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Rob a disparu, des milliers d’amateurs du Strasbourg nocturne orphelins

Alexandre Bureau, que tout le monde appelait Rob, est décédé subitement jeudi à 41 ans. Il est à l’origine de six bars et restaurants à Strasbourg, où il avait conquis de nombreux Strasbourgeois par sa bonhommie, sa générosité, son humour et sa franchise.

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La dernière fois que j’ai entendu parler de Rob, c’était un samedi matin. Comme chaque semaine depuis l’ouverture de sa dernière affaire, La Pépinière place d’Austerlitz, il m’envoyait via WhatsApp une proposition de plats cuisinés à emporter, des bons poulets, de la bonne barbaque avec de la sauce et des patates. À chaque message, je me disais qu’un jour je changerai mes habitudes pour en profiter. Rob aimait la bonne bouffe et il adorait cuisiner, même pour des inconnus.

Mais voilà. À 41 ans, Rob, Alexandre Bureau de son vrai nom, a été emporté par une embolie pulmonaire jeudi matin. Les secours n’ont rien pu faire pour le ranimer. Il laisse sa compagne Carole et des milliers de Strasbourgeois qui l’ont côtoyé orphelins, sous le choc.

Le Phono, un rade minuscule, toujours bondé

Car Rob n’était pas seulement un patron de bar. Ce n’était même pas juste un patron de bar sympa. Il était la générosité incarnée. Avec son physique de nounours et sa pilosité d’explorateur marin, Rob ne faisait jamais rien à moitié. Pas le genre à proposer un quart de poulet à l’aise dans son assiette. Quant aux shots de 4 centilitres au Phonographe, c’étaient des interprétations toutes personnelles du système métrique.

J’ai croisé Rob pour la première fois au Trolley, rue Sainte-Hélène. Avec Xavier, ils avaient réussi à sortir ce bar de l’ornière au début des années 2000 pour en faire le rendez-vous de toute une famille réunie autour de la convivialité. Quand il a monté le Phonograph, rue de l’Arc-en-Ciel en 2011, je ne comprenais pas : qu’allait-il faire avec ce rade minuscule sans terrasse ? J’ai vite compris : le Phonograph n’a jamais désempli, même après la fermeture du Mudd Club.

Interview de Rob en 2019 (vidéo StrasTV / YouTube)

Jérémie Fallecker, de Pelpass, ébranlé par la nouvelle de son décès, comme tous ceux qui ont connu Rob, détaille :

« Au Phonograph, il y avait le sourire de Rob, l’ambiance qu’il mettait… On était tous les deux fans de rap américain, il avait constamment des supers sons. Il prenait des nouvelles de chacun de ses clients et retransmettait tout ça en énergie positive dans son bar. Et du coup, tout le monde était heureux d’aller là-bas. »

Rob se souvenait de ses clients, il avait toujours un mot pour chacun. Aller au Phono, c’était un peu comme s’inviter dans son salon. Ce bar minuscule, il n’a jamais voulu le lâcher, malgré les conseils de certains de ses proches.

Le trépas d’un monde d’avant

La nouvelle de sa disparition laisse un vide immense tant ce bonhomme avait occupé une place importante dans les cœurs et les esprits de tous les Strasbourgeois qui sortent. Survenu alors que les bars et les terrasses réouvrent après une année de confinement, son décès résonne comme le trépas d’un monde d’avant, désormais impossible à ranimer.

La devanture du Phono témoigne de l’affection que portaient les clients de Rob Photo : PF / Rue89 Strasbourg / cc

Car Rob savait recevoir mais il savait aussi transmettre. En une dizaine d’années, il avait permis à cinq personnes de débuter leur propre affaire, en s’associant à parité avec elles. Nicolas Fabbian est l’un des premiers à avoir expérimenté cette collaboration, lorsqu’ils ont monté ensemble le Fat Black Pussycat, rue Klein, en 2013 :

« On se connaissait depuis 18 ans. Un jour, Rob m’a embauché au Phono en me disant “tu commences la semaine prochaine”. Un an et demi plus tard, il a eu envie d’ouvrir un autre lieu et il m’a proposé de m’en occuper. Ainsi est né le Fat. Il m’a fait confiance et en même temps, il était tout le temps présent. On a eu des difficultés bien entendu mais Rob savait tout délier. Il était très fort pour trouver des solutions, même quand ça paraissait impossible. Professionnellement, je suis orphelin. »

« Il était tout le temps prêt à m’aider »

Nicolas partageait avec Rob la passion du hip hop, de la soul et du funk mais surtout la conviction qu’on peut s’en sortir en travaillant dur. Rob a débuté dans la restauration sans patrimoine et réinvestissait régulièrement dans de nouvelles affaires, qu’il a confiées à des compagnons de route dont il détectait, intuitivement, la valeur. À 36 ans, Nicolas ne sait pas encore très bien à quoi va ressembler son quotidien sans Rob :

« Je pouvais l’appeler à n’importe quelle heure, il était tout le temps opérationnel et prêt à m’aider. Au Fat, il me laissait gérer mais il avait l’œil sur tout, tout le temps, sans pour autant être invasif. Et quand on avait des problèmes, il était rarement surpris parce qu’il les avaient vus venir en fait… »

Rob au réveil Photo : Christophe Urbain

Cette intelligence du quotidien, ce sens pratique des affaires, tous ceux qui ont travaillé avec lui en témoignent. Raphaël Stoll, dirigeant de Malt & Houblon et à ce titre, fournisseur en boissons des affaires de Rob, détaille :

« C’était mon client et c’était mon copain. C’était le client parfait, il a toujours été là pour m’aider quand j’avais des difficultés, il m’a sorti plusieurs fois des emmerdes. Il y a deux ans, quand on a référencé tous nos alcools, il est venu nous aider et nous conseiller. Il avait beau avoir fermé le Phono à 4h, quand mes livreurs étaient devant chez lui à 9h, il était là. C’était vraiment un grand monsieur, un vrai professionnel. »

Rob était un acharné du travail. Alors qu’il était déjà bien occupé par le Phono, le Fat et le Diable Bleu, il a tenu à ouvrir le bar éphémère de la Biennale d’art contemporain en 2019. Quand je l’ai vu derrière son comptoir temporaire, je l’ai assailli de questions, qui toutes voulaient dire « mais pourquoi enfin ? » Parce que le lieu était magique et beau, parce qu’il allait pouvoir proposer de la musique et rendre heureux les gens pendant quelques semaines. Et c’est exactement ce qu’il s’est passé. « La café de la Biennale a été un projet de passionnés. Tout le monde s’en souvient encore aujourd’hui à cause de ça », se rappelle Jérémie Fallecker. L’endroit ne répondait à aucun critère économique. Peu avant la fermeture, avant que Bouygues ne privatise définitivement cet ensemble, il m’avait confié qu’il serait heureux s’il n’avait pas perdu d’argent dans cette opération.

« Cassez vous ! » Quel patron de bar peut dire ça ? Photo : PF / Rue89 Strasbourg / cc

« La définition même du bon vivant »

Mais l’argent, c’était pas tellement son truc à Rob. « Il dépensait pas son fric dans de belles voitures, dans des voyages ou des propriétés », indique Régis Nombret, gérant des Binsch’ Stubs et ami de Rob depuis 20 ans :

« Rob était la définition même du bon vivant. Il adorait la bouffe, les restaurants gastronomiques et les cigares. Il fallait le voir tremper son Baron dans son rhum ! »

Régis n’a pas eu le temps de s’associer avec Rob. « On en parlait régulièrement, on avait des plans… De toutes façons, Rob avait tout le temps des plans en tête, il fallait suivre. » Les derniers « baby Rob », ce sont Ludo et Alix Ruhlmann, qui ont respectivement créé avec Rob le Café Lové et la Pépinière, place d’Austerlitz. Aujourd’hui à la tête de leurs affaires, leurs vies aurait été très différentes sans Rob. Ludo, 37 ans, précise :

« J’ai rencontré Rob après avoir été serveur aux Berthom puis au Phono. On ne fait pas de vieux os en étant serveur, j’en avais parlé à Rob et on a visité des locaux… Puis un jour, on est tombé sur ce local. Il m’a fait confiance sur le concept. Sans son soutien financier, jamais je n’aurais pu me lancer. J’ai signé à vie avec Rob. »

Alix conclut :

« Pour la Pépinière, quand on a voulu mettre des fleurs partout, Rob m’a dit “Ok, ça sera mon bar girly.” Il était comme ça, il aimait qu’on le dérange dans ses habitudes, c’était quelqu’un d’exceptionnel. Mine de rien, il avait réussi à former un petit groupe de restauration… On se connait tous, on s’apprécie et on s’entraide. Il faudra désormais continuer à le faire sans lui. »


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