À Strasbourg, 179 psychologues sont recensés sur l’annuaire médical Doctolib. Parmi eux, 18 seulement sont listés dans l’annuaire du dispositif MonParcoursPsy, proposé par le ministère de la Santé. Lors de sa création en avril 2022, afin de répondre aux besoins d’accompagnement des Français, notamment depuis la crise du Covid, le dispositif était présenté comme permettant « à tout patient souffrant de troubles psychiques d’intensité légère à modérée, de se faire rembourser jusqu’à huit séances par an par l’Assurance maladie. »
18 psychologues partenaires à Strasbourg, 115 dans le Grand Est
En janvier, Nolwenn, jeune strasbourgeoise de 23 ans, ressent le besoin de consulter. Elle se rend sur le site monparcourspsy.sante.gouv.fr qui l’accueille avec une présentation du dispositif en résumant les situations qu’il prend en charge : « Pourquoi consulter ? Vous avez du mal à dormir ? Vous vous sentez dépassé ? Vous êtes dans une relation toxique ? Vous avez besoin d’une personne à qui parler, sans jugement. »
Nolwenn y découvre les différentes étapes qu’elle va devoir suivre :
« Dans un premier temps, je devais aller chez un médecin pour obtenir une prescription, prendre un rendez-vous avec un psychologue du réseau, réaliser les séances, puis me faire rembourser par l’Assurance maladie (60 %) et la mutuelle (40 %). Je n’ai pas compris pourquoi je devais passer par un médecin, je ne vois pas pourquoi elle devrait être au courant de ma santé mentale. Mais ça s’est très bien passé, elle n’a pas été trop indiscrète. »
« Je ne reçois plus de nouveaux patients MonPsy, étant trop peu rémunérée »
Son ordonnance en poche, la jeune femme commence ses recherches sur l’annuaire du dispositif. « J’ai pris du temps pour faire des recherches sur les différents profils et être sûre de trouver quelqu’un qui me convienne », se souvient-elle. Mais lorsqu’elle tente de prendre rendez-vous, on lui répond à plusieurs reprises ne pas être en mesure d’accueillir de nouveaux patients.
Mauvaise pioche aussi pour Pauline, qui découvre le dispositif par le biais de ses amis. Au début, elle n’ose pas vraiment prendre rendez-vous, mais se pousse à le faire. Elle obtient une réponse similaire d’une autre psychologue :
« Je suis disponible pour vous recevoir à un tarif “ordinaire” de 55€ la consultation si vous le souhaitez. Je ne reçois plus de nouveaux patients dans le dispositif gouvernemental, ayant trop de demandes et étant trop peu rémunérée (30 €). »
Le Syndicat national des psychologues dénonce le dispositif
Depuis son lancement, le 5 avril 2022, le dispositif est vivement critiqué par la profession. À l’approche de son anniversaire, le Syndicat national des psychologues (SNP), créé en 1950, s’est à nouveau positionné contre avec un communiqué de presse qualifiant le dispositif de « mesures non-pertinentes pour les professionnels et qui ne vont pas dans le sens de l’intérêt du public. »
Des observations que Julien (qui a tenu à garder son anonymat), psychologue à Strasbourg depuis 2017, partage en grande partie. Au moment de se lancer à mi-temps en libéral, mi-2021, il a rejoint le dispositif permettant aux étudiants de disposer de chèques psy mais n’a pas souhaité ensuite intégrer le dispositif général, comme 93 % de la profession :
« Les psychologues demandent en général entre 50 et 60€ de l’heure. Or, les séances réalisées avec MonParcoursPsy sont rémunérées à 30€. Cette sous-tarification impose – et c’est d’ailleurs comme ça qu’est prévu le dispositif – une diminution du temps de la séance à environ 30 minutes. Je trouve ça trop court, le temps que le patient, s’installe, se sente à l’aise… La restriction à huit séances et les pathologies qui sont exclues du dispositif sont toutes aussi problématiques. »
Un cadre trop strict, des séances trop courtes et mal rémunérées
MonParcoursPsy est, en effet, censé s’adresser à des personnes souffrant d’un « trouble psychique léger à modéré ». En sont donc exclues les personnes en situation de burn-out, dépression chronique, deuil compliqué, trouble du comportement alimentaire, harcèlement scolaire… « Que fait-on si on se rend compte que le patient a une pathologie plus lourde au troisième rendez-vous ? Sommes-nous censés tout arrêter ? La continuité est importante dans notre métier », souligne Julien, pour qui la limitation à huit séances par an cause le même problème.
Il regrette le fait que ce format pousse à deux pratiques, soit travailler sur des rendez-vous plus longs et être sérieusement pénalisé au niveau financier, soit enchaîner les rendez-vous courts, ce qui ne lui convient pas. Tout comme le SNP, il déplore aussi le passage obligé par un médecin, « qui n’est pourtant pas formé à la psychologie ni à la psychopathologie », ce qui peut entraîner une mauvaise estimation des besoins du patient.
Faire venir des personnes qui ne consulteraient pas en temps normal
« J’ai intégré MonParcoursPsy par solidarité », indique Monique Begel, psychologue à Strasbourg, diplômée en 1989 et partiellement en libéral depuis 1998 :
« J’ai accueilli certains types de patients qui ne seraient jamais venus sans MonPsy. Des personnes qui n’avaient pas la possibilité de payer et qui étaient très reconnaissantes de pouvoir venir dans ces conditions. Elles évoluent dans un univers différent de mes patients habituels et c’est quelque chose de très enrichissant pour moi aussi. »
Mais Monique Begel n’accepte presque plus de nouveaux patients via ce système, indiquant qu’elle ne peut plus se le permettre.
Un rapport d’évaluation pour de possibles améliorations
Interrogé par Rue89 Strasbourg, le ministère de la Santé a rappelé que le dispositif était désormais pérenne. Il a également mentionné que la loi prévoit « un rapport d’évaluation à rendre au 1er septembre 2024″, avec l’appui d’un comité de suivi qui doit prochainement être formé. Ce rapport devrait comprendre un avis sur la mise en œuvre opérationnelle du dispositif et, si nécessaire, des propositions d’évolution.
Le Syndicat national des psychologues a produit en avril des propositions « pour prendre enfin la bonne direction ». Elles reposent sur deux axes : renforcer les services publics déjà existants et des dispositifs de droit commun (Centres médico-psychologiques, hôpitaux…) avec la création de postes de psychologues et la mise en place d’un « dispositif de consultation chez les psychologues libéraux avec un accès direct de la population sans passage par un médecin, sans restrictions des motifs de consultations et avec des tarifs cohérents avec ceux pratiqués par les professionnels sur le terrain. »
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