Ceci n’est pas un manuel pour séduire des féministes. Les scandales en chaîne liées aux agressions sexuelles imposent une nouvelle conception de la rencontre. En réaction, certains dénoncent la fin de la séduction, voire un nouveau règne de la frigidité. Pour mettre fin à cette interprétation erronée, voire malhonnête, du mouvement #MeToo, Rue89 Strasbourg a interrogé cinq féministes strasbourgeoises sur leur conception de la drague.
« Faut arrêter de croire qu’on est là juste pour baiser »
Lundi 6 août, 18h30, dans le bar Les Berthom. « Madame l’ingénieure informatique », son pseudo sur Twitter, met d’emblée les choses au clair : « J’ai toujours été féministe, j’ai toujours dragué ou été draguée. » Mais l’ancienne étudiante en école d’ingénieurs se souvient aussi d’une scolarité où les « bisous et les câlins non-voulus » n’étaient pas rares.
Au quotidien, cette utilisatrice assidue de Twitter observe la haine contre le féminisme. Elle n’est pas étonnée par les écrits de la journaliste Elisabeth Lévy sur la « révolution antisexuelle » que symboliserait MeToo. Avant l’interview, Julie (le prénom a été modifié) a potassé quelques écrits et consulté quelques amies. Elle répond avec assurance :
« Cette réaction respecte un schéma classique. Chaque avancée des droits des femmes, pour le vote comme pour l’ouverture du compte en banque, est suivie d’un retour de bâton. Aujourd’hui, c’est la même chose avec MeToo. Comme on dénonce les violences sexuelles faites aux femmes, on nous accuse d’être frigide. Faut arrêter de croire qu’on est là juste pour baiser. »
Pour la Strasbourgeoise de 25 ans, il n’y a pas de « mauvaise façon de draguer ». Le plus important dans une relation femme-homme : « Accepter que parfois, on te dit non. » Pour ce faire, il faut aussi s’assurer du consentement de l’autre. Julie explique l’importance de « poser la question », tout simplement :
« La culture du viol est répandue par les films et autres médias. Il y a toujours un jeu du chat et de la souris puis, sans question aucune, le chat finit toujours par attraper la souris. On pense trop souvent que le film, c’est la vraie vie. Si les signes de consentement de l’autre sont flous, on ne perd rien à demander. »
Interrogée sur sa dernière rencontre agréable, Julie cite son premier rendez-vous avec son actuel copain. « Tu vois, je ne suis pas misandre, j’ai un mec », glisse-t-elle en souriant. Après plusieurs rencards où la conversation se résumait à un « moi, moi, moi » masculin, l’ingénieure informatique a cette fois apprécié le simple fait d’être écoutée : « Rien que pour ça, je me suis dit que c’était un type vachement bien ».
« Le féminisme, c’est aussi la libération sexuelle de la femme »
Le deuxième interview s’est déroulée avec Judith et Barbara Rimlinger, « féministes de mère en fille ». Pour ces deux membres de l’association Osez le Féminisme 67, le militantisme n’a pas mis fin aux rencontres et aux flirts. Elles regrettent que le mouvement MeToo suscite avant tout l’incompréhension : « En quoi dénoncer les actes de violence qu’on subit signifie qu’on déteste les hommes ? », s’étonne Barbara, 48 ans. « Il faut rappeler que le féminisme, c’est aussi la libération sexuelle de la femme. Si les femmes ont la vie qu’elles souhaitent, c’est mieux pour tout le monde, même les hommes. »
À 20 ans, Judith a déjà vécu une agression sexuelle dans un bar strasbourgeois. Au fumoir, deux hommes l’abordent au sujet de ses tatouages. Très vite, le premier prétexte du dessin sur sa cuisse pour soulever sa jupe. L’autre tente de l’embrasser de force… Difficile, depuis, de ne pas être méfiant lorsqu’un mâle l’approche pour entamer la conversation :
« Quand un homme m’aborde, je crains déjà sa réaction si je lui oppose un refus. Souvent d’ailleurs, je culpabilise parce qu’on est obligé de mentir en faisant croire qu’on a un copain. Tout ce qu’on demande, c’est de ne pas nous mettre dans une situation anxiogène. Soyez poli, gardez une certaine distance et surtout acceptez le refus. Tout se passe mieux comme ça. »
« Comment tu fais pour rencontrer des gens toi? »
Le collectif féministe Copines Strasbourg a aussi répondu à notre demande d’interview. Sur la terrasse de la Taverne française, deux membres du groupe sont venues avec une amie lyonnaise. Mathilde, 21 ans, est la plus ancienne militante autour de la table. Selon la Strasbourgeoise, la problématique du harcèlement et des agressions sexuelles n’a pas attendu l’affaire Weinstein pour être dénoncée au sein de l’institut d’études politiques. Début 2017, le blog « Paye ta fac » recueille des témoignages de sexisme et de harcèlement sexuel à l’Université de Strasbourg. L’initiative est relayée par le journal Le Monde. « L’administration a alors été plus attentive à nos revendications », estime-t-elle.
Pour sa camarade, Claire, l’incompréhension face au mouvement MeToo prime encore sur la prise de conscience :
« Les agressions sexuelles et le harcèlement n’ont pas baissé. Ce type de comportements s’est carrément transformé en « liberté d’importuner » (en référence à une tribune dans Le Monde sur le sujet d’un collectif de 100 femmes dont l’actrice Catherine Deneuve ndlr).
La discussion s’installe autour de cette question : comment continuer à faire connaissance ? Les avis des étudiantes de Sciences Po sur les conditions d’une drague respectueuse divergent. L’une exclut les commentaires sur le physique quand l’autre a déjà pu apprécier un compliment désintéressé sur ses vêtements, ou ses yeux. D’après Mathilde, « si quelqu’un marche dans la rue avec des écouteurs, c’est clair qu’elle n’est pas ouverte à une rencontre. » Claire n’est pas d’accord. Elle préfère laisser ce genre d’opportunités ouvertes. Puis interroge son amie : « Mais comment tu fais pour rencontrer des gens toi ? » « J’utilise Tinder par exemple », rétorque-t-elle.
Sur la table, les verres sont vides depuis près d’une demi-heure. Claire tente de conclure :
« Tout ça paraît super compliqué. Ça pourrait être si simple. C’est comme une tasse de thé que l’on propose à quelqu’un, si la personne refuse, on va pas la forcer à boire. Pour passer à l’action, pose la question. Il faut juste garder cette habitude. »
Le consentement, simple comme une tasse de thé ?
Le silence s’installe, avec l’impression que ce vaste sujet nécessite encore beaucoup de réflexion. Un groupe passe à côté. Sourire aux lèvres, sans s’arrêter de marcher, un homme souhaite une « bonne soirée » puis se retourne pour ajouter « Il faut bien rester poli hein ! ». Les étudiantes rient de plaisir. Cette interpellation désintéressée, c’est une bouffée d’air après une heure et demi à cogiter sur la rencontre. Mathilde s’exclame : « Voilà la chute parfaite! » C’est noté.
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