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Du petit Théâtre du Kafteur au grand Espace K

C’est officiel pour Jean-Luc Falbriard et son équipe : le Théâtre du Kafteur, jusqu’à présent blotti rue Thiergarten, va investir le grand espace du Hall des Chars. Fruit de longues négociations entre la Ville de Strasbourg et le Kafteur, ce déménagement implique aussi un sacré changement d’échelle. Le petit Kafteur est-il à la hauteur du grand Espace K ?

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Le Hall des Chars, rue du Hohwald, va devenir l’Espace K en janvier (Photo JF Gérard / Rue89 Strasbourg)

La décision est tombée fin mai, pour une ouverture officielle du nouveau lieu en janvier 2016 : le Théâtre du Kafteur l’a emporté dans la course à l’occupation du Hall des Chars qui se déroulait depuis l’hiver dernier. Alain Fontanel, 1er adjoint au maire de Strasbourg chargé de la culture, explique ce choix :

« Il y a avait deux autres propositions, mais l’une était peu aboutie et l’autre tournait autour de la poursuite de résidences d’artistes : aucune des deux ne répondait aux attentes de la Ville. Notre ambition pour [l’Espace K] c’est d’en faire un lieu culturel de référence, mais aussi de répondre aux enjeux de la vie de quartier et de la vie du site. »

Le Hall des Chars, trop « tourné sur lui-même »

La convention de trois ans accordée au Théâtre du Kafteur dénote une volonté d’ouvrir la salle au grand public, après que le Hall des Chars a été trop longtemps « tourné sur lui-même », selon Alain Fontanel :

« Ma politique culturelle se concentre sur la recherche de nouveaux publics, sur de nouveaux territoires. Le projet présenté par le Kafteur est en cohérence avec ces attentes. Et puis le Théâtre du Kafteur a trouvé son public et il s’inscrit dans cette tradition alsacienne forte du cabaret et de la satire. Bien sûr, il y a avait aussi la menace de la fermeture définitive du Kafteur, mais cela n’a pas été prépondérant dans notre choix. »

Alain Fontanel, 1er adjoint au maire de Strasbourg chargé de la culture (Document remis)

Le Théâtre du Kafteur était plus qu’à l’étroit dans son local de la rue Thiergarten et n’aurait probablement pas pu continuer très longtemps dans sa configuration actuelle, comme l’explique son directeur Jean-Luc Falbriard, fondateur et directeur :

« Nous sommes locataires depuis 22 ans. Le propriétaire est un privé, avec qui on s’entend bien, mais le modèle économique qui fonctionnait il y a 22 ans n’est plus viable actuellement. Depuis la création, nous nous débrouillons avec des salariés et des bénévoles sans aucune subvention de fonctionnement. »

Le théâtre « de poche » du Kafteur, rue Thiergarten, à deux pas de la gare (Photo MB / Rue89 Strasbourg)

La force du Kafteur, c’est son public

Il n’en reste pas moins que le changement d’échelle va être un défi, à la fois quand on compare les dimensions des salles respectives, mais aussi les choix de programmation artistique qui les ont habités ces dernières années : théâtre d’humour du côté du Kafteur, espace d’expérimentation artistique qu’assurait la Friche Laiterie, ancien occupant du Hall des Chars.

Son public et son identité forte autour de l’humour sont clairement des piliers du projet du Kafteur pour habiter le Hall des Chars. Jean-Luc Falbriard est fier de cette expérience, qu’il souhaite mettre à profit :

« L’âme du lieu, c’est nous qui allons l’amener, forts de nos 22 ans de boulot. On espère aussi apporter avec nous une grosse majorité du public du Kafteur et que ce public-là sera curieux de toutes les propositions que nous allons lui faire. On va garder un esprit de proximité, on pourra boire un coup et échanger avec les artistes. On essaie de créer une sorte de « label Kafteur » pour la programmation, basé sur la confiance des spectateurs. »

Du Kafteur à l’Espace K

Le déménagement du Kafteur au Hall des Chars s’accompagne aussi d’un changement de nom : le Théâtre du Kafteur cesse d’exister pour devenir l’Espace K. Un choix qui pourrait s’avérer risqué en terme de confusion potentielle pour les fidèles du Kafteur, mais que Jean-Luc Falbriard explique aussi par un changement de perspectives en terme de programmation artistique, sans regrets :

« On ne va pas refaire le Kafteur. Le Kafteur on l’a fait pendant 20 ans. Donc le 31 décembre, il n’y aura plus de Kafteur. Le Kafteur n’existera plus que comme structure pour gérer ce nouvel espace. Artistiquement, il y a un nouveau projet à développer et c’est ce projet-là qui a attiré l’attention de la Ville. »

Jean-Luc Falbriard au bar du Kafteur (Photo MB / Rue89 Strasbourg)

Un lieu « augmenté » et pluridisciplinaire

Ce sera donc l’Espace K, il va falloir s’y faire. Le projet que Jean-Luc Falbriard associe à ce lieu « augmenté », c’est une ouverture en grand avec, un peu pêle-mêle, une diversification des propos artistiques, mais aussi des possibilités de création et de diffusion pour les compagnies locales :

« J’ai toujours eu envie d’ouvrir mon lieu de travail à d’autres formes artistiques, comme le théâtre, la marionnette, la danse, le clown… On va pouvoir être un lieu de diffusion et de création. On va soutenir la création locale : il y a beaucoup de professionnels dans les environs, qui ont besoin de montrer leur travail, et peu d’outils pour les accueillir, notamment sur des séries. Souvent, on joue un soir ou deux dans une salle et puis c’est fini.

J’accueillais déjà des spectacles pas forcément humoristiques au Kafteur, mais une fois par an, ou une fois tous les deux ans, depuis 20 ans, dans des conditions à mon sens pas très intéressantes, parce que le plateau est petit… Les seules créations hors humour qui ont très bien marché au Kafteur sont les créations de la Compagnie Kafteur. Les gens venaient parce que c’était des mises en scènes Jean-Luc Falbriard, Compagnie Kafteur. Pour les autres spectacles hors humour, on avait beaucoup moins de monde car les gens ne comprenaient pas ce que ça faisait là.

Les murs du Kafteur sont pleins de l’histoire du lieu, contribuant à cette identité forte (Photo MB / Rue89 Strasbourg)

Notre but pour ce nouveau projet, c’est vraiment d’expliquer aux gens dès le début que ce lieu sera pluridisciplinaire. Quand la Friche, qui va continuer son activité de collectif de compagnies, va mettre en place des projets de création, elle sera accueillie à l’Espace K. L’objectif est de devenir un lieu un peu fédérateur pour des projets et des compagnies qui n’arrivent pas toujours à montrer leur travail. »

Quid de l’humour dans cette programmation ?

Dans ce programme, une envie de contenter tout le monde et d’arriver dans le secteur délicat du quartier Laiterie avec une ambition, doublée d’une mission : fédérer autant que possible les divers acteurs culturels et artistiques ancrés dans le paysage. Quid donc de l’humour dans cette programmation ?

« Ce qui reste évidemment, c’est un fil rouge humoristique. C’est l’humour qui a fait la marque de fabrique du Kafteur. C’est ce que la majorité des spectateurs viennent chercher ici, et peut-être ce qu’ils viendront chercher à l’Espace K. Mais les formes d’humour qu’on va développer là-bas, on n’a jamais pu les avoir ici. Il y aura toujours bien sûr des spectacles de petites formes, des solos, des one-man show. En plus de ça nous allons accueillir des formes de spectacles très grand public. »

En direction des habitants du quartier

Le Kafteur a indéniablement su fidéliser un public depuis de nombreuses années. Le défi à présent est double : guider le public du Kafteur jusqu’au Hall des Chars – d’un quartier Gare à l’autre – mais aussi aller à la rencontre des habitants du quartier Laiterie.

Concernant le public du Kafteur, il s’agit pour Jean-Luc Falbriard de le guider et de le rassurer :

« Pour moi, ce qui est important, c’est qu’à partir de janvier les gens qui arrivent aient une bonne vision de l’outil et de ce qu’on va en faire. Il faut que les gens s’y sentent bien accueillis et trouvent l’endroit sympathique, comme ça a été le cas ici au Kafteur – même si ça ne s’est pas fait en un jour. Il faut qu’on rassure le public du Kafteur, qui aime cet endroit petit et convivial, où on est un peu entassés les uns sur les autres. Ça a son charme, mais quand il fait 38 C° dans la salle c’est un peu moins charmant. L’objectif est en tout cas de montrer à nos spectateurs qu’ils vont y gagner au change, eux aussi. »

Quand à l’inconnu, c’est à dire les habitants du quartier Hohwald et Laiterie, Jean-Luc Falbriard est bien conscient que c’est aussi là que la Ville attend des résultats et va lui demander des comptes :

« On va essayer de devenir un partenaire important pour les associations locales, le milieu scolaire, par des ateliers et d’autres choses. On commence à initier tout ça. Ça fait partie de notre cahier des charges. Nous voulons continuer et renforcer nos activités d’ateliers, pour proposer une offre plus large. C’est aussi une façon d’être ouvert sur le quartier, de se poser la question de l’accessibilité de ces ateliers pour les jeunes et les adultes du quartier. »

La petite équipe du Kafteur : Maxime Koegler, Ludivine Meyer et Jean-Luc Falbriard (Photo MB / Rue89 Strasbourg)

Avis à la population, le Kafteur recrute

Conscient des limites de sa petite équipe par rapport à ce travail d’ancrage et de médiation dans le quartier, Jean-Luc Falbriard entend recruter assez rapidement un ou des nouveau(x) salarié(s) :

« On va donc devoir embaucher quelqu’un dont la mission principale sera d’être un interlocuteur. Participer aux réunions du quartier et en organiser, être à l’écoute des projets qui se montent, trouver des moyens pour développer des projets qui existent. Il y a un vrai travail de défrichage à faire. On espère trouver rapidement quelqu’un, car c’est une vraie demande de la Ville mais aussi des habitants du quartier. Je les ai déjà rencontrés, on sent qu’il y a une vraie attente par rapport à qui va arriver dans ce lieu et ce que ça va devenir. »

C’est aussi pour assurer cette « mission d’intérêt général », comme la qualifie Alain Fontanel, que le Kafteur va recevoir, pour la première fois, une subvention de fonctionnement de la Ville. Les montants et les budgets sont en discussion actuellement entre le Kafteur et la Ville et devraient être actés avant la fin de l’année.

Quelle base terrestre pour le Capitaine Sprütz ?

Avec l’attribution de la salle du Hall des Chars à une compagnie strasbourgeoise plutôt qu’à un collectif vient le spectre d’une autocratie dans l’utilisation des espaces de création et de diffusion. Conscient que la direction du lieu lui donne déjà un avantage certain, Jean-Luc Falbriard se veut rassurant :

« On ne va pas en abuser, on va l’utiliser à bon escient, il faut qu’on fasse sentir ça aux autres compagnies aussi. C’est aussi comme ça que ça marchait au Kafteur, la compagnie ne jouait jamais plus que 1 à 2 séries dans l’année, soit avec des spectacles de la compagnie, soit avec le Capitaine Sprütz. »

Jean-Luc Falbriard, alias le Capitaine Sprütz, ne boude cependant pas son plaisir devant les possibilités innombrables offertes par ces nouveaux espaces :

« Le Capitaine Sprütz a créé le Kafteur parce qu’il n’y avait pas de lieu pour l’accueillir avant. Évidemment, l’Espace K va être une nouvelle base de départ. Il sera inauguré par le Capitaine Sprütz à partir du 7 janvier 2016 avec un artiste invité différent chaque soir. C’est comme si du Centre de l’Espace Français de Kourou on passait à Cape Canaveral ! Ce sera un nouveau terrain de jeu pour la compagnie du Kafteur. On peut aller beaucoup plus loin dans l’imaginaire à l’Espace K. »

Les bénévoles toujours au cœur du projet

L’autre grande force du Kafteur, ce sont ses bénévoles. Jean-Luc Falbriard en est bien conscient et il leur a déjà assigné toute une liste de tâches pour les garder au plus proche du nouveau projet :

« Ils vont nous aider à transformer le lieu. À transporter les cartons aussi… Pour eux il y a un vrai plaisir aussi à faire partie de quelque chose qui démarre, comme c’était le cas il y a 20 ans ici avec les premiers bénévoles. Il y a cette motivation de contribuer à quelque chose qui a un impact dans la ville, avec une vraie visibilité, quotidienne, médiatique, politique.

Sur la saison, les bénévoles vont continuer à être là pour accueillir les gens, comme au Kafteur, et je crois que ça fait complètement partie de la convivialité d’un lieu d’être accueilli pas par des gens dont c’est le boulot mais qui ont envie d’être là. Les bénévoles, ce sont des spectateurs aussi. »

Et qui dit « bénévoles » dit aussi « bar » :

« Il y aura une petite buvette qu’on va tâcher de rendre sympathique, ouverte le temps du spectacle, avant et après. Ce sera un bar associatif géré par les bénévoles. »

Les bénévoles du Kafteur mis à l’honneur (Photo MB / Rue89 Strasbourg)

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