2033, les plafonds de pénalités payés par la société ferroviaire en cas de retard ont été multipliés par dix.
Thibault Philipps, également maire (Les Républicains) d’Illkirch-Graffenstaden, ne prévoit pas d’augmentation de l’offre pour les prochaines années : « Maintenant, avec la SNCF, on développe un plan d’actions pour stabiliser et fiabiliser le système. » Même discours du côté de la direction régionale TER Grand Est, qui rappelle l’augmentation du trafic permise par le Reme et rejette « toute évolution de l’offre avant décembre 2026 » :
« Depuis le mois de septembre 2023, ce sont près de 3 800 TER par semaine qui circulent effectivement autour de Strasbourg, une augmentation de 40% par rapport à la même période en 2022. (…) Les équipes de SNCF Réseau et SNCF Voyageurs sont mobilisées depuis le lancement et se concentrent depuis septembre sur des actions permettant d’améliorer la qualité de service, pour offrir fluidité et régularité des circulations aux voyageurs. Les premiers résultats sont visibles et encourageants, notamment l’amélioration de la régularité et la diminution du nombre de suppressions de trains opérationnelles depuis le changement de service en décembre 2023. »
2024 : une année d’attente
Pour François Giordani, « 2024 sera une année d’attente et d’immobilisme au niveau du Reme ». Le président de la Fnaut Grand Est en veut pour preuve les missions d’audit lancées début 2024 :
« C’est un travail qui aurait dû être fait avant le lancement du Reme mais bon. La région et la SNCF ont lancé un diagnostic pour voir jusqu’à quelles capacités le Reme peut aller avec la gare de Strasbourg. C’est là que la SNCF a été en dessous de tout : elle n’a pas anticipé que l’organisation de la gare de Strasbourg ne permet pas d’éviter des retards et des annulations en cascade. »
La réorganisation de la gare de Strasbourg fait donc partie des solutions incontournables pour que le Reme tienne ses promesses initiales. Sur France Bleu Alsace, Thibaud Philipps a ébauché un calendrier : l’ouverture de la gare de Strasbourg à 360 degrés en 2027 – 2028, l’augmentation du nombre de voies ferrées au cours des années suivantes.
Le temps des travaux suffira-t-il a mettre fin aux difficultés du Reme ? Pour Raymond Woessner, géographe spécialiste des transports cité par nos confrères de France 3 Grand Est, les 700 millions d’euros investis par la Région Grand Est dans le Reme sont insuffisants. Il compare la somme aux 36,1 milliards d’euros investis dans le projet de Grand Paris express : « Ça paraît dérisoire. Il faut de l’argent et du temps, pas des coups de baguette magique. C’est une affaire qui s’étale sur un temps très long. »
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